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Pertes d’exploitation et covid-19 : jurisprudence de la cour d’appel de Paris

Si le risque pandémique ne fait l’objet d’aucune obligation d’assurance, il n’est pas, pour autant, non assurable, des extensions de garantie pouvant être souscrites (R. Bigot, Le caractère inassurable du risque pandémique : une « allégation fantaisiste » d’AXA, Dalloz actualité, 28 mai 2020).

À l’inverse, il existe des clauses d’exclusion dont un certain nombre sont ambiguës. La diversité de ces clauses (les garanties couvrent 3 % des contrats, v. ACPR, Garantie « pertes d’exploitation » : l’état des lieux de l’ACPR, communiqué de presse, 23 juin 2020) les rend-elle applicables en toutes circonstances à la situation sanitaire et juridique née de la pandémie de covid-19 ? Rien n’est moins sûr et c’est précisément ce qui crée une impression de flottement à la lecture de la jurisprudence. Toutefois, les contentieux arrivant désormais en appel, des arrêts clarifient et consolident le droit applicable. Tel est notamment le cas de la salve de décisions rendues par la chambre du droit des assurances de la cour d’appel de Paris, lesquels portent principalement sur les conditions de mise en œuvre de la garantie perte d’exploitation (I) et sur les exclusions de garantie (II).

I. La mise en œuvre des conditions de la garantie perte d’exploitation

Outre la fermeture de l’établissement (A), le sinistre suppose, en général, la réalisation d’un événement à l’origine de cette fermeture (B).

A. La fermeture

La jurisprudence est ici aussi subtile que le dialogue de la pièce proverbiale d’Alfred de Musset, qui voulait qu’« une porte soit ouverte ou fermée ». En effet, la Cour se prononce à la fois sur la réalité et sur les conséquences de la fermeture en tenant compte des spécificités propres à chaque contrat.

1. La réalité et les conséquences de la fermeture

La condition de fermeture, exigée dans la plupart des contrats, implique que le juge se prononce sur son existence et sur son ampleur.

a. L’existence d’une fermeture

La question doit être abordée au regard de la compétence de l’autorité responsable mais aussi de la nature des activités concernées.

L’autorité ayant pris la décision :

La compétence à vérifier est double :

• Une autorité légalement compétente

Non seulement le juge vérifie l’existence juridique d’une mesure administrative et de son fondement légal mais il s’assure également, pour chaque décision prise au cours de la période de fermeture, de la compétence de l’autorité de qui elle émane. Ainsi, pour un même arrêt, on lira successivement : « Ces décisions ont été prises au visa notamment de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique qui donne compétence au ministre chargé de la santé de prescrire toute mesure proportionnée aux risques courus du fait d’une menace sanitaire grave », puis : « Il n’est pas contesté que le ministre de la Santé, mais aussi le préfet de police, décisionnaires, sont des autorités administratives au sens du contrat. En l’espèce, à la suite de ces décisions administratives précitées, le restaurant a notamment fermé du 15 mars 2020 au 24 août 2020, puis de nouveau à compter du 17 octobre 2020 (décret du 29 octobre 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Y X dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire), jusqu’au 8 juin 2021 inclus. Il s’en déduit qu’il s’agissait d’une fermeture de l’établissement sur ordre des autorités » (Paris, 22 mars 2022, n° 21/07950, v. égal. 22 mars 2022, n° 21/03310).

• Une autorité contractuellement visée

Mais encore convient-il que l’autorité compétente pour prendre la décision soit précisément visée par la clause contractuelle. Or tel n’est pas le cas s’agissant « des “mesures administratives, sanitaires” prises pour lutter contre l’épidémie de covid-19, ayant eu pour effet l’arrêt d’activité totale ou partielle, au sens de la clause invoquée [dans la mesure où elles] ne résultent pas “d’une décision des autorités sanitaires de mise en quarantaine” comme exigée par cette clause ». En effet, « des mesures dites de “confinement”… ont seulement imposé des restrictions de déplacement de la population, ce qui n’est pas assimilable à une “mise en quarantaine”, qui concerne le cas où une ou plusieurs personnes, spécifiquement identifiées en raison du risque de contamination qu’elles présentent, sont tenues de s’isoler durant une certaine période » (Paris, 10 mai 2022, n°  21/09123).

Toutefois, dans une autre espèce, la Cour s’est montrée plus favorable à l’assuré à qui l’assureur opposait un refus de garantie, faisant valoir qu’il n’y a pas lieu de distinguer la garantie fermeture de l’établissement « sur ordre des autorités » d’une sous-garantie « fermeture administrative imposée par les services de police, d’hygiène ou de sécurité ».

Relevant que « la clause vise à indemniser “la perte de marge brute subie du fait de l’interruption ou de la réduction de l’activité résultant de la fermeture administrative temporaire de [l’] établissement, par les autorités publiques compétentes, consécutive à l’un des événements suivants survenu dans [les locaux professionnels : maladie infectieuse hors contexte épidémique ou pandémique, intoxication alimentaire ou empoissonnement, meurtre, assassinat ou suicide » et « compte tenu de ces éléments, des règles d’interprétation des contrats, édictées aux articles 1188 et suivants du code civil, et du fait que l’interprétation des clauses d’un contrat d’assurance doit se faire, en cas de doute, dans le sens le plus favorable à l’assuré, la cour estime que la garantie "fermeture administrative imposée par les services de police, d’hygiène ou de sécurité" est l’extension de la garantie “fermeture de l’établissement sur ordre des autorités", qui elle-même n’est que la déclinaison de la garantie "protection financière" en cas de pertes d’exploitation consécutives à une fermeture temporaire de l’établissement » (Paris, 14 avr. 2022, n°  21/07626).

L’activité concernée

Les décisions commentées portent uniquement sur des activités de restauration et d’hôtellerie, les deux activités pouvant d’ailleurs être combinées suivant les cas jugés. S’agissant de la mise en œuvre des garanties sollicitées, il convient cependant de distinguer les deux situations.

• Les activités de restauration

Une société exploitant un restaurant alléguait que sa perte d’exploitation était consécutive à l’un des événements garantis, à savoir « une décision des autorités administratives provoquant la fermeture de l’établissement » alors que son assureur faisait valoir que la garantie n’était pas applicable en l’absence de fermeture, l’établissement pouvant continuer à exercer des activités de livraison, vente à emporter et de room service.

Se prononçant pour la première fois sur cette question – le tribunal avait considéré que la société demanderesse, qui n’était pas propriétaire du restaurant, n’avait pas qualité et intérêt à agir pour sa filiale –, la Cour, admettant la recevabilité, a estimé que, « l’exercice des activités de livraison, vente à emporter et de room service du restaurant et bar de l’hôtel n’étaient manifestement qu’une simple possibilité offerte à la société exploitant le restaurant, nonobstant la fermeture du restaurant à l’accueil du public » de sorte qu’on ne saurait donc « déduire de cette simple faculté, l’absence de fermeture de l’établissement au sens du contrat » (Paris, 22 mars 2022, n° 21/07950, préc.).

Toutefois, il nous semble que la motivation proposée par la Cour, dans une seconde affaire de même nature, est plus satisfaisante car elle substitue à l’argument du caractère facultatif pour le restaurant d’exercer les activités de livraison et autres le critère de subsidiarité de ces activités. En effet, la Cour y motive ainsi sa décision : « l’interdiction de recevoir du public est bien une fermeture administrative totale ou partielle des restaurants, et ce...

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