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Petite brique apportée au Portail du justiciable : deux nouveaux arrêtés

Le Portail du justiciable est prévu par l’article 748-8 du code de procédure civile, issu du décret du 3 mai 2019. Ce texte appelle un arrêté technique. Depuis son entrée en vigueur, ce sont plusieurs arrêtés qui ont été pris : un arrêté « CPVE » du 6 mai 2019 et un autre « traitement automatisé » du 28 mai 2019 ; l’un et l’autre ont été modifiés par deux arrêtés du 18 février 2020. Les deux arrêtés consolidés ont été abrogés par deux arrêtés du 21 octobre 2021, qui les remplacent, sans bouleversement des règles posées, depuis le 25 octobre 2021.

Deux arrêtés du 21 octobre 2021 constituent une « nouvelle étape dans le cheminement à petits pas de la dématérialisation des procédures » et dans le déploiement du Portail du justiciable. Celui-ci est régi par l’article 748-8 du code de procédure civile, issu du décret du 3 mai 2019, dont l’alinéa 4 appelle un arrêté technique (pour l’historique récent et dense de l’art. 748-8 c. pr. civ. ; v. C. Bléry et J.-P. Teboul, Dématérialisation des procédures : saisine d’une juridiction par le Portail du justiciable, Dalloz actualité, 5 mars 2020 ; Adde C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, Nouveau décret de procédure civile : quelques briques pour une juridiction plateforme, Dalloz actualité, 24 mai 2019 ; Communication par voie électronique : publication d’un décret, D. 2019. 1058 ; C. Bléry, Portail du justiciable : complexité juridique mais faible avancée technique, Dalloz actualité, 17 juill. 2019). Manifestation de la plateformisation de la justice (sur cette dynamique, S. Amrani-Mekki, Les plateformes de résolution en ligne des différend, in X. Delpech, L’émergence d’un droit des plateformes, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2021, p. 189 s. ; T. Douville, Le juge en ligne, in J.-P. Clavier, L’algorithmisation de la justice, Larcier, 2020, p. 123 s. ; plus généralement, F. G’sell, Justice numérique, Dalloz, 2021), il a pour fonction de mettre en relation les justiciables et les juridictions…

Selon une méthode désormais rodée – même si elle ne facilite pas la lecture –, ce sont deux arrêtés qui ont été adoptés le 21 octobre 2021 : l’un est « relatif aux caractéristiques techniques de la communication par voie électronique via le “Portail du justiciable” », l’autre autorise « la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé “Portail du justiciable” ». Le premier seul est de la procédure civile – de la communication par voie électronique (CPVE) –, le second précise les contours du traitement de données mis en œuvre à partir du Portail du justiciable (il décrit les données pouvant être collectées, les finalités du traitement, la durée de conservation des données…). Ce qui est plus surprenant, sur le plan légistique, c’est que ces deux arrêtés abrogent leurs prédécesseurs des 6 (CPVE) et 28 (traitement de données) mai 2019, déjà consolidés par deux arrêtés (CPVE et traitement) du 18 février 2020. Or, contrairement aux arrêtés de 2020 qui constituaient une vraie réforme des arrêtés de 2019, les arrêtés de 2021 relèvent, à de rares exceptions, du toilettage : en effet, le contenu des textes consolidés est repris presque à la lettre par ceux qui les abrogent. Les deux arrêtés du 21 octobre sont déjà applicables, depuis le 25 octobre, lendemain de leur publication au Journal officiel.

Notons par ailleurs, qu’un autre arrêté concernant un traitement de données avait été adopté cet été (JO 9 juill.), sans « jumeau CPVE », à savoir l’arrêté du 25 juin 2021 autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Portalis contentieux prud’homal ». Il préparait l’ouverture du Portail au contentieux prud’homal, qui n’est pas encore à l’ordre du jour, sous réserve de quelques expérimentations…

Rappelons que l’article 748-8, dans sa rédaction issue du décret du 3 mai 2019 précité, a constitué une première mise en œuvre concrète de la CPVE version 2, en faisant entrer le Portail du justiciable dans le code de procédure civile et que l’article 748-3, modifié par le même décret, a accueilli la notion de « plateforme d’échanges dématérialisés »

Le Portail du justiciable permet au justiciable, depuis le 21 février 2020, d’adresser des requêtes par voie électronique à certaines juridictions civiles. Ce justiciable pouvait déjà, depuis 2019, bénéficier de la communication des informations relatives à l’état d’avancement des procédures civiles et des avis, convocations et récépissés émis par le greffe, ainsi que de la consultation de son dossier. Depuis 2020, le portail autorise « des flux sortants de la juridiction à destination du justiciable » et « accueille le flux entrant des actes de saisine, que sont les requêtes, soit le flux allant du justiciable vers la juridiction » (C. Bléry et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 5 mars 2020, préc.).

En 2019, mais surtout 2020, « les arrêtés techniques qui mettent en œuvre cette avancée suscit[aient] interrogations et étonnements de la part du processualiste »… (C. Bléry et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 5 mars 2020, préc.). Toutes les questions et hésitations d’alors ne sont pas dissipés par les nouveaux arrêtés. Nous nous intéresserons ici aux évolutions.

Notons que les arrêtés de 2020 prenaient leurs fondements, non seulement dans les dispositions du titre XXI du livre Ier du code de procédure civile, mais aussi dans des articles du code de procédure pénale (dont C. pr. pén., art. 801-1, 803-1, D. 589…), sans que des dispositions techniques régissent concrètement la question. C’est désormais chose faite : les nouveaux arrêtés visent désormais expressément les procédures civile et pénale, renvoient aux articles pertinents des codes de procédure civile et pénale. Le périmètre du Portail du justiciable se trouve fortement étendu, par cette évolution notable. Ainsi, les avis, convocations ou documents adressés par l’autorité judiciaire en matière pénale par tout moyen ou par lettre recommandés peuvent l’être par voie électronique sous réserve du consentement préalable de la personne concernée et du respect de certaines exigences techniques (C. pr. pén., art. 803-1). Remarquons que, si le consentement est une garantie classique contre l’« illectronisme », il est possible de douter qu’elle soit suffisante.

Alors que le Portail du justiciable avait été défini comme « une application fondée sur une communication par voie électronique des informations relatives à l’état d’avancement des procédures civiles utilisant le réseau internet » (Arr. 6 mai 2019, art. 1er, inchangé en 2020), il est désormais qualifié de « service » : c’est un « service fondé sur une communication par voie électronique des informations relatives à l’état d’avancement des procédures civiles et pénales utilisant le réseau internet » (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 1er)… Ce changement porte-t-il à conséquence ? La question se pose d’autant plus que l’article 8 du même arrêté continue à parler d’« application »… et qu’aucun texte ne définit la notion de juridiction plateforme (v. déjà, C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 24 mai 2019, préc.). Il aurait été cohérent de parler de « téléservice », expression qui désigne un « système d’information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives » (Ord. n° 2005-1516 du 8 déc. 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, art. 1, II, 4°), ici des démarches et des formalités judiciaires. Par ailleurs, le Portail est aussi qualifié de « système d’information fondé sur les procédés techniques d’envoi automatisé de données et d’éditions » (Arr. 6 mai 2019, art. 2, inchangé en 2020 ; Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 2) ou encore « un traitement automatisé de données à caractère personnel » (Arr. 28 mai 2019, art. 1er, inchangé en 2020 ; Arr. 21 oct. 2021 [traitement], art. 1er).

Sans changement, le Portail concerne les justiciables des juridictions judiciaires à l’exclusion de ceux des tribunaux de commerce (disposant de leur propre « tribunal digital », v. C. Bléry et T. Douville, Dalloz actualité, 19 avr. 2019) et de la Cour de cassation – le système étant aussi accessible aux greffes. Une amélioration est apportée qui vient de la liste actualisée et précisée des justiciables en question, à savoir ceux du « tribunal judiciaire [et non plus TGI] ou, le cas échéant, de l’une de ses chambres de proximité, d’un tribunal paritaire des baux ruraux, d’un conseil de prud’hommes, ou d’une cour d’appel » (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 1er).

Une autre modification terminologique concerne les flux entrants puisqu’il est désormais précisé que « le “Portail du justiciable” permet également au justiciable de saisir la justice via la requête numérique » (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 1er) : c’est plus précis qu’« adresser une requête à une juridiction », mais ne change rien quant aux actes de procédure que le justiciable peut effectuer grâce à la plateforme. L’article 5 continue d’ailleurs à énoncer sans changement que « le justiciable qui adresse sa requête via le “Portail du justiciable” doit accepter les conditions générales d’utilisation ». En fait, ces requêtes numériques sont loin de concerner toutes les matières, le développement se faisant de manière progressive : aujourd’hui, et sans changement avec les nouveaux arrêtés, la saisine en ligne est limitée à la possibilité de se constituer partie civile, d’adresser une requête au juge des tutelles en cours de mesure de protection par le majeur protégé, une requête au juge des tutelles en cours de mesure de protection par le représentant légal ou une requête au juge aux affaires familiales (L’accès au droit). Nul doute qu’il va s’élargir rapidement. On peut penser aux requêtes en matière de petits litiges, devant le conseil de prud’hommes…

En revanche, tout ce qui était prévu par les arrêtés de 2019 consolidés en 2020, pour les utilités et le fonctionnement du Portail, est reconduit (C. Bléry et J.-P. Teboul, Dalloz actualité, 5 mars 2020, préc.) : ainsi il permet par ex., « la consultation à distance par le justiciable de l’état d’avancement de son affaire judiciaire sur un portail personnel et sécurisé ou l’accès, grâce à une transmission sécurisée sur le portail, à certains documents dématérialisés, relatifs à ces mêmes procédures, tels que des avis, des convocations et des récépissés… » (A. 21 oct. 2021 [traitement de données], art. 1er)…

Arrêté « CPVE »

Les conditions d’inscription, d’acceptation… ne sont pas modifiées pour ce qui est des flux sortants (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 6 et 7). Tout au plus est-il précisé que les courriels, adressés via le Portail du justiciable, « les notifications de mise à jour relatives à l’état d’avancement de la procédure le concernant », sont des « messages automatiques dont les contenus sont de portée générique » (Arr. 21 oct. 2021 [CPVE], art. 8).

Comme déjà dit, « le “Portail du justiciable” permet au justiciable de saisir la justice via la requête numérique » (Arr. 21 oct. 2021, art. 1er). L’alinéa 4 précise toujours ce qu’est cette requête : elle « est composée des informations saisies par le justiciable ainsi que des pièces qu’il souhaite joindre à sa demande » ; l’alinéa 5, quant à lui, en précise les suites : « la réception de la requête génère automatiquement un avis électronique de réception à destination du justiciable. Cet avis contient la date de la saisine, le numéro de la saisine ainsi que la juridiction saisie. Il tient lieu de visa par le greffe au sens de l’article 769 du code de procédure civile ». En 2020, nous nous demandions s’il n’aurait pas été plus cohérent de mentionner le régime général de l’article 748-3, qui a posé le principe d’équivalence pour toutes les juridictions et toutes les procédures (sous réserve qu’un arrêté technique permette la CPVE) – plutôt que l’article 769 spécifique au tribunal judiciaire. C’est pourtant toujours l’article 769 qui est mentionné…

Arrêté « traitement de données »

De son côté, l’arrêté « traitement » vise de nouvelles données. Dans « les catégories d’informations et de données à caractère personnel (qui ne sont plus communes à toutes les procédures) enregistrées dans le traitement », figurent « le statut de la requête : brouillon, échec, envoyée, réceptionnée enregistrée » ou « le numéro de dossier judiciaire, le numéro d’identification permettant la connexion à l’espace personnel » à la place du « numéro d’affaire PORTALIS [et du] le numéro de dossier ». Il est vrai que, en 2020, l’alinéa 4 de l’article 1er de l’arrêté CPVE suscitait une interrogation : il visait le numéro de saisine, alors que l’article 2 de l’arrêté « traitement automatisé » consolidé distinguait « le numéro d’affaire Portalis » et « le numéro de dossier »… Un vocabulaire plus précis nous semblait infiniment souhaitable… le vocabulaire a changé : il n’est pas forcément plus précis.

Surtout les coordonnées plus développées et précises de davantage de personnes sont énumérées.

En revanche « les personnes ou catégories de personnes qui peuvent directement accéder aux données enregistrées dans le traitement » demeurent en l’état : outre les justiciables et les agents du greffe « individuellement désignés et dûment habilités par le directeur de greffe », « les magistrats, individuellement désignés et dûment habilités par le directeur de greffe » (art. 3). En 2020, nous nous demandions comment serait reçu cet article 3 ? Quoi qu’il en ait été, la règle est reconduite…

Par ailleurs, la durée de conservation des données relatives aux requêtes, prévue depuis 2020, diffère de celle relative aux flux sortants, est maintenue (art. 4), ce qui s’explique par la différence de finalités poursuivies.

Enfin l’article 5 de l’arrêté « traitement automatisé de données » s’attache aux droits des personnes concernées en distinguant les flux sortants et entrants. Pour les flux sortants, le droit d’accès s’exerce à travers l’espace personnel sécurisé du justiciable. Le droit de rectification est écarté conformément aux exigences de l’article 23 du RGPD afin de « garantir les procédures judiciaires » ; l’objectif est d’éviter toute modification des données.

Une exception est prévue concernant l’identité et les coordonnées du justiciable, ce droit devant s’exercer auprès du greffe de la juridiction en charge de l’affaire. Pour les flux entrants, les droits précités s’exercent jusqu’à l’envoi de la requête numérique puis sont écartés ; il peut sembler étonnant que le droit d’accès ne soit pas maintenu à travers l’espace personnel sécurisé du justiciable, comme le droit de rectification par l’intermédiaire du greffe de la juridiction. Les autres droits des personnes concernées (limitation, opposition, effacement) sont écartés. Un régime spécifique s’applique par ailleurs aux autres personnes concernées par une requête que celui qui l’a introduite et pour les autres personnes concernées par une consultation à distance de l’état d’avancement d’une affaire.

En définitive, ces deux arrêtés étendent le périmètre du Portail du justiciable aux procédures pénales tout en conservant la même architecture d’ensemble. Il reste à espérer l’avènement de dispositions générales consacrées à la procédure numérique afin d’éviter la combinaison délicate des dispositions des codes de procédure civile et pénale et des arrêtés techniques et concernant les traitements de données. La légistique à petits pas est troublante, peu rassurante et très lisible, pour celui qui doit appliquer des règles mouvantes…