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La PJ est-elle morte ? Dans les coulisses du « casse du siècle »

Trépidante chronique du monde de la PJ, par l’un de ses acteurs de l’intérieur, plongeant au cœur de l’institution à travers la tentaculaire enquête consécutive au gigantesque braquage de l’une des plus célèbres bijouteries de l’avenue Montaigne.

par Thibault Ravel d'Esclaponle 6 février 2020

La passionnante – et palpitante – odyssée que propose Christophe Korell, en plein cœur de la police judiciaire, évidemment plus connue sous son légendaire acronyme de PJ, commence par une question pour le moins iconoclaste. La PJ est-elle morte ? Mais la réponse se trouve immédiatement dans l’autre partie du titre, étant donné qu’il s’agit de nous faire rentrer dans les coulisses du « casse du siècle ». Le résultat de cette enquête hallucinante et impressionnante, par son ampleur et dans tous les sens du terme, est assurément la preuve de ce que la PJ n’est pas morte. Oui, elle n’est pas morte et, oui, il faut en dresser l’habile chronique par quelqu’un de l’intérieur, qui peut rendre compte, de manière légitime, de ses us et coutumes, de ses pratiques et de ses habitudes. La PJ est tout un monde dans lequel il convient d’entrer avec un guide expert.

Christophe Korell est un expert de cet environnement curieux et fascinant. On peut dire qu’il y a fait ses classes, formé à l’école de la PJ. Il est depuis 1996 dans les services de police, entré comme gardien de la paix. Puis, il change et évolue. Le terrain, comme il le dit avec justesse, devient son bureau. Il enquête. L’on ne pouvait trouver meilleur guide pour tenter de comprendre au mieux cette institution qu’il estime méconnue du grand public. Son projet ? Raconter la PJ – ce microcosme (p. 205) – à travers une affaire et son histoire personnelle. C’est, selon ses mots, « une alternance entre le chaud et le froid » (p. 14). Aussi lit-on, à la manière d’un thriller avec un suspense particulièrement soutenu, le récit de cette incroyable enquête qui a suivi le(s) cambriolage(s) de l’une des plus célèbres bijouteries de l’avenue Montaigne. Acte 1 et acte 2 se déroulent devant les yeux du lecteur quelque peu ébahi par le montant du préjudice, ce d’autant que l’enseigne en question n’avait pas subi de braquage depuis 1957. « 85 millions de dollars de préjudice, sept mois d’enquête, six enquêteurs à temps plein, plus de quarante-cinq écoutes téléphoniques et deux mille feuillets de procès-verbaux (sans compter les procédures d’écoutes). Un total dépassant les 8 500 heures de travail réparties sur six fonctionnaires (…) » (p. 201). Mais le récit est entrecoupé d’une vingtaine de billets, issus de textes rédigés « à chaud sur des plateformes de microblogging depuis dix ans ». Dès lors, c’est plutôt une sorte de « chaud » continu que propose cet ouvrage, entre la chaleur de l’histoire de la bijouterie et celles de ses réactions et réflexions qui ponctuent l’enquête. En effet, l’enquête n’est pas de tout repos : « en général, il n’y a pas le confort du rendez-vous fixé vingt-quatre heures plus tard, pour lequel on peut s’organiser (…) ». Comme le fait observer Christophe Korell, « la plupart du temps, c’est sur l’instant » (p. 95). Rien n’est tranquille dans le travail d’investigation et spécifiquement pour ce dossier. « Le travail sur une enquête n’est pas linéaire et ne s’accorde pas au cycle des saisons ni même des week-ends, et certainement pas des fêtes de famille ».

Les coups de théâtre sont légion dans le dossier de la bijouterie. Des détails d’un jour, qui ne le sont plus le lendemain, surgissent. Les confrontations avec le cerveau du casse sont passionnantes, les auditions défilent, les filatures et enquêtes s’enchaînent à un rythme voulu effréné par l’auteur. Et tout au long de l’ouvrage, ce qui en rend d’ailleurs aussi la lecture très stimulante, Christophe Korell se livre lui-même avec une remarquable franchise : « j’essaie d’évoluer dans ce dossier. Il faut avancer, mettre au jour des éléments de preuve, identifier de nouveaux auteurs : c’est le travail d’un enquêteur. Il y a les bonnes périodes, où les découvertes s’enchaînent : vous arrivez à comprendre certains points du déroulement des faits et de la vie des malfaiteurs. Ces périodes sont fastes, elles font du bien au moral et vous poussent à aller encore plus loin. Ce sont les temps forts. Et puis, comme pour toute bonne chose, il y a leur contraire : les périodes moins bonnes, les temps faibles où, quoi que vous fassiez, vous n’avancez pas. Une nouvelle piste ? On la creuse, on l’exploite pendant des jours et des jours pour, finalement, tomber sur un os. On s’est trompé, c’est une voie sans issue. Ces moments-là ne sont pas évidents » (p. 111). Up and down, chaud et froid : c’est le quotidien d’un officier de la PJ, même lorsqu’il est affecté à une affaire aussi importante que celle de la bijouterie parisienne.

Au-delà de son support principal, « le casse du siècle », ce qui singularise cet ouvrage tient à la présence de ces nombreux billets qui permettent aussi de restituer le métier de Christophe Korell dans son contexte. La PJ, écrit l’auteur, est un microcosme. Elle est un point de rencontre et de contacts entre de nombreux protagonistes, nouant des liens entre eux. Victimes, magistrats, avocats, malfrats : tous interagissent. Christophe Korell livre ses impressions sur ces relations mais aborde également des sujets ayant trait à la façon de mener son enquête, à l’aveu, ou encore à son déménagement pour travailler au sein de la PJ des Antilles. Mis bout à bout, l’enquêteur livre une sorte de carnet de bord, riche de réflexions sur ce qu’est concrètement la PJ et qui permet de se faire une idée sur ce fascinant métier.

Finalement, l’affaire du « casse du siècle » est résolue. Dépression, dépressurisation ? Christophe Korell s’interroge. Il demeure que « si chaque service a son lot d’affaires d’une ampleur remarquables, les autres, bien plus banales, représentent la majorité » (p. 211). Indiscutablement, la pression retombe. Mais pour autant, à lire cet ouvrage, en dépit du calme relatif qui peut parfois régner en certaines périodes, on sent bien qu’à la PJ, rien n’est jamais vraiment insignifiant. En tout cas, elle n’est pas morte.

Thibault de Ravel d’Esclapon

C. Korell, La PJ est-elle morte ? Dans les coulisses du « casse du siècle », Enrick B. éds, 2019