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Le placement à l’ASE ne peut s’effectuer au domicile d’un ou des parents (bis repetita)

En application des articles 375, 375-2 et 375-3, 3°, du code civil, lorsqu’il décide de confier un mineur à l’Aide sociale à l’enfance, le juge des enfants ne peut pas ordonner que le placement s’effectue au domicile d’un ou des deux parents.

La première chambre civile de la Cour de cassation rappelle, une nouvelle fois, que le placement d’un enfant à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ne peut pas prendre la forme d’un placement éducatif au domicile de l’un ou des deux parents. Il en résulte une censure de l’arrêt d’appel qui, en l’espèce, ordonna le placement de l’enfant à l’ASE, tout en précisant qu’il s’effectuera au domicile de la mère. Sans surprise, la Cour de cassation s’inscrit dans le droit-fil de sa jurisprudence initiée il y a un peu plus d’un an, et dont cet arrêt constitue le troisième acte.

Acte 1

L’arrêt annoté prend sa source dans l’avis rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 14 février 2024 (Cass., avis, 14 févr. 2024, n° 23-70.015, Dalloz actualité, 1er mars 2024, obs. L. Gareil-Sutter ; D. 2024. 1114 , note F. Rogue ; ibid. 2025. 564, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2024. 237, obs. L. Gebler ; ibid. 121, obs. B. Mallevaey ), grâce auquel la Haute juridiction a clarifié la qualification du « placement éducatif à domicile » (PEAD) en droit de l’assistance éducative.

La mesure de PEAD s’est développée dans les années 1980 (v. B. Azéma, Le placement à domicile : une formule sémantique censurée, pourtant une mesure éducative qui a fait ses preuves, AJ fam. 2025. 256 ) et révèle une diversification des modalités de prises en charge, de plus en plus variées et graduées, dont certaines ont été peu à peu consacrées par le législateur (v. S. Stella, Possibilité pour le juge de prononcer des mesures de milieu ouvert renforcées ou intensifiées, AJ fam 2022. 316 ; F. Capelier, La loi n° 2022-140 du 7 février 2022 ; relative à la protection des enfants, commentée article par article, AJ fam. 2022. 139 ). Pour autant, le PEAD continue d’être ignoré des textes, alors qu’il concernerait en pratique entre 5 000 et 6 000 enfants (Rapp. IGAS, Démarche de consensus relative aux interventions de protection de l’enfance à domicile, n° 2019-036R, déc. 2019, p. 5). Sans revenir sur les hypothèses dans lesquelles une mesure de PAED pourrait être utile (v. Rapp. IGAS, préc., p. 58-59 ; D. Mulliez, Le « placement à domicile » ou Kafka en protection de l’enfance, in Le blog de J.-P. Rosenczveig, Le Monde, 18 févr. 2023), son recours pallie aussi, et peut-être même surtout, le déficit de moyens alloués à la protection de l’enfance par les départements (v. not., en ce sens, Y. Bernand, Les évolutions du droit procédural de l’assistance éducative, D. 2024, 176 ).

Quoi qu’il en soit, sa qualification était incertaine, tant sa « porosité » (F. Capelier, Milieu ouvert et accueil : quelles réponses aux besoins de l’enfant ?, AJ fam. 2025. 209 ) brouillait la distinction entre la mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) et le placement. Placé à l’ASE, mais sans être confié à un tiers, l’enfant demeure dans son milieu familial naturel, tout en bénéficiant d’une intervention à domicile de soutien à la parentalité par des professionnels du service d’assistance éducative. Un peu comme si le juge des enfants pouvait distinguer, en quelque sorte, le placement « formel » de l’enfant à l’ASE de son placement « matériel » ou « réel » chez ses parents. Ce placement de façade, ou externalisé, soulevait également de nombreuses questions pratiques : qu’en déduire, notamment, en matière de responsabilité civile, d’exercice des actes usuels ou de prise en charge des frais de l’enfant ? Ainsi devenait-il impératif que la Cour de cassation prenne position sur la question de savoir si le PEAD correspond, en réalité, à une mesure de placement à l’ASE, au sens de l’article 375-3, 3°, du code civil, ou à une AEMO intensifiée ou renforcée, avec autorisation d’hébergement, au sens de l’article 373-2 du même code.

Dans sa réponse à la demande d’avis formulée par le juge des enfants du Tribunal judiciaire de Moulins, la Cour a juridiquement rattaché le PEAD à une AEMO intensifiée ou renforcée pour deux raisons essentielles. D’une part, considérer le PEAD comme un « placement » est incompatible avec les principes directeurs de l’assistance éducative. Le placement à l’ASE est une mesure subsidiaire (C. civ., art. 375-3) au maintien priorisé de l’enfant dans son milieu familial (C. civ., art. 375-2, al. 1er), lorsque le danger (C. civ., art. 375) qu’encourt l’enfant impose de l’extraire de son ou ses parents. Autrement dit, si le danger commande de placer l’enfant, c’est qu’il ne peut demeurer dans son milieu naturel et, en tout état de cause, le cumul d’un placement à l’ASE et d’une AEMO est impossible (v. déjà 2 arrêts précurseurs, Civ. 1re, 29 juin 1994, n° 92-05.043 ; 27 mai 2003, n° 03-05.025, D. 2003. 1664, et les obs. ; AJ fam. 2003. 267, obs. F. B. ; RDSS 2003. 480, obs. F. Monéger ; RTD civ. 2003. 493, obs. J. Hauser ).

D’autre part, cette qualification est conforme au régime juridique de l’AEMO, en particulier en ce qui concerne les règles relatives à la responsabilité civile. Au sens de l’article 1242, alinéa 4, du code civil, la responsabilité civile de plein droit des parents du fait de leur enfant mineur, conséquence de leur autorité parentale, prend fin lorsque l’enfant a été confié à un tiers par une décision administrative ou judiciaire (Cass., ass. plén., 28 juin 2024, n° 22-84.760 B+R, Dalloz actualité, 9 juill. 2024, obs. K. Buhler Bonafini ; D. 2024. 1751 , note L. Perdrix ; ibid. 1548, obs. P. Bonfils et...

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