Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

PLPRJ 2018-2022 : expérimenter une déjudiciarisation de la fixation des révisions des pensions alimentaires

L’article 6 du PLPRJ 2018-2022 prévoit d’offrir aux parents la possibilité d’obtenir plus rapidement un titre exécutoire portant sur le seul montant de la contribution à l’entretien et l’éducation des mineurs, par application d’un barème.

par Aude Mirkovicle 9 mai 2018

Un des objectifs du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice est d’opérer un « recentrage de la justice sur ses missions premières : trancher les conflits et protéger les droits et libertés des citoyens » (rapport annexe, p. 9). À cette fin, le projet poursuit un mouvement devenu récurrent de déjudiciarisation de certaines procédures en confiant, à titre expérimental, la révision du montant des pensions alimentaires fixées au titre de l’entretien et l’éducation des enfants aux organismes débiteurs des prestations familiales (essentiellement les caisses d’allocations familiales) et à des officiers publics ou ministériels. Rappelons que, en tant que titulaire de l’autorité parentale, chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur (C. civ., art. 371-2). 

Lorsque les parents vivent ensemble et avec l’enfant, cette obligation s’exécute sans organisation particulière. Lorsque les parents sont séparés, entre eux ou avec l’enfant, elle prend la forme d’une pension alimentaire versée par l’un des parents à l’autre, ou à la personne à laquelle l’enfant a été confié. Les modalités et les garanties de cette pension sont fixées par une convention homologuée ou, à défaut, par le juge (C. civ., art. 373-2-2). Elles peuvent encore figurer dans la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire (divorce non judiciaire).

Les modalités de la pension peuvent être modifiées ou complétées à tout moment par le juge, à la demande des ou d’un parent ou du ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non (C. civ., art. 373-2-13). Ainsi, l’obtention d’un titre exécutoire pour modifier le montant de la pension alimentaire passe obligatoirement par le juge. Les parents peuvent toujours convenir d’une modification mais à leurs risques et périls, car seul le titre délivré par le juge est exécutoire.

Plusieurs mesures ont été adoptées récemment pour simplifier le contentieux des pensions alimentaires. Ainsi, lorsque les parents demandent l’homologation de leur convention, ils ne sont plus systématiquement entendus par le juge qui « statue sur la requête sans débat, à moins qu’il n’estime nécessaire d’entendre les parties » (C. pr. civ., art. 1143, issu du décr. n° 2016-1906 du 28 déc. 2016).

Par ailleurs, le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales (principalement la CAF) peut donner force exécutoire à l’accord par lequel les parents qui se séparent après concubinage ou PACS fixent le montant de la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants, dès lors qu’aucun montant n’a précédemment été fixé par une décision de justice, une convention de divorce non judiciaire ou un acte authentique (CSS, art. L. 582-2, issu de la loi n° 2016-1828 du 23 déc. 2016). La décision du directeur de la CAF donne ainsi un titre exécutoire permettant le recouvrement forcé.

Le projet envisage de poursuivre ce mouvement en confiant la modification du montant des pensions alimentaires aux caisses d’allocations familiales et à des officiers publics et ministériels, qui seraient ainsi habilités, dans le respect des garanties de compétence et d’impartialité, à dispenser le titre exécutoire de modification du montant de la pension dans certaines conditions.

Ce dispositif serait adopté par ordonnance par le gouvernement, à titre expérimental pour une durée limitée à trois ans et dans quelques départements où le créancier devra résider ou avoir élu domicile. L’expérimentation ferait l’objet d’une évaluation dont les résultats seraient transmis au Parlement au plus tard six mois avant son terme.

Pour faciliter la tâche des autorités habilitées, le montant de la pension serait révisé « sur la base d’un barème national ». Cette référence à un barème encourt le risque que le montant de la pension soit déterminé en référence à des paramètres statistiques et ne corresponde pas à la spécificité de chaque situation. En effet, comment assurer « le respect des garanties de compétence et d’impartialité » annoncées par le texte ? Il est à craindre que les officiers publics et les caisses d’allocations familiales, n’ayant pas de compétence particulière, s’en remettent au barème à moins qu’un logiciel ne s’en charge, alors que chaque situation intègre de nombreux paramètres qu’il sera bien délicat de croiser pour un résultat adapté.

L’étude d’impact comme l’exposé des motifs annoncent certes que l’expérimentation sera limitée « aux cas les plus simples, où il est possible de se référer à un barème » (étude d’impact, p. 61), à savoir « les modifications les plus simples liées à une modification des revenus … qui n’appellent pas d’appréciation circonstanciée des éléments du cas d’espèce » (étude d’impact, p. 59). En revanche, « lorsque la situation examinée présente des particularités qui l’éloignent trop [des moyennes] pour que l’application du barème aboutisse à un résultat juste et approprié, une appréciation circonstanciée est nécessaire. Ont ainsi été écartées du champ de l’expérimentation les modifications complexes, imposant une appréciation circonstanciée des éléments du cas d’espèce. Ainsi, le juge continuerait à examiner les cas de déménagement entraînant une évolution du coût de logement et/ou une évolution des frais de trajet relatif à l’exercice du droit de visite et d’hébergement et d’inscription de l’enfant dans un établissement privé, d’arrêt d’une activité sportive onéreuse, etc. » (étude d’impact, p. 60).

Pourtant, une telle limitation de la déjudiciarisation aux cas les plus simples ne figure pas dans le texte d’habilitation de l’article 6 qui prévoit au contraire de façon assez large que « la demande modificative est fondée sur l’évolution des ressources des parents ou sur l’évolution, par accord des parties, des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement », ce qui n’exclut pas le cas d’un déménagement avec ses conséquences complexes. La seule réserve à la déjudiciarisation est l’absence d’accord des parties sur l’évolution des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement, ce qui semble bien le minimum, mais l’évolution de ces conditions, en l’accord des parties, peut susciter des situations complexes soustraites à la compétence du juge.

Le texte en l’état présente donc, de l’aveu même de ses promoteurs, un risque de plaquage de moyennes inadaptées à des situations particulières. Ce risque est d’autant plus réel que, si le texte prévoit que les documents ou pièces produits à l’autorité (caisses d’allocations familiales et officiers publics et ministériels) devront être portés à la connaissance de chacune des parties, il permet également à l’autorité, en cas de carence d’un parent de produire les renseignements et documents requis, de moduler forfaitairement le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation. L’autorité pourra donc délivrer un titre exécutoire révisant le montant d’une pension en référence à des moyennes statistiques et sans disposer des renseignements relatifs au cas concret, sans doute faute pour un des parents d’avoir fourni les documents nécessaires, mais avec le risque que le résultat ne desserve finalement l’enfant dès lors que cette pension est destinée à son entretien et son éducation.

L’étude d’impact explique d’ailleurs que la possibilité de simplifier la procédure devant le juge « en prévoyant l’application de manière systématique d’un barème, plutôt que de motiver sa décision sur les éléments d’une espèce déterminée (en énonçant les revenus, la situation des parents…) », a été écartée notamment parce que « la Cour de cassation sanctionne dans d’autres domaines l’utilisation de barème sans rechercher in concreto des éléments permettant la prise de la décision, ou bien la référence à des règles établies à l’avance pour justifier une décision, ou encore la décision qui se fonde sur une table de référence sans considération de l’espèce ». Mais, précisément, si la Cour de cassation sanctionne l’application d’un barème sans recherche in concreto, c’est en raison du risque d’arbitraire et d’inadaptation du résultat qui en résulte et le fait de transférer ce système à la CAF ou à des officiers publics et ministériels ne résout aucun de ces problèmes.

Il est certes prévu que l’ordonnance devra « organiser un recours devant le juge aux affaires familiales, en cas de contestation du titre », mais une telle possibilité de recours ne supprime pas le risque d’arbitraire qui pèse sur la révision fixée en référence à un barème.

Comment ne pas s’étonner par ailleurs que l’étude impact ajoute que « la première fixation d’une pension alimentaire, qui nécessite une première analyse globale de la situation familiale et sert ensuite de référence, apparaît encore devoir relever de l’expertise juridictionnelle » (étude d’impact, p. 60), alors même que la loi actuelle permet déjà au directeur de la CAF de délivrer un titre exécutoire en cas d’accord des parents (qui n’ont pas été mariés) sur la première fixation du montant d’une pension alimentaire (CSS, art. L. 582-2) ?

Justement, sachant que le directeur de la CAF peut dans certaines conditions délivrer le titre exécutoire fixant le montant initial de la pension, comment expliquer que la compétence conférée aux CAF (et officiers publics et ministériels) de modifier le montant de la pension soit réservé aux cas où ce montant « a antérieurement fait l’objet d’une fixation par l’autorité judiciaire, d’une convention homologuée par elle, ou d’une convention de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire » ? La CAF ne pourrait-elle donc pas modifier le montant de la pension lorsqu’elle a elle-même donné force exécutoire au montant convenu au départ entre les parents ? Autrement dit, elle pourrait modifier le montant fixé par le juge, mais non celui fixé par son propre directeur ? Il résulte de l’ensemble un manque de cohérence qui ne rassure pas sur la pertinence de l’ensemble du dispositif.

Les bonnes intentions ne manquent certes pas au soutien de ce projet : « offrir aux parents la possibilité d’obtenir rapidement un titre exécutoire », sachant que, actuellement, « la durée moyenne de traitement des demandes … présentées aux juges aux affaires familiales n’est pas inférieure à six mois et tend à augmenter », éviter que « le passage obligé devant l’autorité judiciaire, pour un motif purement financier, envenime les relations, notamment lorsque la révision du montant de la pension alimentaire fournit l’occasion d’une surenchère de demandes portant sur d’autres aspects (demande de modification des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement du débiteur de la pension par exemple) », « réduire le délai de traitement des demandes et alléger en partie le stock d’affaires soumises au juge aux affaires familiales » (étude d’impact, p. 56). Notons qu’il n’est pas certain que ce dernier calcul soit exact, car le contentieux soustrait au juge pourrait resurgir plus tard comme autant de bombes à retardement, le passage par le juge assurant une certaine garantie.

L’étude d’impact tempère d’ailleurs l’enthousiasme en relevant que « le recours à un officier public ministériel n’est pas gratuit et que le parent sollicitant pourrait, si cette option est retenue, ne plus bénéficier de la gratuité que le recours au juge sans avocat obligatoire lui offre actuellement » (étude d’impact, p. 61). Mais, surtout, cette déjudiciarisation comme remède à l’engorgement des tribunaux en raison des contentieux familiaux laisse perplexe.

Si les tribunaux sont surchargés de demandes relatives à l’autorité parentale et à la contribution à l’entretien de l’enfant en particulier, c’est parce que les parents se séparent de plus en plus et de plus en plus tôt, ce qui laisse ensuite de nombreuses années de contentieux potentiel et, au minimum, d’ajustements car les mesures prises ab initio ont peu de chance de demeurer pertinentes sur la durée que supposent les séparations précoces.

Dans ces conditions, n’est-il pas paradoxal que les projets successifs n’aient jamais pour objectifs de diminuer le contentieux en favorisant la stabilité familiale, et se contentent de déplacer ce contentieux en le retirant au juge pour le confier à d’autres ? Le contexte familial qui repose sur un engagement est le mariage : or, ce dernier n’est en rien valorisé. Bien au contraire, les réformes successives s’emploient à lui retirer toute spécificité et donc tout intérêt, et à faciliter de plus en plus le divorce tandis que rien n’est proposé, ni même pensé, pour encourager le mariage durable. N’est-il pas temps de sortir de ce paradoxe ? Déjudiciariser le contentieux des séparations ne le réduit pas. Quelques mesures, fiscales par exemple, de nature à encourager la stabilité familiale ne seraient-elles pas plus pertinentes pour désengorger, réellement cette fois, les tribunaux ?