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Point de départ de l’action en requalification d’un contrat en bail commercial

Le délai de prescription biennale, applicable à l’action en requalification d’un contrat en bail commercial court, en présence d’une succession de conventions distinctes et dérogatoires, à compter de la conclusion de celle dont la requalification est recherchée.

par Timothée Brault, Avocatle 19 juin 2023

Entre le 15 novembre 2009 et le 31 octobre 2015, pas moins de sept conventions locatives ont successivement conféré à une société le droit d’occuper un immeuble appartenant à la commune de Courchevel. Comme cela est souvent le cas lorsque le propriétaire est une collectivité territoriale, l’occupation avait vocation à demeurer précaire, lesdites conventions étaient d’ailleurs intitulées en ce sens. Le preneur destinait les locaux à l’hébergement de son personnel puisqu’il exploitait, non loin de là, un commerce de piano-bar-restauration.

La dernière convention, à effet du 1er novembre 2014, devant expirer fin octobre 2015, la commune adressait à la société locataire, en début de mois, un projet d’acte de renouvellement « stipulant une durée de sept mois à l’issue de laquelle le preneur devra quitter les lieux ». Ce qui aurait pu constituer la huitième convention successivement conclue entre les parties restera au stade de projet.

Le preneur, n’acceptant pas qu’il soit ainsi mit fin à la relation contractuelle (ininterrompue depuis le premier contrat de 2009), optait plutôt pour une reconnaissance judiciaire de son droit d’occupation qui deviendrait beaucoup moins précaire dès lors qu’il bénéficierait du statut protecteur des baux commerciaux. C’est donc à ces fins que le tribunal de grande instance d’Albertville a été saisi par la société locataire en 2016 et, devenu tribunal judiciaire, il la déboutait de ses prétentions, les jugeant irrecevables car prescrites.

Historiquement occupant précaire des lieux, le preneur devenait « occupant sans droit ni titre » dont l’expulsion avait été ordonnée ; il relevait en conséquence appel de la décision rendue à son encontre en première instance. La cour d’appel de Chambéry (Chambéry, 1re ch., 15 mars 2022, n° 20/00129) s’est montrée peu réceptive aux arguments de l’appelant en estimant que c’était « par une exacte appréciation des circonstances de la cause et une motivation pertinente que la cour adopte expressément, que les premiers juges ont jugé » prescrite la demande de la société locataire.

L’appréciation des juges du fond ne résistera pas à l’examen de la haute juridiction qui censurera, en toutes ses dispositions, l’arrêt d’appel critiqué par le pourvoi du preneur.

Quelle demande ?

La demande, prescrite selon le tribunal et la cour, était celle par laquelle la société locataire espérait obtenir la requalification de sa convention locative en bail commercial statutaire.

Il est vrai qu’une « convention d’occupation précaire, ne constituant nullement un bail commercial », s’en distingue en ce qu’elle ne peut offrir à l’occupant la sérénité que lui conférerait un contrat relevant des dispositions du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953, devenu les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce (Civ. 3e, 30 avr. 1969, Bull. civ. III, n° 344).

C’est précisément dans le corps de l’article L. 145-1 précité que le législateur a fixé les conditions permettant à un locataire, hors extension conventionnelle, de revendiquer le bénéfice du statut (un local, un fonds exploité, une immatriculation).

L’usage réservé à l’immeuble précairement occupé (logement du personnel d’un fonds exploité dans d’autres locaux) pouvait donner lieu à un débat intéressant sur la requalification en bail commercial, la jurisprudence ayant par le passé admis qu’en présence d’un local accessoire « indispensable à l’exploitation du fonds de commerce », le contrat encourait la requalification (Civ. 3e, 15 févr. 2018, n° 16-19.522, AJDI 2018. 278 ).

Mais les juges du fond, pour l’avoir préalablement déclarée irrecevable, n’auront pas eu à se prononcer sur la demande de requalification.

Sur la prescription

Puisqu’elle tend à l’application des règles statutaires, l’action en requalification d’un contrat en bail commercial est encadrée par le délai de prescription propre au statut (Civ. 3e, 29 oct. 2008, n° 07-16.185, AJDI 2009. 123 , obs. A. Mbotaingar ) et la jurisprudence récente est venue confirmer cette solution (Civ. 3e, 7 déc. 2022, n° 21-23.103, Dalloz actualité, 17 janv. 2023, obs. P. Gaiardo ; D. 2022. 2221 ; AJDI 2023. 113 , obs. J.-P. Blatter ; Rev. prat. rec. 2023. 23, chron. E. Morgantini et S. Gonon ).

Il ne saurait donc être reproché au tribunal et à la cour d’avoir estimé que l’action du locataire se prescrivait ici par deux ans (C. com., art. L. 145-60), mais plutôt d’en avoir déduit, après computation litigieuse, que la fin de non-recevoir vraisemblablement soulevée par le propriétaire (C. civ., art. 2247) devait être accueillie. Le principal grief fait aux jugement et arrêt rendus portait effectivement sur ladite computation et, en particulier, sur le point de départ retenu.

Sur le point de départ

Appréciation des juges du fond. Le principe, hérité du droit romain, est celui selon lequel prescription ne court à l’égard de « l’incapable » afin que l’écoulement du temps ne desserve pas le justiciable qui, pour...

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