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Portail du justiciable : complexité juridique mais faible avancée technique

L’article 748-8 du code de procédure civile, issu du décret du 3 mai 2019, appelait un arrêté technique. En fait, ce sont deux arrêtés qui ont été pris les 6 et 28 mai 2019.

par Corinne Bléryle 17 juillet 2019

Au JO du 4 mai 2019 a été publié un décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 portant diverses mesures relatives à la communication par voie électronique (CPVE) en matière civile et à la notification des actes à l’étranger. L’essentiel résidait dans une première mise en œuvre concrète de ce que nous appelons « communication par voie électronique 2.0 » (sur cet aspect numérique, v. Dalloz actualité, 24 mai 2019, art. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul ), surtout pour les personnes morales visées à l’article 692-1 du code de procédure civile, mais aussi pour les particuliers : en effet, selon sa notice, le décret « adapte les règles de la communication électronique à l’utilisation d’une plateforme d’échanges dématérialisés utilisée avec les personnes mentionnées à l’article 692-1 du code de procédure civile. Il ouvre aux justiciables qui y consentent la possibilité de recevoir sur le portail du justiciable du ministère de la justice les avis, convocations et récépissés qui leur sont adressés par le greffe ». Si cette notice suscitait l’enthousiasme, le décret lui-même faisait naître de nombreuses interrogations, notamment quant aux modalités de mise en œuvre…

Des éléments de réponse sont apportés par deux arrêtés techniques relatifs au Portail du justiciable, qui étaient appelés par l’article 748-8 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret. Publiés au Journal officiel du 6 juin 2019, l’un date du 6 mai, l’autre du 28 mai. Des questions subsistent cependant…

Rappelons seulement (pour un rappel général du contexte de la CPVE, v. Dalloz actualité, 24 mai 2019, art. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, préc.) que le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 avait créé, notamment, un article 748-8 figurant au titre XXI du livre Ier du code de procédure civile. Ce texte avait permis que les « avis » dont la communication était prévue « par tout moyen » soient transmis par courriels et textos. Un consentement exprès, spécifique, toujours révocable était nécessaire pour que ces avis soient transmis par textos ou courriels. Quel qu’ait été le destinataire, il devait donc consentir à l’utilisation de la voie électronique ou du message écrit transmis au numéro de téléphone. La déclaration d’adresse ou de numéro de téléphone devait être préalable, viser spécialement l’instance en cours, à charge pour le déclarant de signaler toute modification de ses coordonnées déclarées. Il semblait que « la communication du courriel ou d’un numéro de téléphone [devait] suffire à caractériser le consentement exprès (contra Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, n° 120, à propos des convocations des personnes morales) ».

En outre, l’article 748-8 issu du décret de 2015 dérogeait à l’article 748-6, en ce sens qu’un arrêté technique n’était pas nécessaire à la mise en œuvre de l’article 748-8 : le texte ne se préoccupait pas d’organiser techniquement la confidentialité des transmissions.

Or le décret du 3 mai 2019 a fait subir une modification très importante à l’article 748-8, qui aura eu – dans sa mouture 2015 – une existence plutôt éphémère. L’article ne réglemente plus les courriels et les textos transmettant des avis. Il régit désormais le « Portail du justiciable » (v. Dalloz actualité, 24 mai 2019, art. C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, préc.). Celui-ci est défini comme « une application fondée sur une communication par voie électronique des informations relatives à l’état d’avancement des procédures civiles utilisant le réseau internet » (Arr. 6 mai 2019, art. 1er), « un système d’information fondé sur les procédés techniques d’envoi automatisé de données et d’éditions » (Arr. 6 mai 2019, art. 2 ; v. aussi Arr. 28 mai 2019, art. 1er). Ce portail concerne les justiciables des juridictions judiciaires à l’exclusion de ceux des tribunaux de commerce (disposant de leur propre « tribunal digital » (v. Dalloz actualité, 19 avr. 2019, art. C. Bléry et T. Douville isset(node/195511) ? node/195511 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195511) et de la Cour de cassation : c’est ainsi qu’« il permet la communication par voie électronique au justiciable des avis, convocations et récépissés émis par le greffe d’un tribunal d’instance, d’un tribunal paritaire des baux ruraux, d’un tribunal de grande instance, d’un conseil de prud’hommes ou d’une cour d’appel dans les conditions fixées par le présent arrêté ». Le système est (ou sera… selon l’avancement de la technique) évidemment aussi accessible aux greffes (Arr. 6 mai 2019, art. 2, et Arr. 28 mai 2019, art. 3).

Le Portail ne permet qu’une CPVE assez limitée, à but essentiellement informatif pour le justiciable qui ne peut, notamment, notifier lui-même des actes de procédure (v. aussi infra) : c’est ainsi qu’il permet :

  • la consultation à distance par le justiciable de l’état d’avancement de son affaire judiciaire sur un portail personnel et sécurisé ;
     
  • l’accès, grâce à une transmission sécurisée sur le portail, à certains documents dématérialisés, relatifs à ces mêmes procédures, tels que des avis, des convocations et des récépissés ;
     
  • la consultation d’une affaire judiciaire, aux fins d’information du justiciable, par les agents de greffe visés à l’article 3, via le portail du service d’accueil unique du justiciable, service interne au ministère de la justice ;
     
  • la réalisation de statistiques (Arr. 28 mai 2019, art. 1er)… la mise en œuvre du système par le ministère de la justice étant autorisée par ce même article 1er.

Différents points notables peuvent être recensés.

Premièrement, le texte de valeur réglementaire ne se suffit plus à lui-même, puisqu’il appelle un arrêté technique. Nous constations (C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, art. préc.) que, « curieusement, si l’article 748-8 est toujours introduit par “par dérogation aux dispositions du présent titre”, cette dérogation n’est plus évidente car le nouvel alinéa 4 paraît le faire basculer dans le droit commun du titre XXI : en effet, il pose l’exigence d’un arrêté technique qui reprend en substance les exigences de l’article 748-6, alinéa 1er. Cependant, […] l’arrêté est spécifique au portail ». L’alinéa 4 prévoit ainsi que « les procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de l’identification des parties à la communication électronique, l’intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d’établir de manière certaine la date d’envoi ». L’arrêté en question est celui du 6 mai 2019… L’arrêté du 28 mai 2019, bien qu’« autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé “Portail du justiciable” (suivi en ligne par le justiciable de l’état d’avancement de son affaire judiciaire) », décrit en réalité les informations pouvant être transmises, consultées (consentement, adresse électronique du justiciable, numéro Portalis, etc.) et conservées pendant une durée limitée (celle de la procédure, puis un an sauf modification), les personnes pouvant y avoir accès (v. supra)… Il est permis de s’interroger sur la pertinence du choix d’édicter deux arrêtés et non pas un seul : la lisibilité des textes en est réduite, dans une matière pourtant déjà assez complexe !

Deuxièmement, si le décret a « restreint le champ d’application de l’article 748-8 au seul “Portail du justiciable” », il a « élargi […] les actes concernés, puisqu’il vise dorénavant les convocations et récépissés en plus des avis adressés par le greffe à une partie ». La version antérieure de l’article 748-8 « évoquait les hypothèses où un texte prévoit un avis adressé par le greffe à une partie par tous moyens et permettait alors l’envoi de cet avis par courriel ou texto. Or, selon l’article 748-8, alinéa 1er nouveau, « lorsqu’il est prévu qu’un avis, une convocation ou un récépissé est adressé par le greffe à une partie par tous moyens, par lettre simple, par lettre recommandée sans avis de réception, il peut lui être envoyé par voie électronique sur le “Portail du justiciable” du ministère de la justice » (Dalloz actualité, 24 mai 2019 C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, préc.). Une nouvelle fois, le code ne réglemente plus le courriel et le texto… tout au moins pour notifier des avis aux parties.

Troisièmement, nous constations (C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, art. préc.) que, « bien que les convocations aient un enjeu procédural dans l’éventualité d’un défaut, l’article 748-8 ne mentionne plus, contrairement à l’ancien, si la notification a été faite “à personne” ou “à domicile” (comp. art. 748-9) ». La réponse figure sans doute dans les arrêtés. Doit-on penser que cette omission (volontaire) est due à la fonction assez réduite du Portail du justiciable telle qu’elle est définie aux articles 1er et 2 de l’arrêté du 6 mai 2019 – essentiellement informative (v. supra), de sorte que la qualification du jugement ne serait pas affectée par le moment de la prise de connaissance des informations, voire l’effectivité de la connexion du justiciable ? Cette façon de voir serait corroborée par la rédaction de l’article 748-8, alinéa 4, qui prévoit que les procédés techniques utilisés doivent « permettre d’établir de manière certaine la date d’envoi », mais n’évoque pas la date « de mise à disposition, ou celle de la réception par le destinataire » comme le texte de droit commun (celui de l’art. 748-6). Autrement dit, avoir consenti à recevoir les informations sur le Portail et recevoir des courriels de « notifications de mise à jour relatives à l’état d’avancement de la procédure […] concernant [le justiciable] » (Arr. 6 mai 2019, art. 8) impliquerait que les notifications soient systématiquement « à personne » ? Ces courriels, est-il précisé, sont des « messages génériques ne comportant pas de données confidentielles » (art. 8, in fine).

Quatrièmement, la communication par voie électronique sur le « Portail du justiciable » peut être utilisée seulement « à la condition que la partie y ait préalablement consenti » par déclaration, celle-ci mentionnant « notamment l’adresse électronique de la partie, à laquelle sera adressé l’avis de mise à disposition de toute nouvelle communication » (art. 748-8, al. 1er et 2). Nous nous étions étonnés de ce que l’article 748-8 nouveau ne précise plus si le consentement est révocable à tout moment comme par le passé ou si le consentement n’est valable que pour l’instance en cours comme dans la version antérieure… À cet égard, il pouvait sembler, « aujourd’hui, ne plus se limiter au seul procès au cours duquel il a été donné mais être général ». Curieusement, c’est à l’arrêté du 6 mai 2019 que les réponses sont données : l’article 5, alinéa 2, prévoit, finalement, que « le consentement est unique pour chaque affaire » et l’article 6 que « le justiciable peut consentir à la communication par voie électronique à tout moment de sa procédure par écrit via le formulaire CERFA dédié ou par déclaration formulée par procès-verbal de greffe ou d’un agent assermenté. Le consentement donné est irrévocable » : autant dire que le justiciable n’a plus le droit d’être une « girouette » que, dans un sens, à savoir du papier vers le numérique mais plus l’inverse, ce que l’on peut admettre… Il est plus difficile de comprendre pourquoi le consentement – cœur du système de la CPVE – fait ainsi l’objet d’une régression dans la hiérarchie des normes, puisque c’est désormais un texte de la plus faible valeur qui le régit (est-ce un choix délibéré ? La réparation d’un oubli dans le décret du 3 mai 2019 ?)…

Quoi qu’il en soit, ce consentement préalable à la CPVE auprès de la juridiction permet au justiciable « de consulter son dossier sur son compte www.monespace.justice.fr » (Arr. 6 mai 2019, art. 5, al. 1er) ; il vaut aussi renonciation au papier : « ce faisant, le justiciable consent à recevoir sur son espace personnel des informations propres à la procédure suivie et renonce à ce que ces documents lui soient adressés par lettre simple, par lettre recommandée sans avis de réception ou par tous moyens par le greffe de la juridiction. Ces éditions sont reçues au format .pdf » (Arr. 6 mai 2019, art. 5, al. 1er, in fine).

L’article 7, alinéa 2, de l’arrêté du 6 mai 2019 reprend les exigences de l’ancien article 748-8 quant à la communication à la juridiction d’« un numéro de téléphone portable et une adresse courriel valides » et à l’obligation « de signaler à la juridiction toute modification ultérieure ».

Cinquièmement, l’alinéa 748-8, alinéa 3, nouveau avait intégré la logique plateforme : « la partie est alertée de toute nouvelle communication par un avis de mise à disposition envoyé à l’adresse électronique indiquée par elle qui indique la date et, le cas échéant, l’heure de celle-ci ». « De sorte », disions-nous (C. Bléry, T. Douville et J.-P. Teboul, art. préc.) « que le courriel reprend du service, mais n’est plus le support de l’acte de procédure lui-même : il est seulement celui de l’information que cet acte est à disposition sur une plateforme… ». L’article 8, précité, de l’arrêté, évoque donc ces courriels adressés via le « Portail du justiciable » : il précise en outre qu’ils « sont formatés par l’application et émis au nom du service compétent par les utilisateurs authentifiés », tandis que l’article 9 redonne de son côté du service aux textos pour rafraîchir la mémoire du justiciable sur le modèle des rappels de rendez-vous chez le médecin ou le dentiste : « les rappels d’audience ou d’auditions sont envoyés au numéro de téléphone portable déclaré par le justiciable ».

Sixièmement, il faut constater qu’en régissant l’accès à l’espace personnel du justiciable, les alinéas 3 et 4 de l’article 7 de l’arrêté du 6 mai 2019 rapprochent le « Portail du justiciable » de « Télérecours citoyen » (v. C. Bléry et T. Douville, Télérecours citoyen : un modèle de dématérialisation de la justice à parfaire, JCP 2018. 663) : « le justiciable accède à son espace personnel au moyen de “FranceConnect”, dispositif créé par l’arrêté du 24 juillet 2015 susvisé permettant de garantir l’identité d’un utilisateur en s’appuyant sur des comptes existants pour lesquels son identité a déjà été vérifiée. La visualisation n’est possible que si le justiciable a, au préalable, rattaché son affaire à son compte. Ce rattachement se fait au moyen d’un numéro d’identification (numéro propre au justiciable et unique à chaque affaire) envoyé sur son adresse courriel et d’un code temporaire envoyé à son numéro de téléphone portable. L’adresse courriel et le numéro de téléphone portable sont ceux déclarés par le justiciable ».

À propos de la possibilité d’utiliser le service « FranceConnect » pour s’identifier à « Télérecours citoyens », nous remarquions (C. Bléry et T. Douville, aperçu rapide, préc.) que « la référence à ce système est étonnante, alors que le gouvernement cherche à mettre en place un système national d’identification électronique (T. Douville, Enfin un cadre juridique général pour l’identification électronique, D. 2018. 676 ). Est-elle simplement transitoire ? ». L’étonnement est a fortiori de mise avec le « Portail du justiciable », qui ne prévoit que ce mode d’accès…

Surtout « Télérecours citoyen » permet de véritables échanges entre les juridictions administratives et leurs justiciables non représentés par avocat, alors que le « Portail du justiciable » (judiciaire) pourtant plus récent ne l’autorise pas : une nouvelle fois, c’est plus une « agence de renseignement » qu’un système de CPVE.

Il est question du projet Portalis depuis plusieurs années (v. E. Negron, « Numérique et suivi des procédures », in C. Bléry et L. Raschel [dir.], Vers une procédure civile 2.0, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2018, p. 29 s.) qui devrait permettre une vraie transformation numérique de la justice judiciaire. Le « Portail du justiciable » en est une étape. Or, outre que la réglementation est inutilement compliquée du fait de sa fragmentation, de la politique des petits pas, voire du retour en arrière avec la disqualification de dispositions de décret en arrêté(s), la technique paraît bien limitée au regard de ce qui existe devant les juridictions administratives ou devant le tribunal de commerce.

La montagne (juridique) semble n’avoir accouché que d’une souris (technique). À quand une vraie justice judiciaire numérique ?