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Portée de l’absence de convention d’honoraires

À défaut de convention d’honoraires écrite, que l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi « Macron » du 6 août 2015, rend obligatoire, un avocat ne peut prétendre au paiement d’honoraires qu’aucun accord entre l’avocat et ses clients n’a fixés.

par Laurent Dargentle 13 septembre 2017

Alors que l’article 10, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971, modifié par l’article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, généralise l’exigence d’une convention d’honoraires entre l’avocat et son client, la question de la sanction de l’absence d’une telle convention, non expressément abordée par les nouvelles dispositions relatives aux honoraires, reste pour l’heure incertaine. C’est tout l’intérêt de l’arrêt de la cour d’appel de Papeete sous commentaire que d’avoir répondu à cette interrogation, bien que la réponse apportée puisse paraître quelque peu radicale aux yeux de la profession.

Saisie par deux clients d’une contestation d’honoraires à l’encontre de leur avocate, inscrite près le barreau de Papeete, le délégataire du bâtonnier de l’ordre des avocats avait notamment taxé les honoraires de l’avocate à une certaine somme et ordonné la restitution aux clients de la différence avec les honoraires perçus par l’auxiliaire de justice.

Les clients devaient cependant interjeter appel de la décision, en faisant valoir qu’en application de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi du 6 août 2015 précitée, les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client et que, faute pour l’avocate de pouvoir produire une convention d’honoraires écrite, ils étaient fondés à solliciter le remboursement total des sommes versées à titre d’acomptes. De son côté, l’avocate sollicitait l’infirmation de l’ordonnance de taxe prise par le bâtonnier et la fixation à un montant d’honoraires supérieur pour les prestations réalisées, tout en indiquant avoir eu des difficultés au cours de la procédure pour entrer en contact avec ses clients, ce qui ne lui aurait pas permis de faire signer de convention d’honoraires ni de remettre les factures d’honoraires correspondantes.

Jugeant les nouvelles dispositions de la loi Macron, entrées en vigueur en Polynésie française le 8 août 2015, applicables aux relations entre l’avocate et ses clients, la cour d’appel prend soin, tout d’abord, de relever l’absence de convention d’honoraires au sens de ces dispositions. Elle estime que le simple reçu qui n’indique ni le montant, ni le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ni les divers frais et débours envisagés et lequel ne figure, du reste, que le nom d’un des deux clients. Il résulte en effet de l’article 10, alinéa 3, de la loi de 1971 que la convention d’honoraires doit comporter au minimum (« notamment ») le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours.

La cour relève ensuite qu’aucune des exceptions prévues par la loi à l’exigence d’une convention écrite, et notamment l’urgence et la force majeure, ne se trouvait réalisée en l’espèce, rien n’empêchant l’avocate de soumettre à la signature de ses clients une telle convention d’honoraires lors de l’encaissement de l’acompte et alors que le rythme de la procédure excluait toute idée d’urgence ou de force majeure.

Alors appelée à tirer les conséquences de l’absence de convention d’honoraires, la cour d’appel pouvait cependant difficilement se fonder sur le texte du nouvel article 10 de la loi de 1971 qui, en son alinéa 4, semble ne préciser les critères aux termes desquels l’honoraire doit être fixé, que dans l’hypothèse de l’existence d’une convention d’honoraires, par hypothèse obligatoire, sans envisager l’hypothèse du non-respect de cette exigence.

Il est vrai cependant que l’analyse de la jurisprudence révèle que la question de la sanction de l’absence d’une convention d’honoraires obligatoire n’est pas nouvelle. Ainsi, la cour d’appel de Toulouse, appelée à se prononcer sur l’ancienne obligation spécifique de signer une convention d’honoraires en matière de divorce (L. n° 71-1130, art. 10, al. 4, réd. issue de L. n° 2011-1862), avait pu déduire de ce que l’obligation de conclure cette convention n’était sanctionnée par aucune disposition qu’en l’absence de convention d’honoraires, il y avait lieu de fixer ceux-ci conformément aux critères mentionnés à l’article 10 (Toulouse, 20 juill. 2015, n° 15/01433). De même, en matière d’assurance de protection juridique, la Cour de cassation a pu considérer qu’en l’absence de convention, les honoraires de l’avocat sont fixés par référence aux seuls critères de l’article 10 (Civ. 1re, 14 janv. 2016, n° 15-10.130, D. 2016. 207 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; D. avocats 2016. 43, obs. L. Dargent ). Mais il convient de relever avec Me Dominique Piau (Règles de la profession d’avocat, Dalloz action 2017-2018, n° 713-13) que « ces arrêts ont été rendus sous l’emprise de l’ancienne rédaction de l’alinéa 2 de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 qui précisait alors expressément qu’“en l’absence de convention d’honoraires, les honoraires étaient fixés” en fonction des critères qu’il précisait », ce qui n’est désormais plus les cas. Et, à l’inverse, il ne peut être ignoré que l’absence de convention d’honoraires en matière d’honoraires de résultat est, elle, sanctionnée de longue date par l’absence de tout droit à honoraires de résultat (v. Civ. 1re, 26 mai 1994, n° 92-17.758, D. 1995. 169 , obs. A. Brunois ; 3 mars 1998, nos 95-21.387 et 95-21.053, D. 1998. 91 ; RTD civ. 1998. 901, obs. J. Mestre ; 23 nov. 1999, 96-15.922, D. 2000. 2 ).

L’analyse de la portée de l’exigence d’une convention écrite est ainsi susceptible d’alterner, selon que l’on considère « que la convention d’honoraires est exigée ad validitatem et qu’en l’absence de celle-ci aucun honoraire ne saurait être dû sauf pour l’avocat à intenter une action sur le terrain de l’enrichissement sans cause mais alors devant le juge de droit commun car il ne s’agira pas d’un contentieux de fixation des honoraires » ou selon que l’on estime « qu’elle est exigée ad probationem afin d’apporter la preuve des modalités de détermination de l’honoraire faisant qu’en présence d’une telle convention, le juge ne pourra qu’en appliquer les critères contractuellement convenus entre les parties sans pouvoir les modifier sauf à user de son pouvoir de réduction du montant des honoraires » (D. Piau, préc.).

La cour de Papeete fait ainsi le choix de la première branche de l’option en jugeant qu’à défaut de convention d’honoraires écrite, que l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par l’article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, rend obligatoire, un avocat ne peut prétendre au paiement d’honoraires qu’aucun accord entre l’avocat et ses clients n’a fixés. Elle conclut en l’espèce à l’infirmation de la décision du bâtonnier, faite à la contestation élevée par les deux clients, dit qu’il n’est dû aucun honoraire à l’avocate et ordonne le remboursement des sommes encaissées.

Gageons que cette décision ne sera pas la dernière à s’exprimer sur un des sujets les plus sensibles de la réglementation de la profession d’avocat, à savoir celle de la rémunération, avant que la Cour de cassation ne soit appelée à trancher la question.