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Portée du principe de transmission des droits et obligations du bailleur à l’acquéreur de l’immeuble loué

La condamnation d’un bailleur à la réalisation de travaux, au titre de son obligation de délivrance conforme à la destination de la chose louée, se transmet à l’adjudicataire de l’immeuble objet du bail.

par Maxime Ghiglinole 25 mars 2019

Le principe du transfert du contrat de bail à l’acquéreur de l’immeuble loué se fonde classiquement sur l’article 1743 du code civil. Suivant ce principe, qui constitue une exception à celui de l’effet relatif des contrats, la transmission du bail à l’acquéreur de l’immeuble loué opère sans rétroactivité. L’acquéreur ne peut exercer que pour l’avenir les droits qu’il détient du bail à l’encontre de son locataire. À l’inverse, il devra également s’acquitter lui-même des obligations que le contrat de bail lui impose. Ainsi, pour tout ce qui a trait à la période antérieure à la vente, l’acquéreur n’est pas substitué à son auteur. Celui-ci garde ses droits et obligations envers le locataire, à moins qu’il ne les ait cédés expressément à l’acquéreur. Reste désormais à déterminer si une obligation dont l’exécution est continue, telle que l’obligation de délivrance, peut s’imposer tant à l’ancien qu’au nouveau bailleur. Par leur nature particulière, l’inexécution de ce type d’obligations pourrait entraîner la condamnation in solidum des deux bailleurs successifs. C’est précisément à cette question qu’est venu répondre le présent arrêt.

En l’espèce, le propriétaire d’un immeuble a consenti un bail à usage commercial et d’habitation à une société. Les locaux n’étant pas conformes, le bailleur a été condamné à faire réaliser des travaux sur l’immeuble par un jugement du 26 avril 2016. Postérieurement à cette condamnation, soit le 7 juin 2016, l’immeuble donné à bail a fait l’objet d’une vente aux enchères publiques. Les travaux judiciairement imposés n’ont toutefois pas été effectués. Le preneur a donc assigné l’ancien bailleur et l’adjudicataire en sa qualité de nouveau bailleur afin qu’ils soient condamnés in solidum à la réalisation de ces travaux.

En première instance, les juges du fond ont fait droit aux prétentions du preneur et ont condamné in solidum le bailleur initial et le nouveau propriétaire à l’exécution forcée des travaux. L’adjudicataire a interjeté appel. Le jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 14 novembre 2017. Un pourvoi est formé contre cette décision. Le nouveau bailleur y affirme que les travaux incombent exclusivement au précédent bailleur en raison de l’antériorité du jugement de condamnation au regard de la date d’acquisition de l’immeuble.

La question était donc de déterminer si l’obligation d’effectuer des travaux incombant au saisi, du fait d’une condamnation antérieure à la vente, peut être transférée à l’acquéreur de la vente forcée. Autrement dit, les deux bailleurs successifs d’un local peuvent-ils être condamnés in solidum pour un manquement à l’obligation de délivrance qui a pris naissance avant la vente et qui a perduré après le transfert de propriété du bien ?

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle confirme que l’adjudicataire était solidairement tenu des réparations judiciairement imposées au bailleur précédent en raison de la transmission du contrat de bail opérée par l’adjudication. Il est à noter que le cahier des conditions de la vente aux enchères faisait état de l’instance en cours. Il avait été annexé au jugement. De plus, la vente aux enchères ne prévoyait pas que le saisi supporterait exclusivement les conséquences financières de la condamnation antérieure à l’adjudication, ce qui laissait l’opportunité au locataire d’assigner son nouveau bailleur.

Cette décision a pour principale vertu de mutualiser les obligations entre ancien bailleur et nouveau bailleur. En effet, loin de remettre en cause l’arrêt de la troisième chambre civile du 14 novembre 2007, cette décision le complète (Civ. 3e, 14 nov. 2007, n° 06-18.430, Bull. civ. III, n° 200 ; D. 2007. 3069, obs. G. Forest ; ibid. 2008. 1300, obs. N. Damas ; AJDI 2008. 379 , obs. V. Zalewski ; Defrénois 2008. 710, note E. Savaux ; RDC 2008. 385, note J.-B. Seube). En 2007, la Cour de cassation avait admis que le locataire peut demander au vendeur la réparation des troubles de jouissance subis du fait de la non-exécution des travaux qu’il aurait dû faire en sa précédente qualité de bailleur, alors qu’il n’est plus propriétaire du bien. Cette faculté n’avait pas dispensé le nouveau bailleur de son obligation de délivrance. En conséquence, il est parfaitement légitime que le locataire puisse solliciter l’un quelconque des bailleurs successifs pour exécuter en nature cette obligation.

En pratique, cette solution, destinée à une large diffusion, impose aux conseils d’insérer des aménagements conventionnels. Il est ainsi possible d’insérer dans le contrat de vente une clause stipulant que le vendeur doit supporter les conséquences financières de ses condamnations intervenues antérieurement à la vente.

Bien que sévère pour l’adjudicataire, cette solution doit être favorablement accueillie. Si le locataire ne peut pas agir contre l’acquéreur en réparation de faits dommageables antérieurs à la vente puisque ces réparations constituent une dette personnelle qui ne se transmet pas à l’acquéreur, il a tout loisir, à partir du transfert de propriété, de demander à l’acquéreur qui devient son nouveau bailleur, l’exécution des obligations qui lui sont imparties par le contrat de bail. Dans le même sens, si le locataire est amené à quitter les lieux à la suite d’un congé donné par le précédent propriétaire mais que le préjudice dont il entend obtenir réparation résulte de la procédure d’expulsion poursuivie par l’acquéreur de l’immeuble, la demande de dommages-intérêts doit être dirigée contre ce dernier (Civ. 3e, 11 janv. 2006, n° 04-20.791, Bull. civ. III, n° 8 ; D. 2006. 369 , obs. Y. Rouquet ; ibid. 2007. Pan. 1827, obs. L. Rozès ; AJDI 2006. 278 , obs. C. Denizot ).