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Portée limitée de la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut »

Un second pourvoi en cassation est recevable tant qu’il n’a pas été statué sur le premier.

par Antoine Bolzele 25 juillet 2019

L’article 621 du code de procédure civile dispose que : « si le pourvoi en cassation est rejeté, la partie qui l’a formé n’est plus recevable à en former un nouveau contre le même jugement, hors le cas prévu à l’article 618. Il en est de même lorsque la Cour de cassation constate son dessaisissement, déclare le pourvoi irrecevable ou prononce la déchéance ». Il ressort de ce texte que, sauf contrariété de décisions, il est interdit d’introduire deux pourvois successifs contre une même décision par une même partie. Il s’agit du principe « pourvoi sur pourvoi ne vaut » qui n’est pas sans limites comme le montre la décision commentée. En l’espèce, un litige opposait un couple propriétaire d’une maison à un assureur qui refusait de prendre en charge un certain nombre de désordres affectant l’immeuble. Après une décision défavorable en appel, un pourvoi en cassation est formé, lequel fait l’objet d’une déchéance par le premier président. Un second pourvoi est alors formé, lequel devrait normalement être déclaré irrecevable aux termes de l’article 621 du code de procédure civile. Or, dans l’exacte mesure où le second pourvoi avait été formé avant que l’ordonnance qui a constaté la déchéance ne soit rendue par le premier président, ce pourvoi en cassation est recevable.

Ce n’est pas la première fois que les juges du droit écartent dans cette hypothèse l’application de l’article 621 du code de procédure civile. Dans un arrêt d’assemblée plénière du 23 novembre 2007, la cour régulatrice avait déjà eu l’occasion de préciser la portée de cette disposition (Cass., ass. plén., 23 nov. 2007, n° 05-17.975, D. 2007. 3078, obs. L. Dargent ; ibid. 2008. 1371, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2008. 160, obs. R. Perrot ; ibid. 284, obs. J. Hauser ; JCP 2007. II. 10204, note Chauvin ; Procédures 2008. Comm. 15, obs. Douchy). La solution est parfaitement conforme à la lettre de l’article 621 du code de procédure civile qui vise un pourvoi rejeté ou bien une décision de la Cour de cassation qui a constaté son dessaisissement, qui a déclaré le pourvoi irrecevable ou a prononcé sa déchéance. La règle est justifiée car en matière de voies de recours, il ne faut pas permettre de contourner les conséquences d’une erreur de procédure ayant abouti au rejet du recours, d’où le principe de non réitération pour empêcher de réparer l’erreur qui a pu être commise. La tentation est alors de croire qu’il suffit d’introduire un nouveau recours pour le rendre recevable. Cette croyance est cependant fondée à la condition qu’aucune décision ne soit déjà intervenue sur le premier recours.

Ces règles apparaissent se placer sous le signe de l’idée technique de régularisation qui permet de corriger dans des cas très limités un acte de procédure défectueux. La limite se trouve dans les délais : il faut que la régularisation intervienne avant l’expiration du délai de recours, faute de quoi elle n’est pas possible. Dans le cas où une décision est intervenue pour déclarer le recours irrecevable faute d’avoir respecté ces délais, il est évident qu’aucune régularisation n’est possible. La procédure d’appel connaît un mécanisme comparable avec les dispositions de l’article 911-1 du code de procédure civile. S’ajoute à cela l’idée que si une décision a été rendue sur la recevabilité du recours, l’irrévocabilité de cette décision, autrement dit son autorité de chose jugée, s’oppose là encore à la possibilité d’introduire un nouveau recours (Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2018/2019, n° 553-251 ; La cassation en matière civile, Dalloz Action, 2018/2019, n° 38.04). D’où l’interdiction de réitérer.

La règle est très ancienne. Elle figure à l’article 39 du titre IV de la première partie du règlement du chancelier d’Aguesseau du 20 juin 1738 lequel prévoyait une peine à l’encontre des avocats « qui, après avoir signé la première requête en cassation auront aussi signé la seconde ». Le critère est purement chronologique ce qui donne à la règle une bonne visibilité en pratique : le second pourvoi est irrecevable, si et seulement si, il a été précédé d’une décision rendue sur le premier pourvoi et cela quelle que soit la nature du premier ou du second pourvoi, qu’ils soient principaux, incidents ou provoqués. Dès lors, a contrario, un second pourvoi est recevable tant qu’il n’a pas été statué sur le premier pourvoi. La décision commentée confirme cette jurisprudence qui écarte l’application de l’article 621 du code de procédure civile, ce qui donne à la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut » une portée limitée.

On pourrait cependant imaginer qu’il en soit autrement. En effet, la règle « pourvoi sur pourvoi ne vaut » pourrait recevoir une application plus large en considérant qu’un second pourvoi est irrecevable du simple fait qu’un premier pourvoi a été formé, qu’il ait été examiné ou non. En matière d’appel, il existe une application similaire qui veut que « appel sur appel ne vaut », à certaines conditions. Ainsi, il a été jugé que l’acte d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués recèle une nullité de forme, régularisable dans le délai imparti à l’appelant pour conclure (Civ. 2e, avis, 20 déc. 2017, n° 17019, n° 17020 et n° 17021, Dalloz actualité, 12 janv. 2018 obs. R. Laffly ; ibid. 692, obs. N. Fricero ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean ; JCP 2018. 173, note Gerbay). Dans le passé, la Cour de cassation avait élargi l’interdiction de réitérer le pourvoi pour empêcher la pratique des pourvois successifs pour pallier à l’erreur de procédure commise. Cette jurisprudence était critiquable parce que son application privait les plaideurs de toute possibilité de régulariser leur recours, laquelle est pourtant prévue aux articles 115, 125 et 126 du code de procédure civile. L’application du principe « recours sur recours ne vaut » ne doit pas être aveugle et mécanique, d’où la direction libérale qu’a prise depuis la cour régulatrice et qui se trouve confirmée dans l’arrêt commenté.

Le droit au juge est à ce prix. La Cour de cassation souhaite éviter une condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme qui n’apprécie guère que l’on écarte pour des raisons de pure forme le recours d’un plaideur qui doit être examiné au fond. D’un autre côté, il ne faut pas se montrer laxiste devant l’exigence des règles de procédure sous peine de les rendre peu contraignantes pour les praticiens. Autrement dit, la porte est étroite pour la jurisprudence de la Cour de cassation qui oscille entre bienveillance et sévérité. Ainsi, il est de tradition constante de permettre une régularisation du pourvoi qui contient une erreur matérielle sur la date de la décision attaquée ou le nom d’une partie (Civ. 2 avr. 1873, DP 1873. 1. 188), ou sur la dénomination du demandeur, dès lors qu’il résulte de la procédure que le pourvoi le concerne bien (Civ. 1re, 21 janv. 1981, n° 79-15.553, Bull. civ. I, n° 24). Il a aussi été admis qu’un pourvoi rectificatif est recevable quand bien même il a été formé après l’expiration du délai de pourvoi (Com. 13 févr. 1985, n° 83-13.998, Bull. civ. IV, n° 53). Cette bienveillance marque le souci de la Cour de cassation d’assurer l’effectivité du droit au juge, ce dont on ne peut que se féliciter.