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Pour le CSM, pas matière à sanction contre deux magistrats du PNF

La formation disciplinaire parquet du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a estimé mercredi qu’il n’y avait pas lieu de sanctionner deux magistrats du Parquet national financier (PNF), dont son ancienne cheffe. Ils étaient mis en cause dans l’affaire des « fadets », qui visait notamment Nicolas Sarkozy. La décision de les sanctionner ou non relève désormais de la Première ministre.

PNF… pour Pschiit national financier ? Dans deux avis rendus mercredi, le CSM estime « qu’il n’y a pas lieu de prononcer une sanction disciplinaire » à l’encontre d’Éliane Houlette, ancienne cheffe du PNF, et de Patrice Amar, toujours premier vice-procureur financier. Lors des deux audiences qui se sont tenues à une semaine d’intervalle au mois de septembre, la Direction des services judiciaires (DSJ) n’avait pas réclamé de sanctions contre les deux magistrats, en dépit de fautes disciplinaires pouvant leur être imputées (v. Dalloz actualité, 23 sept. 2022, art. P.-A. Souchard et ibid., 4 oct. 2022, art. A. Bloch).

La première se voyait reprocher deux situations de conflit d’intérêts (avec des avocats), possiblement constitutives de manquements aux devoirs d’impartialité, de loyauté, de respect du secret professionnel et de prudence. Le second, quant à lui, « comparaissait » pour des manquements aux devoirs d’impartialité, de délicatesse et de prudence, en raison des relations pour le moins ombrageuses qu’il entretenait avec la précédente.

L’origine de ces poursuites disciplinaires est à chercher du côté de la longue « enquête 306 », ouverte en 2014 en marge de l’instruction sur le dossier « Bismuth ». Ce dernier impliquait, pour corruption et de trafic d’influence, l’ancien chef de l’État, Nicolas Sarkozy, et son avocat historique, Thierry Herzog, mais aussi un ancien premier avocat général près la Cour de cassation, Gilbert Azibert. Au travers de cette enquête préliminaire, le PNF avait cherché à identifier la « taupe » qui aurait informé l’ex-président de la République et son conseil que leurs conversations étaient écoutées par les enquêteurs.

Au passage, les « fadets » de plusieurs magistrats financiers, et d’avocats, dont Éric Dupont-Moretti, avaient été épluchées. En apprenant l’existence de ces mesures d’investigation, ce dernier avait dénoncé « des méthodes de barbouzes », puis déposé plainte. Une fois nommé ministre de la Justice, il l’avait retirée avant d’ordonner une enquête administrative visant nommément trois magistrats du PNF.

Le garde des Sceaux « dans une situation objective de conflit d’intérêts »

En ouverture de leurs audiences respectives, les deux magistrats avaient justement soulevé l’illégalité de cette saisine, par le garde des Sceaux, de l’Inspection générale de la justice (IGJ). Le CSM valide partiellement leur raisonnement, considérant que ce dernier s’est effectivement « trouvé dans une situation objective de conflit d’intérêts », mais ajoutant que cette situation « n’a pas eu d’incidence sur les conditions d’impartialité et de loyauté dans lesquelles les inspecteurs ont accompli leur mission ». Tous deux avaient également pointé l’illégalité de l’acte de saisine du CSM lui-même, par Jean Castex, en vertu d’un décret de déport qui confiait une partie des attributions du ministre de la Justice au locataire de Matignon. Ce décret était bien conforme à la loi encadrant le mécanisme du déport, mais ils soutenaient qu’il était en contrariété avec la loi organique relative au statut de la magistrature. Sur ce second point, la formation disciplinaire a objecté qu’elle ne pouvait procéder à un tel contrôle, dans la mesure où elle rendait un simple avis, et non une décision (comme elle le fait pour les magistrats du siège), et l’a d’ailleurs formulé avec une pointe de regret : « En l’état actuel des textes, le Conseil ne peut que constater qu’il ne constitue pas une juridiction ».

Dans le détail, il était concrètement reproché par le DSJ à Éliane Houlette de ne pas avoir alerté ses collègues parquetiers que sa fille était stagiaire, puis collaboratrice, dans un cabinet d’avocats dont l’un des associés était mentionné dans plusieurs procédures. Le CSM a considéré qu’à défaut « de tout élément établissant un lien de proximité entre eux », susceptible d’insinuer un « doute raisonnable », les manquements n’étaient « pas établis ». À la même, il était également fait grief de s’être entretenue téléphoniquement avec un avocat marseillais, « ami d’ami devenu relation amicale », évoquant au passage sommairement avec lui plusieurs procédures en cours. Sur cette seconde situation, le Conseil a estimé que la magistrate n’avait « pas fait preuve de la prudence et des exigences d’apparence d’impartialité requises ». Mais précisé dans la foulée que « ces manquements déontologiques n’atteignent pas un niveau de gravité les rendant constitutifs de fautes disciplinaires », de sorte qu’il n’y avait, là non plus, « pas lieu à sanction ». En l’occurrence, la désormais retraitée ne risque d’ailleurs que le retrait de l’honorariat.

« Mme Houlette a éprouvé un grand soulagement d’être enfin lavée d’accusations qu’elle a toujours considéré comme parfaitement injustes. À titre personnel, je me permettrais d’exprimer une certaine amertume car le CSM a considéré que devaient être suspectes les relations entre les magistrats d’un parquet et les avocats », a déclaré à Dalloz actualité l’un de ses conseils, Me Jean-Pierre Versini Campinchi.

Des « conséquences dommageables pour l’institution judiciaire dans son ensemble »

Concernant Patrice Amar, le DSJ lui reprochait une dénonciation « article 40 » adressée en 2019 à la procureure générale de Paris, dans laquelle il évoquait justement de possibles conflits d’intérêts de sa cheffe, et se plaignait par la même occasion des méthodes de management de cette dernière, lesquelles étaient proches, selon lui, du harcèlement moral. Dans son avis, le CSM considère que cette « dénonciation constitue le point d’orgue d’un vif conflit professionnel entre Mme Houlette et M. Amar, qui est allé en s’aggravant sur une longue période de cinq années sans qu’une solution lui soit apportée ». Pour le CSM, ce recours à l’article 40 « par un magistrat à l’encontre de son supérieur hiérarchique est, pour le moins, une procédure exceptionnelle […] un acte manifestement inapproprié, aux conséquences dommageables pour le parquet national financier, en particulier, et, plus généralement, pour l’institution judiciaire dans son ensemble ». À l’audience, l’animosité entre M. Amar et Mme Houlette a donné l’image d’un PNF plus cour d’école que parquet spécialisé !

Quant à l’emploi de termes peu amènes utilisés dans ce courrier de janvier pour qualifier l’action de Mme Houlette, tels que « panique », « incompétence », « procrastination », le CSM les juge « outranciers, méprisants et vexatoires » et « contraires aux obligations de délicatesse, de respect et de loyauté à l’égard de son supérieur hiérarchique », considérant qu’ils « n’ont pas leur place dans un courrier adressé à la procureure générale près la cour d’appel de Paris ». Mais, là encore, ces « manquements déontologiques constatés n’atteignent pas un niveau de gravité les rendant constitutifs d’une faute disciplinaire », a considéré la formation disciplinaire. Bref, l’affaire du PNF fait pschiit. Sans tarder, l’avocat de Patrice Amar, Me François Saint-Pierre, a fait savoir que, selon lui, « la démission » du garde des Sceaux était désormais « la seule solution digne et nécessaire ».