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Pour le gouvernement, il n’y a pas de problème de sur-transposition

En 2018, dans la loi Essoc, le Parlement avait demandé un rapport au gouvernement sur la question des sur-transpositions. Actuel-direction-juridique publie aujourd’hui ce document, communiqué au Parlement avec deux ans de retard. Dans ce court rapport, le gouvernement semble évacuer le problème : « ce phénomène, souvent dénoncé, est en réalité moins important que ce qui avait pu être envisagé et correspond dans la majorité des cas à un choix politique assumé ».

par Pierre Januel, journalistele 16 mars 2022

Le rapport « étudie les différentes formes de sur-transposition pratiquées, leurs causes, leurs effets ainsi que leurs justifications et identifie les adaptations de notre droit nécessaires pour remédier aux sur-transpositions inutiles ou injustifiées ». Il insiste tout d’abord sur le fait que la « sur-transposition » est une notion protéiforme qui implique deux critères : « l’existence d’un écart par rapport au standard minimum imposé par la directive », et « l’existence d’une norme plus contraignante pour les personnes concernées que le standard européen ».

L’échec de la loi contre les sur-transpositions

La sur-transposition était un chantier important au début du quinquennat. La circulaire du Premier ministre du 26 juillet 2017 traitait spécifiquement la question des sur-transpositions. Une mission inter-inspection (IGAS, IGA, CGEDD, IGF, CGE, CGAAER) avait dressé un inventaire des sur-transpositions en avril 2018. Sur 1 400 textes entrant dans le champ de la mission, 137 directives faisaient l’objet d’au moins une mesure de sur-transposition avec un effet pénalisant pour la compétitivité des entreprises, l’emploi, le pouvoir d’achat ou l’efficacité des services publics. Pour 40 d’entre elles, l’effet pénalisant a ensuite été écarté. Puis, dans un certain nombre de cas, il a été jugé préférable de maintenir une sur-transposition (paquet neutre pour les cigarettes, congé maternité, délai de rétractation de 8 jours en matière de crédits).

Un projet de loi avait retenu la suppression de 30 mesures. Étudié par le Sénat en novembre 2018, il n’a jamais été mis à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Mais plusieurs de ces articles ont été intégrées dans d’autres textes, comme les lois Pacte, ASAP, LOM ou la loi d’organisation et de transformation du système de santé. D’autres suppressions de sur-transposition interviendront dès qu’un vecteur législatif approprié sera disponible. « Au niveau réglementaire, il n’a pas été possible d’adopter un texte interministériel unique ».

Si elle ne figure pas dans le rapport, la directive sur la protection des lanceurs d’alerte est un bon exemple de sur-transposition. Le projet de directive s’inspirait de la législation française. En 2019, le gouvernement français s’est mobilisé pour éviter que la directive aille au-delà de cette législation, cédant sur plusieurs points. Mais, au final, les propositions de loi adoptées vont au-delà de la directive.

La sur-transposition, un choix politique assumé et justifié

« Aux termes des différents travaux menés relatifs à la sur-transposition, notamment la mission inter-inspections conduite en 2017-2018, il est apparu que ce phénomène, souvent dénoncé, est en réalité moins important que ce qui avait pu être envisagé et correspond dans la majorité des cas à un choix politique assumé », mentionne le rapport. « Si les raisons présidant au phénomène de « sur-transposition » sont multiples, certaines sur-transpositions sont délibérées. Il serait « inopportun » voire « néfaste » de remettre en cause cette volonté car cela « conduirait, le plus souvent, à s’aligner sur le niveau minimal d’harmonisation au niveau européen ». Il est donc « totalement assumé de maintenir des règles qui vont au-delà des normes minimales européennes », afin de mieux « protéger les entreprises et les citoyens, que ce soit en matière économique, sociale, environnementale ou en terme de sécurité ».

Les travaux menés par le gouvernement en matière de lutte contre la sur-transposition ont donc été menés au cas par cas : ainsi, si la suppression de certaines contraintes pesant sur les annonceurs est apparue justifiée car « elles n’apportaient aucune protection supplémentaire aux consommateurs », celles permettant de lutter contre le surendettement et certaines escroqueries ont été maintenues. Le gouvernement assume également la réglementation française restreignant le commerce de l’ivoire ou le fait que la loi de transition énergétique – qui prévoit de porter la part des énergies renouvelables en France à 32 % de la consommation finale brute d’énergie en 2030 – sur-transpose le droit européen.

Le suivi des directives

Pour l’avenir, une équipe projet est normalement constituée dès la publication d’une proposition de directive. Cette équipe doit évaluer l’impact de la proposition de directive y compris concernant sa transposition et doit être opérationnelle jusqu’à la phase de transposition. Mais « il existe une trop grande déconnexion entre les équipes chargées de la négociation d’un texte et celles chargées de sa transposition notamment en raison des délais de négociation et de transposition ».

Le recours aux outils que sont les fiches d’impact simplifiée (FIS1) et stratégique (FIS2) est donc « inégal ». Or, la réalisation et l’actualisation d’un tableau de concordance doivent « faciliter la distinction entre les dispositions qui transposent strictement la directive et celles qui relèvent d’une sur-transposition ». À la suite d’un arrêt rendu par la CJUE en juillet 2019, les États membres doivent désormais accompagner les mesures nationales de transposition « d’informations claires et précises » à l’attention de la Commission européenne. Ce qui a conduit le gouvernement a systématiser la réalisation de tableaux de concordance. Cette nouvelle « norme » conduira-t-elle finalement à réduire les sur-transpositions ? 

 

ActuEL Direction juridique, 14 mars 2022