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La poursuite de l’uniformisation des sanctions civiles en matière de TEG

La première chambre civile de la Cour de cassation considère qu’il convient de poursuivre l’uniformisation des sanctions en matière de TEG et de juger que le défaut de communication du taux et/ou de la durée de la période dans un contrat de crédit immobilier est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, sous réserve que l’écart entre le TEG mentionné et le taux réel soit supérieur à la décimale prescrite par l’annexe à l’article R. 313-1 du code de la consommation.

La Cour de cassation poursuit son œuvre d’uniformisation des sanctions civiles en matière de taux effectif global (TEG), comme en témoigne l’arrêt rendu par sa première chambre civile le 22 septembre 2021. En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux offres de prêts immobiliers, formalisés par actes authentiques les 17 et 23 octobre 2008. Arguant notamment d’un défaut de communication du taux de période du taux effectif global de chacun des contrats, les emprunteurs ont sollicité la nullité des stipulations d’intérêts.

La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 19 septembre 2019, rendu sur renvoi après cassation (Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15-24.914, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ), a prononcé cette nullité et a substitué le taux d’intérêt légal aux taux conventionnels, après avoir constaté que les taux de période des TEG des prêts incluant la période d’anticipation n’ont été ni mentionnés ni communiqués aux emprunteurs.

L’affaire ayant à nouveau été portée devant la Cour régulatrice, celle-ci censure l’arrêt douaisien au visa des articles L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et de l’article R. 313-1 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2016-607 du 13 mai 2016 : les hauts magistrats rappellent tout d’abord le contenu de ces textes et l’existence, sous l’empire du droit normalement applicable à la cause, d’une dualité de sanctions suivant que le défaut de communication du TEG affecte l’offre de crédit (déchéance du droit au intérêts, v. par ex., Civ. 1re, 12 juin 2020, n° 19-12.984 et n° 19-16.401, Dalloz actualité, 26 juin 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1292 ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; 6 janv. 2021, n° 18-25.865, Dalloz actualité, 19 janv. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 76 ; RDI 2021. 145, obs. J. Bruttin ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. V. Valette-Ercole ; RTD com. 2021. 169, obs. D. Legeais ) ou le contrat lui-même (nullité de la stipulation d’intérêt et substitution à celui-ci de l’intérêt légal, v. par ex., Civ. 1re, 24 juin 1981, n° 80-12.903 ; 15 oct. 2014, n° 13-16.555, D. 2014. 2108, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2015. 2145, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD com. 2014. 835, obs. D. Legeais ). Ils rappellent également que ces sanctions ne sont encourues que dans l’hypothèse où l’écart entre le taux communiqué à l’emprunteur et le taux réel est supérieur à la décimale (concernant l’offre, v. par ex., Civ. 1re, 5 févr. 2020, n° 19-11.939, Dalloz actualité, 21 févr. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 279 ; RDI 2020. 298, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 145, obs. J. Lasserre Capdeville ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. V. Valette-Ercole ; RTD civ. 2020. 459, obs. N. Cayrol ; RTD com. 2020. 435, obs. D. Legeais . Concernant le contrat, v. par ex., Civ. 1re, 25 janv. 2017, n° 15-24.607, D. 2017. 293 ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 449 , obs. J. Moreau, O. Poindron et B. Wertenschlag ; RTD com. 2017. 152, obs. D. Legeais ; Com. 18 mai 2017, n° 16-11.147, D. 2017. 1958 , note G. Cattalano-Cloarec ; AJDI 2017. 601 , obs. J. Moreau ; AJ contrat 2017. 336, obs. J. Martinet ).

Puis, la Cour fait état de l’évolution du droit en la matière : « pour les contrats souscrits postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-740 du 17 juillet 2019, en cas de défaut de mention ou de mention erronée du taux effectif global dans un écrit constatant un contrat de prêt, le prêteur n’encourt pas l’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel, mais peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, au regard notamment du préjudice subi par l’emprunteur » (pt 7). Elle ajoute, ensuite, que « Pour permettre au juge de prendre en considération, dans les contrats souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance précitée, la gravité du manquement commis par le prêteur et le préjudice subi par l’emprunteur, le régime des sanctions a été uniformisé et il a été jugé qu’en cas d’omission du taux effectif global dans l’écrit constatant un contrat de prêt, comme en cas d’erreur affectant la mention de ce taux dans un tel écrit, le prêteur peut être déchu de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge (Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287 P, D. 2020. 1440 ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2021. 223 , obs. J. Moreau ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger ; RTD civ. 2020. 605, obs. H. Barbier ; RTD com. 2020. 693, obs. D. Legeais ) » (pt 8). La première chambre civile rappelle alors qu’« Il avait également été jugé que le défaut de communication du taux et/ou de la durée de la période dans le contrat de prêt ou un document relatif à celui-ci était sanctionné par la nullité de la clause stipulant l’intérêt conventionnel et la substitution à celui-ci de l’intérêt légal (Civ. 1re, 1er juin 2016, n° 15-15.813, RTD com. 2016. 825, obs. D. Legeais ; 7 mars 2019, n° 18-11.617 ; 27 mars 2019, n° 18-11.448) » (pt 9). C’est précisément ce courant jurisprudentiel qui est brisé dans le présent arrêt et ce, au nom de l’uniformisation des sanctions civiles en matière de TEG : « Pour les motifs exposés au point 8 et dans la suite de l’arrêt précité du 10 juin 2020, il convient de poursuivre l’uniformisation des sanctions et de juger que le défaut de communication du taux et/ou de la durée de la période est sanctionné par la déchéance du droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, sous réserve que l’écart entre le TEG mentionné et le taux réel soit supérieur à la décimale prescrite par l’annexe à l’article R. 313-1 susvisé » (pt 10). À l’aune de cet objectif d’uniformisation, l’arrêt des juges du fond, en ce qu’il avait prononcé la nullité des stipulations d’intérêts mentionnées dans les contrats de prêts immobiliers et substitué le taux d’intérêt légal aux taux conventionnels sans constater un écart entre le TEG mentionné et le TEG réel supérieur ou égal à la décimale, ne pouvait donc qu’être cassé : « En statuant ainsi, alors que n’était nullement allégué un écart entre le TEG mentionné et le TEG réel supérieur ou égal à la décimale et qu’est seule encourue la déchéance totale ou partielle du droit aux intérêts, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 12).

L’arrêt sous commentaire est une excellente synthèse de l’actuelle position prétorienne à l’égard des sanctions civiles en matière de TEG, qui est en réalité dictée par la volonté de tarir le contentieux dans ce domaine (v. à ce sujet, P. Métais et E. Valette, Le contentieux du TEG : état des lieux d’un contentieux évolutif à l’aube de la réforme, JCP 2019. 122) et de répondre aux objectifs du droit l’Union européenne, qui impose, en matière de crédit comme en d’autres domaines, des « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives » (on retrouve en effet une telle exigence au sein de nombreuses directives, dont la dir. 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avr. 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs [art. 23] et la dir. 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 févr. 2014 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel [art. 38]. La récente dir. 2019/2161/UE du Parlement européen et du Conseil du 27 nov. 2019, dite « Omnibus », prévoit également cette exigence et met en exergue un certain nombre de critères devant être pris en considération à cet égard. V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Regard sur la directive dite Omnibus 2019/2161/UE du 27 novembre 2019, RDC 2020/2, n° 9. Sur l’appréciation de ce triple caractère, v. CJUE 10 juin 2021, aff. C-303/20, Dalloz actualité, 2 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier). Il n’en demeure pas moins que la solution adoptée revient à faire une application anticipée de l’ordonnance du 17 juillet 2019 (sur laquelle, v. G. Biardeaud, Succès en trompe-l’œil pour les banques, D. 2019. 1613 ; F. Clapiès, TEG : une clarification attendue du régime des sanctions civiles, RLDA oct. 2019, p. 20 ; X. Delpech, Un nouveau régime de sanctions en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, AJ Contrat 2019. 361 ; J. Lasserre Capdeville, L’adoption d’une sanction unique aux manquements liés au TEG/TAEG, JCP E 12 sept 2019. Act. 574 ; M. Latina, La sanction civile du TAEG est unifiée, L’essentiel Droit des contrats, oct. 2019, p. 2 ; P. Métais et E. Valette, La réforme du TEG adoptée : la déchéance du droit aux intérêts du prêteur proportionnée au préjudice… RLDC oct. 2019, p. 9 ; V. Prevesianos, Une ordonnance fixe les sanctions civiles applicables en cas de défaut ou d’erreur du taux effectif global, Dalloz actualité, 30 juill. 2019), n’en déplaise à la Cour de cassation (Civ. 1re, 10 juin 2020, n° 18-24.287, D. 2020. 1440 ; ibid. 1434, note J.-P. Sudre ; ibid. 1441, note J.-D. Pellier ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2021. 223 , obs. J. Moreau ; RDI 2020. 448, obs. H. Heugas-Darraspen ; AJ contrat 2020. 387, obs. F. Guéranger ; RTD civ. 2020. 605, obs. H. Barbier ; RTD com. 2020. 693, obs. D. Legeais ; v. égal., Civ. 1re, 10 juin 2020, avis n° 15004, D. 2020. 1410, point de vue G. Biardeaud ; ibid. 2085, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 2021. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; ibid. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RDI 2020. 446, obs. J. Bruttin ). Ce faisant, comme nous l’avions déjà souligné, elle applique (sans le dire) le principe de la rétroactivité in mitius en matière civile alors que ce principe est traditionnellement cantonné à la matière répressive en vertu de l’article 112-1, alinéa 3, du code pénal (en faveur d’une telle application, v. P.-Y. Gautier, Pour la rétroactivité in mitius en matière civile, in Mélanges dédiés à la mémoire du doyen J. Héron, LGDJ, 2009, p. 235).

En outre, et corrélativement, elle consacre une hypothèse de déchéance sans texte, ce qui est remarquable dans la mesure où elle y est en principe hostile (v. par ex., en matière de regroupement de crédits, Civ. 1re, 9 janv. 2019, n° 17-20.565, Dalloz actualité, 24 janv. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 68 ; AJDI 2019. 632 , obs. J. Moreau, M. Phankongsy et O. Poindron ; RDI 2019. 440, obs. J. Salvandy ; AJ contrat 2019. 184, obs. J. Lasserre Capdeville ; v. égal., en matière de surendettement, Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-25.160, D. 2020. 484 ; Rev. prat. rec. 2020. 9, chron. M. Draillard, Rudy Laher, A. Provansal, O. Salati et E. Jullien ; JCP E 11 juin 2020. 1227, note J.-D. Pellier). Il est vrai, cependant, que la solution présente le mérite de la cohérence, la Cour de cassation poursuivant son œuvre d’uniformisation, comme elle le déclare elle-même (v. égal., Com. 24 mars 2021, n° 19-14.307, Dalloz actualité, 8 avr. 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 692 ; AJDI 2021. 456 ; RTD civ. 2021. 404, obs. H. Barbier ).