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Pouvoir de direction : la seule proposition de mesure discriminatoire justifie des poursuites

Il ne résulte pas de l’article 225-1 du code pénal que le fait pour quiconque d’opérer une distinction se traduisant par une discrimination prohibée implique qu’il la mette directement en œuvre.

par Sofian Goudjille 6 juillet 2021

Un directeur du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) a été cité par le ministère public devant le tribunal correctionnel du chef de discrimination, à la suite de plaintes d’un sapeur-pompier qui soutenait avoir fait l’objet d’une discrimination faute d’avoir pu être promu au grade d’adjudant.

Il était reproché au prévenu d’avoir élaboré une note de service édictant pour la promotion au grade d’adjudant des sapeurs-pompiers un critère tenant à la durée des services effectués au sein d’un SDIS particulier à l’exclusion des autres SDIS, ce qui revenait de fait, selon la prévention, à empêcher toute promotion à ceux qui avaient effectué tout ou partie de leur carrière en dehors du SDIS visé dans la note et pouvaient ne pas en être originaires.

Les premiers juges ayant déclaré le prévenu coupable, celui-ci a interjeté appel de cette décision, ainsi que le ministère public et la partie civile.

La cour d’appel a infirmé le jugement, relaxé le prévenu et débouté la partie civile de ses demandes. Elle a jugé que si des éléments de nature discriminatoire ont été retenus par la justice administrative pour annuler un arrêté du 4 mai 2016 portant tableau d’avancement au grade d’adjudant de sapeur-pompier professionnel au titre de l’année 2015, cela ne suffit pas à caractériser le délit pénal qui suppose de démontrer une intention ainsi qu’un pouvoir décisionnaire.

Les juges ont ajouté que si l’intéressé est le directeur du SDIS, ce n’est pas lui qui décide de l’avancement puisque le classement se fait après la réunion d’une commission administrative paritaire (CAP) et que c’est en l’espèce la présidente du SDIS qui signe ce tableau d’avancement.

La cour d’appel a enfin précisé que, n’étant pas présent lors des réunions préparatoires et ne faisant qu’établir une note de service permettant d’énoncer les critères d’avancement retenus par la CAP et validés par les différents intervenants sans pour autant pouvoir entériner les promotions et donc la mise en œuvre réelle de la potentielle discrimination, l’appelant n’a pas commis les faits qui lui sont reprochés.

Déboutée de ses demandes, la partie civile a formé un pourvoi en cassation.

Au soutien de son pourvoi, le demandeur soutient dans un moyen unique que sauf délégation de pouvoirs, est pénalement responsable d’une discrimination prohibée l’agent public qui, en vertu de son pouvoir de direction, fixe des critères d’avancement ayant pour effet d’opérer une distinction fondée sur une ou plusieurs circonstances visées à l’article 225-1 du code pénal.

Or la cour d’appel, en statuant comme elle l’a fait, quand le directeur du SDIS avait établi la note de service du 14 octobre 2015 fixant les critères définitifs d’avancement au grade d’adjudant sapeur-pompier, dont un critère d’ancienneté constitutif d’une discrimination prohibée, ce dont il résultait qu’il était pénalement responsable du délit poursuivi, peu important qu’il n’ait pas lui-même mis en œuvre lesdits critères, aurait violé les articles 225-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale.

Dans la deuxième branche de son moyen, le demandeur au pourvoi avance qu’en sa qualité de directeur du SDIS, le prévenu était tenu de respecter et de faire respecter des critères d’avancement non discriminants, de sorte que la fixation par ce dernier dans sa note de service du 14 octobre 2015 de critères définitifs d’avancement discriminatoires suffisait à engager sa responsabilité pénale du chef du délit poursuivi, peu important que lesdits critères aient ensuite été validés par différents intervenants et que le directeur n’ait pas disposé du pouvoir d’entériner les promotions. Dès lors, en retenant que, le directeur « n’étant pas présent aux réunions préparatoires et qu’en faisant établir une note de service permettant d’énoncer les critères d’avancement du CAP et validés par différents intervenants sans pour autant pouvoir entériner les promotions et donc la mise en œuvre réelle de la potentielle discrimination, l’appelant n’a pas commis faits qui lui sont reprochés », la cour d’appel aurait violé les articles 225-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale.

La chambre criminelle était ainsi saisie de la question de savoir s’il était possible de retenir la qualification de discrimination à l’encontre d’une personne détentrice d’un pouvoir directionnel compte tenu de son rôle dans la construction de la décision dont il a résulté que le plaignant ne pouvait être promu.

À cette question, les juges de cassation ont répondu qu’il ne résulte pas de l’article 225-1 du code pénal que le fait pour quiconque d’opérer une distinction se traduisant par une discrimination prohibée implique qu’il la mette directement en œuvre.

Elle ajoute qu’il suffit que ladite distinction ait été proposée par une personne participant, du fait de ses fonctions, au pouvoir de direction de la personne morale qui met en œuvre la mesure discriminatoire, ou de l’un de ses organes, pour que cette personne physique soit susceptible de faire l’objet de poursuites à raison de ces textes.

Il ressort de cette décision que l’infraction de l’article 225-1 du code pénal peut être commise par de nombreuses personnes physiques ou organes d’une personne morale. Il n’en a pas toujours été ainsi, la chambre criminelle ayant par exemple jugé dans un arrêt du 11 mai 1999 (Crim. 11 mai 1999, n° 97-81.653, D. 2000. 113 , obs. G. Roujou de Boubée ; RSC 2000. 194, obs. B. Bouloc ; ibid. 197, obs. Y. Mayaud ), que « justifie sa décision la cour d’appel qui, pour relaxer des conseillers municipaux, poursuivis du chef de discrimination à raison d’une délibération du conseil municipal refusant un service, retient que cette délibération a été prise par un organe collégial de la commune et ne peut être en conséquence imputée à ceux des conseillers ayant exprimé un vote favorable ».

Seulement la chambre criminelle est depuis quelques années revenue sur cette position restrictive et a ainsi pu juger dans un arrêt du 11 juillet 2017 (Crim. 11 juill. 2017, n° 01-85.650, D. 2003. 865, et les obs. ; RDSS 2003. 466, obs. E. Alfandari ; RSC 2003. 556, obs. Y. Mayaud ), que l’infraction de discrimination pouvait avoir été commise par une société d’habitations à loyer modéré dans l’attribution d’un logement, dès lors qu’elle avait été commise préalablement « pour le compte de la personne morale par sa commission d’attribution », laquelle « constitue un organe de la personne morale au sens de l’article 121-2 du code pénal ».

Dans cet arrêt du 8 juin 2021, la chambre criminelle aurait pu s’arrêter là et casser l’arrêt rendu par la cour d’appel. Seulement, elle n’en a rien fait et a usé de son pouvoir lui permettant de substituer un motif de pur droit à un motif erroné ou inopérant sur lequel s’est fondée la décision attaquée et de justifier ainsi ladite décision, dès lors que ledit motif a été mis dans le débat.

La Cour s’est en effet attachée à soulever d’office une question qui ne lui était pas posée dans le cadre du pourvoi, à savoir celle consistant à se demander si le critère tenant à la durée des services effectués au sein d’un seul SDIS à l’exclusion des autres pouvait caractériser ou non une discrimination à raison de « l’origine » (C. pén., art. 225-1).

À cette question, la chambre criminelle a répondu qu’il résulte de l’article 225-2 du code pénal que seules sont punissables les discriminations fondées sur l’un des critères limitativement énumérés aux articles 225-1 à 225-1-2. Ces textes, qui doivent être interprétés strictement, ne répriment que la discrimination directe. Or, parmi les critères énumérés aux articles 225-1 à 225-1-2 du code pénal, figure l’origine de l’intéressé mais non la durée d’emploi dans une région particulière. Elle précise enfin qu’à supposer que l’arrêté du 4 mai 2016 conduise à favoriser les personnes originaires d’un seul SDIS au détriment des autres, et qu’une telle discrimination soit punissable, celle-ci serait le résultat d’une constatation statistique selon laquelle les personnes ayant été en service pendant une durée importante à La Réunion sont le plus souvent originaires de ce territoire. Elle conclut que l’on ne peut déduire d’une telle constatation que l’existence d’une discrimination indirecte.

C’est la raison pour laquelle la chambre criminelle a jugé que les faits poursuivis n’étaient pas punissables au titre des dispositions de l’article 225-1 du code pénal et ainsi rejeté le pourvoi.

Le droit positif ne définit la discrimination que depuis la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Il ressort de l’article 1er de cette loi que la discrimination directe doit être vue comme renvoyant à « la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie et supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable ».

Par ailleurs, toujours selon cet article, doit être vue une discrimination indirecte, « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ».

Or, pour l’heure, seule la discrimination directe est clairement envisagée par les articles 225-1 et suivants du code pénal. La chambre criminelle a interprété strictement cet article afin d’écarter le moyen et de juger l’arrêt de la cour d’appel régulier en la forme.