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Pratique commerciale déloyale et procédures civiles d’exécution

L’article 11 de la directive du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui interdit au juge de la procédure de saisie hypothécaire de contrôler, d’office ou à la demande des parties, la validité du titre exécutoire au regard de l’existence de pratiques commerciales déloyales et, en tout état de cause, au juge compétent pour statuer au fond sur l’existence de ces pratiques d’adopter des mesures provisoires, telles que la suspension de la procédure de saisie hypothécaire.

par Jean-Denis Pellierle 1 octobre 2018

L’article 11 ne s’oppose pas non plus à une réglementation nationale qui ne confère pas un caractère juridiquement contraignant à un code de conduite tel que ceux mentionnés à l’article 10 de cette directive.

Quel est l’office du juge à l’égard des pratiques commerciales déloyales dans le cadre d’une procédure civile d’exécution ? La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dû se prononcer sur cette question au regard des faits suivants : le 30 janvier 2006, trois Espagnols ont conclu avec une banque un contrat de prêt avec garantie hypothécaire pour un capital de 166 000 €, remboursable en vingt-cinq ans. Ce contrat fixait à 195 900 € la valeur « de mise à prix » de l’immeuble hypothéqué, c’est-à-dire la valeur de départ du bien lors d’une éventuelle vente aux enchères de celui-ci, conformément au droit espagnol.

Après une première novation du 29 janvier 2009, ce contrat a de nouveau été nové par acte notarié du 18 octobre 2013. Dans le cadre de cette seconde novation, la valeur de mise à prix de l’immeuble en cause a été baissée à 57 689 € et le délai de remboursement du capital restant dû de 102 750 € a été rallongé à quarante ans. En outre, la vente extrajudiciaire de l’immeuble a été autorisée et le contrat précise désormais que cet immeuble est le logement habituel des intéressés.

Le contrat de prêt avec garantie hypothécaire ainsi nové servant de titre exécutoire, la banque a engagé la procédure de saisie hypothécaire. Les emprunteurs ont formé opposition à cette procédure au motif que ce contrat contient des clauses abusives. En effet, d’une part, la valeur de mise à prix aurait été réduite à leur détriment, le rallongement du délai de remboursement n’ayant servi qu’à encourager les emprunteurs à accepter la novation dudit contrat. Ainsi, la banque aurait agi de manière contraire à la diligence professionnelle en ce qu’elle aurait profité de la restructuration de la dette pour modifier l’estimation de l’immeuble en question.

Par ailleurs, les conditions permettant aux emprunteurs d’éviter la saisie et de se libérer de la dette par la dation en paiement du logement tout en restant locataires auraient été remplies, conformément au code de bonnes pratiques bancaires, de sorte que, ce code étant contraignant, la banque aurait dû accepter la dation en paiement proposée par les défendeurs au principal.

Le tribunal de première instance n° 5 de Carthagène a donc interrogé la CJUE sur le point de savoir si les agissements de la banque constituaient des pratiques commerciales déloyales et si le code de bonne conduite auquel elle était soumise avait un caractère juridiquement contraignant.

S’agissant de la première question, la Cour de justice considère, dans un arrêt du 19 septembre 2018, que « l’article 11 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur […], doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit au juge de la procédure de saisie hypothécaire de contrôler, d’office ou à la demande des parties, la validité du titre exécutoire au regard de l’existence de pratiques commerciales déloyales et, en tout état de cause, au juge compétent pour statuer au fond sur l’existence de ces pratiques d’adopter des mesures provisoires, telles que la suspension de la procédure de saisie hypothécaire ».

Cette considération semble raisonnable dans la mesure où l’article 11, paragraphe 1, de la directive du 11 mai 2005 prévoit simplement que « les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l’intérêt des consommateurs ». Ce texte n’impose donc pas aux États membres les armes avec lesquelles ils doivent lutter contre les pratiques déloyales. Comme le rappelle la Cour de justice de l’Union européenne, la directive « laisse aux États membres une marge d’appréciation quant au choix des mesures nationales destinées à lutter, conformément aux articles 11 et 13 de la même directive, contre ces pratiques, à la condition qu’elles soient adéquates et efficaces et que les sanctions ainsi prévues soient effectives, proportionnées et dissuasives (v., en ce sens, CJUE 16 avr. 2015, UPC Magyarország, C-388/13, EU:C:2015:225, points 56 et 57, ainsi que jurisprudence citée, D. 2015. 917 ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ) » (§ 31).

Au demeurant, l’on peut se demander, à l’instar de la banque, si la réduction de l’estimation du bien hypothéqué constitue bien une pratique commerciale déloyale au sens de la directive du 11 mai 2005, dans la mesure où cette notion est définie comme « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs » (art. 2, d). Or l’on peut très sérieusement se demander, en l’occurrence, si l’on était bien en présence d’une pratique « en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un bien ou d’un service au consommateur ».

On observera, en revanche, que la réponse à la question posée serait autre sur le terrain des clauses abusives, la CJUE ayant déjà eu l’occasion d’affirmer que « la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui, tout en ne prévoyant pas dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire des motifs d’opposition tirés du caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, ne permet pas au juge saisi de la procédure au fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une telle clause, d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de ladite procédure d’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale » (CJUE 14 mars 2013, aff. n° C-415/11, D. 2013. 766 ; ibid. 2014. 1297, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD eur. 2013. 559, obs. C. Aubert de Vincelles ). L’arrêt sous commentaire tempère donc quelque peu la politique jurisprudentielle européenne de protection des consommateurs dans le cadre des procédures civiles d’exécution (v. à ce sujet C. Aubert de Vincelles, « La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de droit de la consommation », in Y. Picod [dir.], Le droit européen de la consommation, mare & martin, 2018, p. 35, soulignant que « c’est surtout dans le cadre des procédures civiles d’exécution que la jurisprudence de la Cour de justice s’est particulièrement manifestée ces dernières années, essentiellement du fait de questions préjudicielles posées par l’Espagne, à la suite de la crise économique et de ses conséquences dramatiques pour les emprunteurs immobiliers face à des procédures de saisie hypothécaire »).

Concernant ensuite la valeur du code de bonne conduite, la CJUE décide que « l’article 11 de la directive 2005/29 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui ne confère pas un caractère juridiquement contraignant à un code de conduite tel que ceux mentionnés à l’article 10 de cette directive ». Cette seconde considération est moins convaincante : il faut rappeler que le code de conduite est défini par l’article 2, f), de la directive de 2005 comme « un accord ou un ensemble de règles qui ne sont pas imposés par les dispositions législatives, réglementaires ou administratives d’un État membre et qui définissent le comportement des professionnels qui s’engagent à être liés par lui en ce qui concerne une ou plusieurs pratiques commerciales ou un ou plusieurs secteurs d’activité ».

Dès lors, il paraît difficile de dénier aux codes de conduites une valeur contraignante, fût-elle inférieure à celle des lois et règlements, le professionnel acceptant précisément d’être lié par une telle norme. Au demeurant, l’on se demande à quoi serviraient de tels codes s’ils n’avaient pas de valeur contraignante (v. à ce sujet M. Larouer, Les codes de conduites, source du droit, préf. P. Deumier, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », 2018). D’ailleurs, la directive de 2005 prévoit elle-même, en son article 6, § 2, b), qu’une pratique commerciale est réputée trompeuse dès lors qu’elle implique « le non-respect par le professionnel d’engagements contenus dans un code de conduite par lequel il s’est engagé à être lié, dès lors que ces engagements ne sont pas de simples aspirations, mais sont fermes et vérifiables, et que le professionnel indique, dans le cadre d’une pratique commerciale, qu’il est lié par le code ». La CJUE précise cependant à cet égard que « cette directive n’impose pas aux États membres de prévoir des conséquences directes à l’égard des professionnels pour la seule raison que ceux-ci ne se sont pas conformés à un code de conduite après y avoir adhéré » (point 58). La décision n’en demeure pas moins critiquable.