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Pratiques anticoncurrentielles et compétence : nouvelles précisions

La Cour de cassation précise sa jurisprudence issue de trois arrêts du 29 mars 2017 relatifs au pouvoir de statuer du juge en matière de pratiques anticoncurrentielles, à propos de la compétence pour ordonner une mesure d’instruction in futurum.

par François Mélinle 29 janvier 2018

L’article L. 442-6 du code de commerce fournit la liste des pratiques anticoncurrentielles qui engagent la responsabilité de « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ». L’article D. 442-3 du même code réserve l’application de cet article L. 442-6 à certains tribunaux, dont la liste est fournie par l’annexe 4-2-1 du code. Il précise également que la cour d’appel compétente pour connaître des décisions rendues par ces juridictions est celle de Paris.

La mise en œuvre de cet article D. 442-3 peut soulever une difficulté : si un tribunal non spécialisé connaît néanmoins d’un dossier relatif à l’application de l’article L. 442-6, un éventuel recours relève-t-il de la compétence de la cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 ou de la cour d’appel dans le ressort de laquelle il est situé, en application du droit commun ?

La Cour de cassation, qui a eu récemment à trancher ce débat, a opéré un revirement. Par trois arrêts du 29 mars 2017 (Com. 29 mars 2017, nos 15-17.659, 15-24.241 et 15-27.811, Dalloz actualité, 27 avr. 2017, obs. L. Dargent ; ibid. 1075, chron. S. Tréard et al. ; RTD civ. 2017. 722, obs. P. Théry ), la chambre commerciale a énoncé que seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées sont portés devant la cour d’appel de Paris, de sorte qu’il appartient aux autres cours d’appel, conformément à l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui ne sont pas désignées par l’annexe. La chambre commerciale a ajouté qu’il en est ainsi même dans l’hypothèse où celles-ci auront, à tort, statué sur l’application de l’article L. 442-6 (v. égal. Com. 26 avr. 2017, n° 15-26.780, en matière de contredit, Dalloz actualité, 24 mai 2017, obs. L. Constantin ; ibid. 2444, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; AJ Contrat 2017. 284, obs. R. Pihéry ; RTD civ. 2017. 722, obs. P. Théry ).

Cette nouvelle jurisprudence est confirmée par l’arrêt du 17 janvier 2018, qui opte pour une formulation plus ciselée : les recours formés contre les décisions rendues par des juridictions non spécialement désignées par l’article D. 442-3 du code de commerce, quand bien même elles auraient statué dans un litige relatif à l’application de l’article L. 442-6 du même code, sont, conformément à l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, portés devant la cour d’appel dans le ressort de laquelle elles sont situées, tandis que seuls les recours formés contre les décisions rendues par des juridictions spécialisées sont portés devant la cour d’appel de Paris.

Cet arrêt du 17 janvier 2018 est l’occasion, pour la chambre commerciale, de se prononcer sur une seconde difficulté, tenant aux rapports entre l’article L. 442-6 du code de commerce et l’article 145 du code de procédure civile, qui énonce que, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

En substance, la question posée à la Cour de cassation était la suivante : est-il possible de solliciter, en vue d’établir si un partenaire commercial a été soumis à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-6, I, 2°, une mesure d’instruction in futurum auprès du président d’un tribunal qui n’est pas spécialement désigné par l’article D. 442-3 et par l’annexe 4-2-1 ?

La question est importante puisque l’on sait que le juge territorialement compétent pour statuer sur une demande de mesure d’instruction est, en droit commun, le président de la juridiction appelée à connaître d’un litige éventuel sur le fond ou le président de la juridiction du lieu où doit être exécutée la mesure demandée (Civ. 2e, 17 juin 1998, n° 95-10.563, D. 1998. 194 ).

Cette question n’est pas surprenante dès lors que l’on se souvient que l’on considère que la procédure de l’article 145 présente une autonomie, en ce sens qu’elle n’est pas soumise aux conditions habituelles du référé (X. Vuitton et J. Vuitton, Les référés, 3e éd., LexisNexis, 2012, n° 542 ; S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action 2017/2018, nos 111.100 s. ; C. Chainais, F. Ferrand et S. Guinchard, Procédure civile, 33e éd., Dalloz, 2016, n° 1918). Par suite, on pourrait considérer, comme le suggérait le demandeur au pourvoi, que la mise en œuvre de l’article 145 peut échapper, même en présence d’une situation a priori visée par l’article L. 442-6, à la compétence des juridictions spécialement désignées pour connaître de cet article, précisément en raison de son autonomie.

L’arrêt écarte toutefois une telle approche et énonce que seules les juridictions du premier degré spécialement désignées par l’article D. 442-3 du code de commerce sont investies du pouvoir de statuer sur les litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6.

Une telle approche peut être approuvée en raison de ses avantages pratiques, puisqu’elle crée une sorte de bloc de compétences au profit des juridictions spécialement désignées par le code de procédure civile, dès lors que l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce est envisagée. On peut en espérer une plus grande efficacité des procédures. Il est d’ailleurs à noter que l’arrêt du 17 janvier 2018 étend cette approche à la question des pratiques anticoncurrentielles visées par l’article L. 420-1 du code de commerce, à propos desquelles une compétence spéciale a également été attribuée à certaines juridictions uniquement, par l’article R. 420-3 du même code.

Une réserve peut toutefois être formulée quant à cette solution. L’arrêt évoque le « pouvoir de statuer » des juridictions spécialisées en matière de pratiques anticoncurrentielles. Or certains commentateurs des arrêts, précités, du 29 mars 2017 ont fait remarquer que cette référence à la notion de pouvoir de statuer, aux contours flous, est surprenante car il s’agit en réalité d’une simple question de compétence (obs. préc. de P. Théry et L. Dargent).