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Précisions sur le champ d’application dans l’espace du règlement Bruxelles II bis

La règle de compétence générale prévue à l’article 8, § 1, du règlement Bruxelles II bis est susceptible de s’appliquer à des litiges impliquant des rapports entre les juridictions d’un seul État membre et celles d’un pays tiers et non pas uniquement des rapports entre des juridictions relevant de plusieurs États membres.

par François Mélinle 28 octobre 2018

Une ressortissante bangladaise épouse, au Bangladesh, un ressortissant britannique. Le couple s’établit, quelques années plus tard, au Royaume-Uni, l’épouse ayant obtenu un visa pour conjoint étranger. Peu de temps après, les deux époux se rendent au Bangladesh, où l’épouse a un enfant. Environ un an plus tard, le père rentre seul au Royaume-Uni.

La mère saisit, par la suite, une juridiction anglaise de la situation de l’enfant.

Pour justifier la compétence de cette juridiction, la mère indique qu’à la date à laquelle elle l’a saisi, l’enfant résidait de manière habituelle au Royaume-Uni. Le père conteste toutefois cette allégation et la compétence du juge.

La Cour de justice de l’Union européenne est alors saisie par la voie préjudicielle. Il lui fut demandé si la présence physique d’un enfant dans un État constitue un élément essentiel de la résidence habituelle au sens de l’article 8 du règlement dit Bruxelles II bis n° 2201/2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale. Rappelons que cet article 8, § 1, dispose que « les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie ».

Une telle question peut surprendre, tant la réponse qui peut lui être apportée semble évidente.

L’affaire jugée par la Cour de justice le 17 octobre 2018 mérite toutefois de retenir la plus grande attention, car elle soulève en réalité deux difficultés, l’une tenant au champ d’application dans l’espace du règlement, l’autre à l’existence de circonstances d’espèce très particulières.

1) Le champ d’application dans l’espace du règlement Bruxelles II bis

La question de l’application du règlement se posait dès lors qu’étaient en cause un État membre et le Bangladesh. Le Royaume-Uni était d’ailleurs intervenu devant la Cour de justice en faisant valoir que ce règlement a vocation à s’appliquer uniquement aux situations transfrontalières à l’intérieur de l’Union.

Sur ce point, l’arrêt relève que le règlement ne limite pas son champ d’application territorial et que les règles uniformes de compétence contenues dans le règlement no 2201/2003 n’ont pas vocation à s’appliquer uniquement à des situations comportant un lien effectif et suffisant avec le fonctionnement du marché intérieur, impliquant plusieurs États membres (arrêt, pt 40). Il ajoute que l’article 8 ne soumet pas son application à la condition de l’existence d’un rapport juridique impliquant plusieurs États membres (arrêt, pts 31 et 32), contrairement aux articles 9, 10 ou 15 (arrêt, pt 33). Dès lors, la Cour de justice de l’Union européenne pose que la règle de compétence générale prévue à l’article 8, § 1, du règlement est susceptible de s’appliquer à des litiges impliquant des rapports entre les juridictions d’un seul État membre et celles d’un pays tiers et non pas uniquement des rapports entre des juridictions relevant de plusieurs États membres (arrêt, pt 41).

Cette position est énoncée pour la première fois par la Cour de justice. Elle est conforme à celle soutenue par la doctrine spécialisée, qui a souligné le fait que le règlement ne définit pas son champ d’application dans l’espace (N. Joubert, J.-Cl. Droit international, Fasc. 549-20 : Autorité parentale, Conflits de juridictions, n° 16), qu’il n’y a donc pas à établir une distinction de principe entre les situations internes à l’Union et celles qui concernent un État tiers (Rép. Internat., Règlement Bruxelles II bis : compétence, reconnaissance et exécution en matières matrimoniale et de responsabilité parentale, par E. Gallant, n° 24 ; adde M. Farge, Divorce, L’apparition du droit judiciaire européen du divorce devant la Cour de cassation, Dr. fam. n° 11, nov. 2005. Étude 24) et qu’il s’agit, à propos de chaque règle de compétence établie par le règlement, de rechercher si le critère de compétence retenu conduit à désigner une juridiction d’un État membre (N. Joubet, préc. ; E. Gallant, préc., n° 26).

2) La détermination du lieu de résidence de l’enfant

L’applicabilité de l’article 8, § 1, étant acquise, il restait à la Cour de justice à examiner, sur le fond, les circonstances très particulières de l’espèce, pour déterminer si les juridictions du Royaume-Uni étaient compétentes en matière de responsabilité parentale, eu égard au lieu de résidence habituelle de l’enfant.

La mère indiquait en effet avoir subi une contrainte de la part de son époux pour qu’elle accouche au Bangladesh et y réside avec l’enfant depuis sa naissance. Elle faisait également état d’une atteinte à ses droits fondamentaux ainsi qu’à ceux de l’enfant. Et elle faisait, en substance, valoir que ces circonstances devaient être prises en considération pour déterminer si le lieu de résidence habituelle de l’enfant se trouvait au Royaume-Uni, bien qu’il n’y fût pas physiquement présent.

Une telle perspective est envisagée pour la première fois par la Cour de justice de l’Union européenne, qui écarte la position soutenue par la mère.

Selon l’arrêt du 17 octobre 2018, l’article 8, § 1, du règlement « doit être interprété en ce sens qu’un enfant doit avoir été physiquement présent dans un État membre pour qu’il puisse être considéré comme résidant habituellement dans cet État membre, au sens de cette disposition ». L’arrêt ajoute que « la contrainte exercée par le père sur la mère ayant pour conséquence que la mère a accouché de leur enfant dans un État tiers et y réside avec cette enfant depuis la naissance de celle-ci et, d’autre part, l’atteinte aux droits fondamentaux de la mère ou de l’enfant, n’ont pas d’incidence à cet égard ».

Cette position n’est pas surprenante, compte tenu de la jurisprudence habituelle de la Cour, qui rappelle régulièrement que l’article 8 établit une compétence générale en matière de responsabilité parentale en faveur des juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle (par exemple, CJUE 15 févr. 2017, aff. C-499/15, pt 52, Europe n° 4, avr. 2017. Comm. 164, note L. Idot ; Procédures n° 4, avr. 2017. Comm. 65, note C. Nourissat ; Rev. crit. DIP 2018. 138, note N. Joubert ) et que pour déterminer la résidence habituelle d’un enfant, il faut prendre en considération la présence physique de ce dernier dans un État membre, cette présence ne devant pas avoir un caractère temporaire ou occasionnel (V., par ex., CJUE 8 juin 2017, aff. C-111/17, pt 43, D. 2017. 1250 ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 493, obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2018. 115, note C. Chalas ; Dr. fam. n° 10, oct. 2017. Comm. 219, note A. Devers, Procédures n° 8-9, août 2017. Comm. 192, obs. C. Nourissat ; Europe n° 8-9, août 2017. Comm. 336, obs. L. Idot ; 28 juin 2018, aff. C-512/17, pt 41, Dalloz actualité, 17 juill. 2018, obs. F. Mélin ; AJ fam. 2018. 465, obs. A. Boiché ). Une présence physique dans l’État membre dans lequel l’enfant est prétendument intégré est ainsi une condition nécessairement préalable à l’évaluation de la stabilité de cette présence, de sorte que la « résidence habituelle », au sens de l’article 8, ne saurait donc être fixée dans un État membre dans lequel l’enfant ne s’est jamais rendu (arrêt, pt 53).

Une telle interprétation ne peut qu’être approuvée car elle seule permet de conserver le lien qui doit nécessairement exister entre une résidence et un territoire et donc s’assurer de l’existence d’un rattachement à la juridiction à laquelle il est demandé de se prononcer. Retenir la solution opposée aurait conduit à favoriser le forum shopping, en incitant les plaideurs à exploiter des éléments de fait constitués hors de l’Union, dont l’interprétation peut être en partie subjective (l’arrêt indique, en substance, que les allégations d’une contrainte et d’une atteinte aux droits fondamentaux de la mère devaient être vérifiées en l’espèce) pour tenter de se rattacher à une juridiction d’un État de l’Union, même en l’absence d’un rattachement objectif à celle-ci.