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Précisions sur le régime de l’annulation d’un prêt viager hypothécaire

Dans un arrêt rendu le 19 juin 2024, la première chambre civile aborde plusieurs questions autour du prêt viager hypothécaire intéressant le droit commun comme le droit spécial. 

Les prêts viagers hypothécaires sont connus pour leur fort ancrage en droit de la consommation. Ce contrat permet ainsi d’octroyer à une personne physique un prêt lequel est garanti par l’hypothèque consentie sur un des immeubles du débiteur. Au décès de ce dernier, ses héritiers paient la dette laquelle est « plafonnée à la valeur de l’immeuble » (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Dépincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 402, n° 356). Si le créancier n’est pas réglé, il peut alors mettre en œuvre sa sûreté réelle. Technique utile d’accès au crédit, le prêt viager hypothécaire reste d’articulation assez délicate car peu de décisions explorent les potentialités de son régime.

L’arrêt rendu le 19 juin 2024 vient montrer à quel point le croisement entre la théorie générale de l’obligation et le droit spécial de la consommation peut venir influencer ce régime juridique. Les enseignements de la décision que nous étudions aujourd’hui sont pluriels et intéressent à la fois le droit de la publicité foncière, celui de la prescription extinctive de droit commun et du droit de la consommation mais également la théorie générale même du contrat à travers les qualités de l’erreur antérieurement à la réforme du droit des obligations. Voici d’ailleurs une coïncidence intéressante : la décision a été rendue la veille de la publication au Journal officiel de l’ordonnance n° 2024-562 du 19 juin 2024 modifiant et codifiant le droit de la publicité foncière. Ce texte ne sera en vigueur qu’en 2028 et ce afin d’attendre les principaux décrets d’application indispensables pour réformer ce pan du droit civil. En attendant, la décision examinée permet d’apporter un éclairage fort utile sur la publication d’une assignation introductive relative à la nullité d’un prêt viager hypothécaire.

Les faits débutent autour de deux actes notariés en date du 20 décembre 2007 et du 19 mai 2010 concernant deux prêts viagers hypothécaires au profit d’une personne physique. Le montant des sommes prêtées est inégal puisque le premier prêt s’élevait à 211 200 € tandis que le second n’était que de 25 700 €. Le bien hypothéqué suivait des estimations ayant varié dans le temps puisqu’en 2007, l’immeuble a été estimé à 960 000 € pour une estimation en 2010 figée à 1 030 000 €. L’emprunteur décède le 11 mars 2014. Ses héritiers estiment que le bien ne vaut pas la somme arrêtée à dire d’expert et avancent que l’immeuble a été surévalué. Ils décident d’engager une action en nullité des prêts et diligentent une action en responsabilité contre le notaire rédacteur d’actes. Une expertise judiciaire permet d’aboutir à des résultats drastiquement différents de ceux obtenus lors de la conclusion des deux prêts viagers puisque l’immeuble est expertisé à 540 000 € en 2007 pour 575 000 € en 2010. L’établissement bancaire créancier estime que la demande en nullité diligentée par les héritiers n’avait pas été publiée et que l’action encourait ainsi une fin de non-recevoir.

En cause d’appel, les juges du fond décident que le décret du 4 janvier 1955 n’impose pas de publication de l’assignation en nullité à peine d’irrecevabilité. Toutefois, l’action est jugée prescrite concernant le contrat du 20 décembre 2007 puisque le délai quinquennal avait expiré selon la cour d’appel saisie. Cette dernière rejette l’action en nullité du prêt consenti le 19 mai 2010 en précisant que la surévaluation du bien immobilier n’est pas constitutive d’une erreur déterminante du consentement de l’emprunteur. Pour les juges du fond, ce n’est donc pas la valeur du bien qui a déterminé l’emprunteur à conclure le contrat. Sur le fond, la demande de la banque en fixation de sa créance est rejetée dans la mesure où l’établissement bancaire n’a pas procédé conformément aux clauses insérées au contrat.

C’est dans ce contexte que la banque se pourvoit en...

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