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Précisions sur le régime de poursuite du majeur protégé

Directement consécutive à la censure constitutionnelle des modalités de perquisition du domicile du majeur protégé en enquête préliminaire, la décision commentée vient préciser le régime de poursuite des infractions commises par une personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique.

par Hugues Diazle 8 juin 2021

Placé sous curatelle renforcée et visé par une enquête préliminaire, un majeur protégé a fait l’objet d’une mesure de garde à vue. Suivant notification de ses droits, le mis en cause a demandé à être examiné par un médecin, dont le diagnostic signalait un état de santé qui, sans la délivrance d’un traitement médical spécifique et avant examen par un médecin psychiatre, s’avérait incompatible avec la mesure coercitive. Après qu’une ordonnance a été adressée aux enquêteurs, ce même médecin a finalement établi un second certificat, aux termes duquel l’état de santé était jugé compatible avec la mesure privative de liberté, à condition que le traitement prescrit fût délivré. Outre l’audition subséquente du suspect, le temps de la garde à vue a permis aux enquêteurs de procéder, en la présence de l’intéressé et après avoir recueilli son accord écrit, à la perquisition de son casier professionnel, de son domicile, ainsi qu’à la fouille de son véhicule.

Suivant réquisitoire introductif et ouverture d’information judiciaire, le majeur protégé a été mis en examen des chefs de viol sur mineur de 15 ans, agression sexuelle sur mineur de 15 ans et pédopornographie. Par application des articles 173 et suivants du code de procédure pénale, une requête en nullité a été présentée à la chambre de l’instruction, puis complétée par un mémoire complémentaire : le mis en examen y demandait l’annulation du réquisitoire introductif, de son interrogatoire de première comparution, de sa garde à vue, ainsi que des perquisitions et fouilles réalisées par les enquêteurs.

Le majeur protégé a ensuite formé un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction ayant prononcé sur sa demande d’annulation d’actes de la procédure, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation prescrivant l’examen immédiat du recours (C. pr. pén., art. 571). Outre un moyen contestant la régularité de la mesure de garde à vue en raison de l’état de santé de l’intéressé et de la tardiveté de son examen médical, les différents griefs ont été articulés autour d’une critique centrale, résultant de ce que la curatrice n’avait pas été informée, en temps utile, des poursuites ayant visé le majeur protégé.

Pour rappel, depuis une loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, la poursuite des infractions commises par les majeurs protégés est complétée par des dispositions spécifiques, codifiées aux articles 706-112 à 706-118 du code de procédure pénale (v. not. Dalloz actualité, 6 juill. 2018, obs. H. Diaz). Parmi les garanties accordées à la personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique, l’information faite au curateur ou au tuteur, à compter de la phase d’orientation des poursuites (C. pr. pén., art. 706-113), se révèle d’une importance capitale, en ce qu’elle permet d’assurer le respect des droits de la défense et de pallier l’incapacité du majeur protégé.

Afin de renforcer ce régime protecteur dès le stade de l’enquête policière, le Conseil constitutionnel a récemment censuré, à deux reprises, l’article 706-113 susvisé, en raison de l’absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé de son placement en garde à vue (Crim. 13 oct. 2020, n° 20-82.267 NP, D. 2021. 964  ; Cons. const. 14 sept. 2018, n° 2018-730 QPC, Dalloz actualité, 21 sept. 2018, obs. S. Fucini ; D. 2018. 1757, et les obs. ; ibid. 2019. 1248, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Constitutions 2018. 454 ), mais encore de la perquisition menée à son domicile dans le cadre d’une enquête préliminaire (Cons. const. 15 janv. 2021, n° 2020-873 QPC, Dalloz actualité, 27 janv. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 619, et les obs. , note V. Tellier-Cayrol ). La première de ces censures constitutionnelles a permis de consolider les droits du majeur protégé au cours de sa garde à vue (C. pr. pén., art. 706-112-1) et de son audition libre (C. pr. pén., art. 706-112-2), la seconde a invité le législateur à intervenir avant le 1er octobre 2021 pour garantir que le majeur protégé soit assisté de son représentant dans l’exercice du droit de s’opposer à la réalisation d’une perquisition de son domicile.

Comme le rappellent notamment les articles 706-112 et D. 47-14-1 du code de procédure pénale, il faut ici préciser que ces garanties spécifiques s’appliquent uniquement lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne suspectée fait l’objet d’une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier du code civil (v. égal. Crim. 12 juill. 2016, n° 16-82.714, D. 2016. 1652  ; 15 oct. 2014, n° 13-86.655, AJ fam. 2014. 702, obs. T. Verheyde  ; 29 janv. 2013, n° 12-82.100, Dalloz actualité, 18 févr. 2013, obs. C. Gayet ; D. 2013. 366 ; JA 2013, n° 475, p. 13, obs. S.Z. ; RTD civ. 2013. 350, obs. J. Hauser  ; 3 mai 2012, n° 11-88.725, Bull. crim. n° 105 ; Dalloz actualité, 21 juin 2012, obs. C. Girault ; D. 2012. 1615, obs. C. Girault ; AJ fam. 2012. 409  ; 14 avr. 2010, n° 09-83.503, D. 2010. 2115, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy ; AJ fam. 2010. 282, obs. L. Pécaut-Rivolier ; AJ pénal 2010. 409 ; RTD civ. 2010. 763, obs. J. Hauser ).

Au cas de l’espèce, pour écarter le moyen de nullité du réquisitoire introductif, pris de ce que la curatrice n’avait pas été informée de cet acte d’orientation des poursuites, alors même que les services enquêteurs avaient préalablement eu connaissance du placement sous curatelle renforcée, la Cour de cassation vient rappeler, au visa de l’article 706-113 du code de procédure pénale, que le curateur ou le tuteur d’une personne majeure protégée doit être avisé des poursuites dont elle fait l’objet. Néanmoins, si le réquisitoire introductif « pris contre personne dénommée » constitue bien un « acte de poursuite » à l’égard de la personne qu’il vise, c’est au juge d’instruction qu’il incombe, à ce stade de la procédure, de procéder à l’avis susvisé : c’est donc au moment de la mise en examen que le curateur ou le tuteur de l’intéressé doit être prévenu, afin d’être mis en mesure de l’assister dans les choix exercés en application des articles 80-2 et 116 du code de procédure pénale.

Par ailleurs, pour écarter le moyen de nullité des perquisitions, pris de ce que la curatrice n’avait pas été informée au préalable de ces mesures coercitives, en violation notamment de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, la chambre criminelle juge, en l’espèce, qu’il n’a pas été porté atteinte au droit à un procès équitable, dès lors que : aucun interrogatoire n’a eu lieu lors de ces mesures, de sorte que les droits de la défense ont bien été respectés ; l’intéressé n’a pas contesté l’authenticité des biens qui lui ont été saisis ; les enquêteurs ignorant alors la mesure de protection, aucun élément recueilli au cours de l’enquête, avant les perquisitions, n’était de nature à faire naître un doute sur l’existence de celle-ci.

De fait, la jurisprudence commentée laisse clairement transparaître la limite du dispositif législatif actuellement en vigueur, dès lors que la protection des articles 706-112 et suivants n’est applicable qu’au cas où les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que le suspect fait l’objet d’une mesure de protection. Or, à aucun moment, le législateur n’est venu préciser la teneur des démarches incombant à l’autorité judiciaire pour rechercher l’existence d’une éventuelle mesure de protection. Il s’agissait pourtant là d’un point sur lequel le Conseil constitutionnel avait invité le législateur à intervenir (non pas explicitement dans sa décision elle-même, mais dans le commentaire qui l’accompagnait) pour ce qui concerne spécifiquement le régime de la garde à vue (comm. de la décis. n° 2018-730 QPC, 14 sept. 2018, p. 16) – point sur lequel le droit positif semble être depuis lors resté silencieux.