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Les préfectures tenues d’enregistrer les demandes de titre de séjour dans un délai raisonnable

Le Conseil d’État reconnaît la possibilité pour un ressortissant étranger de présenter un référé mesures utiles en cas d’impossibilité de prendre le rendez-vous nécessaire au dépôt de sa demande de titre de séjour. 

par Thomas Bigotle 24 juin 2020

Les rendez-vous par internet : un nouveau système avec de nouvelles difficultés

Le problème que posent les plateformes dématérialisées de prise de rendez-vous pour les ressortissants étrangers n’est malheureusement pas nouveau. Accès aux outils informatiques, démarches administratives plus compliquées à maîtriser pour des personnes non francophones, risque d’isolement et d’exclusion des ressortissants étrangers, etc. Des associations de défense des droits des étrangers ainsi que le Défenseur des droits ont, à plusieurs reprises, tenté d’interpeller les pouvoirs publics sur les difficultés liées à ces nouvelles méthodes de prise de rendez-vous. Plateformes qui ont progressivement remplacé l’accueil physique en guichet, en vertu d’un principe de simplification des démarches administratives, ou d’une politique de réduction des effectifs qui ne dit pas son nom malgré l’augmentation constante du nombre d’usagers.

En l’espèce, le requérant, ressortissant tunisien, est arrivé sur le territoire français en 2013 et ne l’a plus quitté. Sa fille est scolarisée en France depuis plusieurs années. Il a sollicité auprès de la préfecture de la Seine-Saint-Denis la délivrance d’un titre de séjour « vie privée et familiale ». Après plusieurs courriels infructueux, le requérant s’est déplacé à la préfecture afin d’obtenir le rendez-vous indispensable à l’instruction de son dossier. La préfecture l’a alors redirigé vers le site internet dédié de la préfecture, « la demande par le site étant la seule façon d’obtenir un rendez-vous désormais » selon un courrier envoyé à son avocat.

Après huit mois de tentatives infructueuses, le requérant a alors saisi le tribunal administratif de Montreuil d’une requête en référé « mesures utiles » présentée sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, afin que la juridiction enjoigne à la préfecture de lui fixer une date de rendez-vous. Par une ordonnance du 11 octobre 2019, le tribunal a rejeté sa requête.

Le requérant forme alors un pourvoi en cassation contre cette ordonnance, donnant l’occasion au Conseil d’État de se prononcer pour la première fois sur la recevabilité du référé mesures utiles et sur l’examen de ses conditions dans cette situation.

Un délai raisonnable de traitement mais pas de présomption d’urgence

Traditionnellement, l’article L. 521-3 du code de justice administrative exige le respect de trois conditions cumulatives : l’existence d’une situation d’urgence, la mesure demandée par le requérant doit avoir un caractère utile, et l’ordonnance de la juridiction ne doit pas avoir pour effet de faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative.

Concernant la première condition, la formation de jugement refuse de consacrer, comme l’y invitait sa rapporteure publique, une présomption d’urgence en cas de refus de demande de titre de séjour, laquelle existe bien en référé-suspension pour le refus de renouvellement et le retrait de titre de séjour (CE, sect., 14 mars 2001, req. n° 229773, Ministre de l’intérieur c. Mme Ameur, Lebon ; AJDA 2001. 465, chron. M. Guyomar et P. Collin ; D. 2001. 1364, et les obs. ; RFDA 2001. 673, concl. I. de Silva ), mais qui trouve difficilement sa place dans le recours spécifique qu’est le référé mesures utiles, où tout est affaire d’espèce. En matière de droit des étrangers, le Conseil d’État avait pourtant reconnu une telle présomption d’urgence au profit des demandeurs d’asile victimes d’un délai de traitement anormal de leur demande, au nom des droits statutaires qu’ils tiennent de leur qualité de réfugié mais surtout à cause des dispositions législatives spéciales qui font obstacle à la naissance d’une décision implicite de rejet utilement attaquable par les demandeurs d’asile (CE 18 juill. 2011, req. n° 343901, Fathi, Lebon ; AJDA 2011. 1526 ; D. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RFDA 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ). Une présomption d’urgence qui, selon les conclusions, aurait pu se justifier en l’espèce au regard de la gravité de certaines situations résultant de délais d’attente excessivement longs : l’expiration du titre de séjour précédemment attribué malgré les diligences de son bénéficiaire, ou encore le risque de perdre le bénéfice d’un emploi faute de titre de séjour. Car, en effet, il résulte des articles L. 311-4 et R. 311-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que la régularité de la situation administrative de l’intéressé est conditionnée à la remise du fameux récépissé de dépôt, laquelle est effectuée précisément lors de ce rendez-vous dont sont matériellement privés certains étrangers.

Le Conseil d’État préfère opter cette fois-ci pour une garantie supplémentaire en renvoyant à l’office du juge des référés : si la situation de l’étranger le justifie, le juge saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 pourra préciser le délai maximal dans lequel ce rendez-vous doit avoir lieu et fixer un délai bref en cas d’urgence particulière.

En outre, « eu égard aux conséquences qu’a sur la situation d’un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, la détention du récépissé qui lui est en principe remis après l’enregistrement de sa demande et au droit qu’il a de voir sa situation examinée au regard des dispositions relatives au séjour des étrangers en France », le Conseil d’État contraint désormais l’autorité administrative à respecter un délai raisonnable pour l’enregistrement des demandes de titre de séjour. Il appartiendra au juge des référés d’apprécier au cas par cas le caractère raisonnable du délai écoulé, en tenant compte par exemple de la proximité de la date d’expiration du titre de séjour en cours de validité, de l’existence d’une promesse d’embauche à court terme, et des autres contraintes matérielles et juridiques rencontrées par le ressortissant. Selon les conclusions de la rapporteure publique, « dans tous les cas, il nous semble qu’une personne étrangère ne peut être placée dans cette situation – de confrontation à des tentatives répétées et vaines d’obtention d’une date de rendez-vous – au-delà d’un délai qui ne peut être supérieur à un mois ».

L’utilité de la mesure demandée à la juridiction par le requérant se déduit quant à elle, assez logiquement, du fait que l’obtention de ce rendez-vous est « une étape administrative indispensable à la suite de la démarche visant à l’obtention d’un titre de séjour ». Aussi, la solution aurait certainement été différente si le choix n’avait pas été faix d’obliger les usagers à prendre rendez-vous par le biais de la plateforme dématérialisée, en supprimant toute possibilité d’un accueil physique en préfecture.

La question centrale du nombre et de la temporalité des tentatives de connexion

Parallèlement à la création de ce nouveau cadre juridique, le Conseil d’État valide néanmoins en cassation l’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Montreuil qui a pu, sans commettre d’erreur de droit, juger que l’intéressé n’établissait pas avoir tenté de manière suffisamment régulière et répétée et sur une durée suffisamment longue d’obtenir un rendez-vous.

Le Conseil d’État, sans censurer expressément la position du tribunal, énonce une règle pourtant différente quant à la temporalité et le nombre de tentatives de connexion dont doit justifier le requérant : ce dernier peut demander au juge des référés d’enjoindre au préfet de lui communiquer une date de rendez-vous s’il « établit qu’il n’a pu obtenir une date de rendez-vous, malgré plusieurs tentatives n’ayant pas été effectuées la même semaine ». Pour satisfaire cette condition factuelle, il appartiendra donc au requérant, dans le cadre du référé mesures utiles, de prouver, par le biais notamment de captures d’écran, qu’il a tenté de se connecter sur la plateforme en ligne à plusieurs reprises pendant plus d’une semaine.

Ainsi, et comme il lui arrive régulièrement de le faire, le Conseil d’État valide en droit le bien-fondé de la démarche du requérant tout en rejetant, en tant que juge de cassation, le pourvoi qu’il a formé contre l’ordonnance infructueuse de première instance.