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Préjudice d’image et action civile : des précisions bienvenues

Les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction concernée. Un tel préjudice ne découle pas du comportement consistant, pour des participants à une compétition sportive, à s’entendre pour en fausser le résultat. En effet, ce comportement ne renvoie qu’à l’un des faits constitutifs de l’infraction d’escroquerie et non à l’ensemble des éléments constitutifs nécessaires pour caractériser l’infraction. 

par Dorothée Goetzle 30 novembre 2018

Le 1er février 2017, la cour d’appel de Montpellier jugeait seize prévenus impliqués dans un dossier de paris truqués. L’affaire portait sur des paris, d’un montant de plus de 100 000 €, autour d’un match sciemment perdu par l’équipe de Handball de Montpellier. En l’espèce, à la suite d’un signalement opéré par la Française des jeux qui avait été alertée par un volume inhabituel de paris sportifs, les enquêteurs découvraient qu’une entente préalable avait été mise en place notamment entre les joueurs de l’équipe, des parieurs et un buraliste afin que les joueurs fassent en sorte que l’équipe de Montpellier soit menée à la mi-temps du match. Ces manœuvres frauduleuses avaient déterminé la Française des jeux à remettre la somme totale de 300 000 € aux parieurs gagnants. Dans ce dossier, la cour d’appel avait prononcé des peines d’emprisonnement avec sursis et des amendes allant de 10 000 à 40 000 € pour escroquerie et complicité d’escroquerie. À l’instar du tribunal correctionnel, les seconds juges avaient déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de la société Montpellier Handball et de l’association du même nom. Quatre joueurs et parieurs condamnés par les juges du fond, le buraliste qui vendait sciemment les billets truqués, la société Montpellier Handball et l’association du même nom formaient un pourvoi en cassation rejeté par la chambre criminelle dans cet arrêt de 81 pages.

Dans un premier temps, les joueurs reprochaient à la cour d’appel d’avoir rejeté l’exception de nullité de l’ordonnance de renvoi. En effet, en application de l’article 385 du code de procédure pénale, si l’ordonnance qui saisit la juridiction de jugement n’a pas été rendue conformément aux dispositions de l’article 184 du même code, la sanction de cette non-conformité est le renvoi de la procédure au ministère public pour lui permettre de saisir à nouveau la juridiction d’instruction aux fins de régularisation (Crim. 1er oct. 2013, n° 12-83.143 P, Dalloz actualité, 21 oct. 2013, ob. S. Fucini isset(node/162438) ? node/162438 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>162438). En l’espèce, les seconds juges avaient considéré que le juge d’instruction pouvait, dans son ordonnance de renvoi, se référer expressément au réquisitoire définitif et en reprendre les termes dès lors qu’il prenait en compte, comme c’était le cas en l’espèce, les observations des parties, répondait à leurs articulations essentielles et analysait les éléments à charge et à décharge. En outre, les parieurs critiquaient la formulation de la prévention qui, selon eux, visait des faits qui ne leur avaient pas été notifiés lors de leur mise en examen. Les juges du fond avaient balayé cet argument en relevant qu’ils avaient été mis en examen du chef d’escroquerie, pour avoir, par l’emploi de manœuvres frauduleuses, en l’espèce, en étant en possession d’une information selon laquelle les joueurs s’étaient préalablement entendus pour modifier ou altérer le déroulement normal du match, objet de paris sportifs, réalisé de tels paris en misant sur la défaite du club de Montpellier à la mi-temps, et ainsi trompé la Française des jeux en la déterminant à son préjudice à remettre les sommes correspondant aux tickets de jeu gagnants.

La chambre criminelle écarte ce moyen en se ralliant au raisonnement juridique des juges du fond. D’abord, elle confirme que le juge d’instruction pouvait ordonner le renvoi des demandeurs devant le tribunal correctionnel en qualifiant les faits à partir des éléments tirés de l’entente préalable et des paris frauduleux portés à leur connaissance au moment de leur mise en examen (v. Rép. pén., Escroquerie, par C. Mascala). Ensuite, elle approuve la cour d’appel d’avoir considéré que l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel précisait les éléments à charge et à décharge concernant chacun des demandeurs et répondait aux articulations essentielles des observations de ces derniers. En conséquence, cette ordonnance était conforme aux exigences de l’article 184 du code de procédure pénale. Il s’agit là d’une confirmation de jurisprudence toujours bienvenue (Crim. 2 mars 2011, n° 10-86.940 P, Dalloz actualité, 16 mars 2011, obs. S. Lavric ; ibid. 1849, chron. C. Roth, A. Leprieur et M.-L. Divialle ; AJ pénal 2011. 252, obs. L. Ascensi ; RSC 2011. 421, obs. J. Danet ; Dr. pénal 2012. Chron. 1, obs. Georget). 

Parallèlement, la société Montpellier Handball et l’association Montpellier Handball reprochaient aux juges du fond d’avoir déclaré irrecevables leurs constitutions de parties civiles. La cour d’appel avait justifié cette irrecevabilité en indiquant que si les requérantes avaient bien subi un préjudice causé par le retentissement médiatique engendré par les infractions, ce préjudice n’était pas en lien direct avec les infractions d’escroquerie. En effet, pour la cour d’appel, cet impact négatif sur l’image du club et de l’association était lié au défaut d’exécution de bonne foi du contrat de travail liant chaque joueur au club. Dans un moyen particulièrement intéressant, les requérantes insistaient sur le sens et la portée des articles 2 et 3 du code de procédure pénale selon lesquels l’action civile est recevable pour tous les chefs de dommage qui découlent des faits objet de la poursuite. Elles en déduisaient que leur action civile, fondée sur un préjudice d’atteinte à l’image, était recevable.

Dans son raisonnement, la chambre criminelle commence par adresser une critique à la motivation retenue par les juges du fond. Elle leur reproche en effet, pour déclarer irrecevables les constitutions de partie civile sollicitées, d’avoir considéré que le préjudice subi par les requérantes était indirect en ce qu’il prenait sa source dans la relation contractuelle qui les unissait aux prévenus. La chambre criminelle rappelle que l’existence d’une relation contractuelle entre l’auteur des faits et la partie civile n’est pas ipso facto une cause d’exclusion de la recevabilité de la constitution de partie civile. Pour autant, la Cour de cassation écarte le moyen. Elle relève en effet que les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d’un préjudice résultant de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction visée à la poursuite. Or, en l’espèce, « tel n’est pas le cas du préjudice découlant du comportement consistant, pour des participants à une compétition sportive, à s’entendre pour en fausser le résultat, ce comportement n’étant que l’un des faits constitutifs de l’infraction d’escroquerie ».

Les prémisses de cette solution se retrouvent dans une jurisprudence ancienne relative aux règles de recevabilité de la constitution de partie civile. En effet, il a déjà été jugé que s’il est vrai que la constitution de partie civile peut avoir pour seul objet de corroborer l’action publique, encore faut-il, pour qu’elle soit recevable, que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent à la juridiction d’instruction d’admettre comme possibles, non seulement l’existence du préjudice allégué, mais aussi la relation directe de celui-ci avec l’infraction poursuivie (Crim. 19 févr. 2002, n° 00-86.244 P, D. 2002. 1321, et les obs. ; 2 mai 2007, n° 06-84.130 P ; 17 juin 2008, n° 07-80.339 P, D. 2008. 1903, obs. C. Girault ; ibid. 2757, obs. J. Pradel ; Dr. pénal 2009. Chron. 1, obs. Guérin). En outre, le rejet de ce pourvoi s’inscrit avec cohérence dans la jurisprudence déjà rendue en matière sportive. Ainsi, il a déjà été reconnu qu’est irrecevable la constitution de partie civile d’une association gestionnaire d’un groupe sportif contre un dirigeant et un salarié mis en examen pour des infractions liées au dopage car le préjudice résultant du discrédit qui serait porté à l’action promotionnelle du sponsor ne peut qu’être indirect (Crim. 12 sept. 2000, n° 00-80.587 P, D. 2001. 1659 , obs. A. Lacabarats ; RSC 2001. 405, obs. D. N. Commaret ). Dans la même veine, est indirect, pour une société intervenant comme sponsor d’une équipe cycliste, le préjudice résultant de l’atteinte que porterait à son image de marque la commission, imputée à un coureur de cette équipe, d’infractions liées à la pratique du dopage (Crim. 29 sept. 2009, n° 09-81.159 P, Dalloz actualité, 9 nov. 2009, obs. M. Léna ; AJ pénal 2009. 508 ; RSC 2012. 884, obs. X. Salvat ; Procédures 2010, n° 46, obs. Buisson).