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Prélèvements d’échantillons ADN : entre atteinte à la vie privée et obstacle au bon déroulé de l’enquête pénale

Selon la CEDH, portent atteinte au droit au respect à la vie privée la mesure de prélèvement d’un échantillon de salive non explicitement prévue par la loi nationale au moment des faits et la permission donnée par le juge national d’user de la force dans cet objectif en dépit de tout fondement textuel l’autorisant.  

par Jonathan Pougetle 27 avril 2020

Le manque de clarté de la loi en matière de prélèvements d’échantillons ADN admis

Dans l’affaire Dragan Petrović v. Serbia, la police Serbe recevait en 2008 des informations laissant penser qu’un ressortissant Serbe était impliqué dans le passage à tabac et le décès d’un de ses compatriotes. Un juge d’instruction ordonnait par la suite, au travers de deux décisions, d’une part une perquisition du domicile du requérant et, d’autre part, le prélèvement d’un échantillon de salive sur sa personne aux fins d’une analyse ADN. Le 6 décembre 2010, le requérant décida d’introduire une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, alléguant que la perquisition de son domicile et le prélèvement d’un échantillon de son ADN étaient, sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH), constitutifs d’une atteinte au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile.

Par cet arrêt du 14 avril 2020, les juges de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) affirmèrent à l’unanimité qu’il n’y avait pas eu violation de l’article susvisé concernant la perquisition effectuée au domicile du requérant : le mandat de perquisition était suffisamment précis et assorti de garanties adéquates et effectives propres à prévenir tout abus au cours de cette perquisition. De plus, le requérant était présent au moment des faits et accompagné de son avocat ainsi que du propriétaire de l’appartement.

La question de la violation de l’article 8 de la Conv. EDH du fait d’un prélèvement d’un échantillon de salive du requérant donna quant à elle lieu à une réponse différente. Le paragraphe 2 dudit article énonce qu’« il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice [du droit au respect de la vie privée et familiale] que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

La Cour européenne avait déjà eu l’opportunité de préciser que le corps d’une personne représentait un aspect intime de sa vie privée (CEDH 22 juill. 2003, Y. F. c/ Turquie, n° 24209/94, § 33). Ici, elle relève qu’au moment des faits, le code de procédure pénale Serbe ne prévoyait pas selon les modalités du paragraphe 2, de l’article 8, de la Conv. EDH la possibilité du prélèvement d’un échantillon de salive aux fins d’une identification ADN. L’article 131 du code de procédure pénale Serbe disposait à ce moment là que le tribunal pouvait ordonner le prélèvement d’un échantillon de sang ou la réalisation d’autres actes médicaux si cela était jugé nécessaire pour établir des faits d’importance dans le cadre d’une enquête pénale.

Ce n’est qu’en 2011 que, comme le note la Cour, de nouvelles garanties concernant les prélèvements d’échantillons de salive sont explicitement insérées dans le code de procédure pénale serbe : « l’article 140, §§ 1, 3 et 4 du nouveau code de procédure pénale indique que des échantillons d’écouvillons buccaux ne peuvent être prélevés que sur un suspect ou, afin "d’éliminer tout soupçon d’être lié à une infraction pénale’’, de la victime ou une autre personne trouvée sur les lieux du crime. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il serait raisonnable de supposer qu’en adoptant les dispositions clairement plus détaillées concernant le prélèvement d’échantillons d’ADN dans son récent code de procédure pénale, l’État défendeur a lui-même implicitement reconnu la nécessité d’une réglementation plus stricte par rapport à la législation antérieure dans ce domaine » (§ 83).

La Cour conclut que le requérant a donc bien subi une atteinte au droit au respect de sa vie privée du fait d’un prélèvement de salive non explicitement autorisé par la loi Serbe au moment des faits.

L’insuffisance de la loi en matière de recours à la force dans le prélèvement d’échantillons ADN

La Cour européenne retient d’autant plus l’atteinte au droit au respect à la vie privée du requérant que bien qu’ayant donné son consentement, il n’avait été donné que sous la menace d’un prélèvement par la force, sur le fondement des ordres du juge serbe. Toutefois, ce n’est que postérieurement aux faits, en 2011, que le législateur Serbe est venu autoriser le prélèvement d’échantillons ADN même en l’absence de consentement de la personne suspectée (art. 140 du nouveau code de procédure pénale serbe).

Une sécurité juridique suffisante selon l’opinion dissidente d’un juge de la Cour européenne

Dans le sens d’une solution contraire, l’opinion dissidente du juge S. Mourou-Vikström, qui conformément à l’article 45, § 2, de la Conv. EDH et à l’article 74, § 2, du règlement de la Cour européenne (Rules of court) est annexée à l’arrêt, se fonde en premier lieu sur l’esprit de la loi Serbe en vigueur au moment des faits. Selon lui, l’article 131 du code de procédure pénale applicable en 2008 autorisait le prélèvement d’un échantillon de salive aux fins d’une identification ADN au travers de ses mots « autres procédures médicales » (que la prise d’un échantillon d’un sang). Le juge dissident précise que le juge Serbe avait simplement privilégié « une méthode moins invasive et moins désagréable pour le requérant ». Il ajoute que « la seule restriction aux procédures médicales pouvant être ordonnées est qu’elles ne doivent pas nuire à la santé de la personne concernée [mais que] il va sans dire que le prélèvement d’un échantillon [de salive] est indolore et n’a aucune incidence sur la santé [et qu’elle relève par conséquent] entièrement du champ d’application de la loi ». Selon lui, le juge Serbe « a donc agi dans le plein respect de la loi qui (…) était parfaitement claire et prévisible. La loi couvre sans aucun doute le prélèvement d’un échantillon de salive à des fins d’identification ADN, ce qui représente des preuves clés dans les affaires pénales et un outil essentiel pour les enquêteurs et les juges d’instruction pour établir la vérité ».

Réflexions autour des causes de la caractérisation de l’atteinte à la vie privée par la CEDH

Les opinions divergentes de la CEDH et de son juge dissident, ainsi que les faits matériels mettant en évidence l’innocence du requérant permettent de se questionner sur les raisons qui ont pu conduire la Cour à se positionner en faveur d’une atteinte au droit au respect à la vie privée. En effet, l’échantillon de salive fut prélevé le 30 juillet 2008. Le 11 septembre 2008 était établi qu’il n’y avait aucune correspondance entre l’ADN du requérant et celui retrouvé sur les lieux du crime. Le législateur serbe, dans son article 131 du code de procédure pénale applicable au moment des faits, avait pu vouloir déléguer une partie de son pouvoir aux juges. La généralité des termes « autres procédures médicales » aurait en effet pu permettre aux juges d’apprécier au cas par cas les procédures médicales nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi (l’établissement de faits dans le cadre d’une enquête pénale). Le choix pour les autres juges de la Cour européenne de retenir l’atteinte au droit au respect à la vie privée s’est-il alors fait sous l’impulsion de la preuve de l’innocence du requérant ? Ou encore, repose-t-elle sur une culture d’interprétation de la loi par les juges différente de celle que nous connaissons en France ? En droit français, l’intérêt de l’enfant constitue par exemple une notion générale et non définie par le législateur. Le but en est simple et clair : ne pas établir une liste des pratiques conformes ou contraires à l’intérêt de l’enfant qui se voudrait exhaustive, et ce afin de ne pas écarter l’autorisation ou à l’inverse la sanction de pratiques qui seraient respectivement conformes ou contraires à l’intérêt de l’enfant. En cas de litige, les juges sont donc souverains pour apprécier ces pratiques.

En matière de prélèvements d’échantillons biologiques à des fins d’identification ADN, le législateur français utilise justement un terme général, interprétable par les juges, celui de « prélèvement biologique ». Il ressort en effet des dispositions des articles 706-54, alinéa 2, 706-55 2°, et 706-56, I, du code de procédure pénale que l’officier de police judiciaire peut procéder ou faire procéder sous son contrôle, à l’égard des personnes contre lesquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient commis des crimes et délits d’atteintes volontaires à la vie, à un prélèvement biologique destiné à permettre l’analyse d’identification de leur empreinte génétique.

Le terme de « prélèvement biologique » ne semble pas poser de grandes difficultés d’interprétation puisqu’il se rattache à des éléments objectifs : au regard de la science, soit le prélèvement est de nature biologique soit il ne l’est pas. Toutefois, la généralité du terme s’oppose à la méthode de rédaction utilisée par le législateur serbe postérieurement à 2011 qui prévoit de façon explicite le prélèvement d’échantillons d’écouvillons buccaux. La généralité des termes du droit français se rapproche toutefois du texte législatif serbe antérieur à 2011 en ce qu’il autorisait l’identification ADN par le recours à un prélèvement d’échantillons sanguins ou à toutes « autres procédures médicales ». Il est toutefois possible de noter que le législateur français n’additionne pas un terme général à un terme précis comme le faisait le droit serbe avant 2011. Dès lors qu’il est impensable d’écarter une mesure de prélèvement biologique selon les conditions prévues par la loi sur la seule prétention que le terme serait général, c’est peut être donc l’absence de cumul d’un terme général à un ou plusieurs termes précis qui permet au législateur Français d’être davantage efficace relativement à l’objectif fixé.

En second lieu, le juge dissident fonde sa position sur le consentement donné par le requérant à un prélèvement d’un échantillon de salive. Il précise que la rédaction nouvelle des dispositions législatives serbes était venue ajouter que les mesures de prélèvements d’échantillons biologiques seraient appliquées de force si l’intéressé ne coopérait pas. En l’espèce, à la demande du procureur, le juge Serbe ordonna de prélever un échantillon de salive, ou alternativement un échantillon de sang, de force si nécessaire. Le juge dissident de la Cour européenne note que toutefois, le requérant avait au moment des faits consenti à se soumettre à la première de ces deux mesures. Mais la position dominante de la Cour européenne se résume au fait que l’argument selon lequel « le requérant [avait] accepté de donner un échantillon de sa salive aux policiers était, dans ce contexte, dénué de pertinence, car il ne le faisait que sous la menace qu’un échantillon de salive ou un échantillon de sang lui serait autrement prélevé par la force » (§ 79). C’est donc l’éventuel usage de la force non prévu par la loi Serbe au moment des faits qui a ici participé à conduire la Cour européenne à retenir l’atteinte au droit au respect à la vie privée du requérant.

En comparaison, le droit français rend pour sa part réellement contraignant l’ordre judiciaire de soumission à une mesure de prélèvement d’échantillons biologiques. Il précise en effet au travers de l’article 706-56, II, du code de procédure pénale que « le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique prévu au premier alinéa du I est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». Comme a pu le relever la Cour européenne des droits de l’homme au travers d’un arrêt en date du 22 juin 2017, une durée de conservation et l’absence de possibilité d’effacement du profil d’une personne sur le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), constitue une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée, emportant violation de l’article 8 de la Conv. EDH (CEDH 22 juin 2017, n° 8806/12, Aycaguer c/ France, AJDA 2017. 1311 ; ibid. 1768, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2017. 1363, et les obs. ; AJ pénal 2017. 391, note V. Gautron ). La Cour de cassation a pris acte de cette position en adoptant en 2019 un raisonnement a contrario de cette solution. Le moyen au pourvoi défendant l’atteinte au droit au respect à la vie privée se fondait sur l’arrêt de la Cour européenne susvisé. Mais la Cour de cassation est venue casser l’arrêt de cour d’appel ayant retenu une telle atteinte, en précisant que « le refus de prélèvement a été opposé par une personne qui n’était pas condamnée mais à l’encontre de laquelle il existait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait commis l’une des infractions mentionnées à l’article 706-55, de sorte qu’elle avait alors la possibilité concrète, en cas d’enregistrement de son empreinte génétique au fichier, d’en demander l’effacement » (Crim. 15 janv. 2019, n° 17-87.185 FS-P+B, Bull. crim. n° 11 ; D. 2019. 130 ; ibid. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2019. 163, obs. P. Reviron ).

Ainsi, dans l’arrêt de 2020 la position de la Cour européenne des droits de l’homme est claire. C’est l’éventuel emploi de la force non prévu par le droit Serbe qui constitue une atteinte au droit au respect à la vie privée.

Une solution préservant le droit au respect à la vie privée

En définitive, que penser de la position de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi que de celle de son juge dissident ? Il est possible de proposer que relativement aux termes de la loi applicable au moment des faits, il aurait été sage de privilégier l’esprit du texte et donc de favoriser l’interprétation du juge serbe ayant diligenté un prélèvement de salive. C’est du moins une proposition qui fait sens dès lors qu’elle est formulée au regard de la culture juridique Française.

Concernant la caractérisation de l’atteinte au droit au respect à la vie privée sur le fondement d’un éventuel usage de la force en l’absence de toute disposition législative l’autorisant au moment des faits, il paraît sage de reconnaître que la position de la Cour européenne doit être favorisée. Le consentement du requérant donné par celui-ci au moment des faits ne doit dans un État de droit établissant une hiérarchie des normes être suffisant pour passer outre les exigences législatives, que celles-ci soit implicites ou explicites. Cette remarque ne fait cependant pas obstacle à ce que soient préférées les nouvelles dispositions du droit Serbe permettant, à l’image du droit Français, de recueillir des prélèvements d’échantillons ADN même en l’absence de consentement de la personne suspectée (art. 140 du nouveau code de procédure pénale serbe). La solution donnée par la Cour européenne peut donc en définitive apparaître comme pertinente.

Une solution soulignant les dangers des insuffisances du législateur

La position de la Cour de cassation ne doit pas seulement être perçue comme ayant vocation à sanctionner l’atteinte à la vie privée. En retenant cette atteinte, elle met en évidence les risques qui découlent de dispositions législatives comparables à celles du droit Serbe au moment des faits. Les « autres procédures médicales » du droit Serbe antérieur à 2011 pourraient être comparés aux « prélèvements biologiques » du droit positif Français. Mais l’hypothèse d’une absence de fondement légal, comme dans le droit Serbe antérieur à 2011, du recours à la contrainte dans l’obtention d’échantillons ADN présente un danger certain si les suspicions entourant une personne sont suffisantes pour envisager que soit éventuellement porté atteinte à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui (pour reprendre les termes du § 2 de l’art. 8 de la Conv. EDH) .

Une solution appliquant la non-rétroactivité de la loi pénale plus stricte 

Cette décision fait en effet application de la non-rétroactivité de la loi pénale plus stricte. Le communiqué de presse du greffier de la Cour européenne note en effet que cette dernière « considère (…) qu’en insérant des dispositions plus détaillées dans la version du code de procédure pénale entrée en vigueur en 2011, l’État défendeur avait lui-même implicitement reconnu la nécessité d’une réglementation plus stricte dans ce domaine ». La solution de la Cour européenne implique que la disposition de droit pénal nouvelle, davantage détaillée et plus stricte (le code de procédure pénale Serbe autorisant désormais de façon explicite le prélèvement d’échantillons d’écouvillons buccaux ainsi que le recours à la force), ne peut être prise en compte dans l’appréciation d’une atteinte au droit au respect de la vie privée du requérant.