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Première relaxe d’un lanceur d’alerte poursuivi du chef de diffamation

Par ce jugement, le tribunal de grande instance de Toulouse relaxe des fins de la poursuite un lanceur d’alerte poursuivi du chef de diffamation. 

par Dorothée Goetzle 29 novembre 2017

Le 19 février 2015, un débat radiophonique sur le thème des lanceurs d’alerte était organisé en direct sur les ondes d’Europe 1. Au bout de 7 minutes d’antenne, la présidente d’une association consacrée aux lanceurs d’alerte prenait la parole. Elle n’était pas invitée à participer à l’émission mais intervenait par téléphone en direct. Elle lançait une alerte au sujet de différents dysfonctionnements constatés dans le cadre de son expérience professionnelle au sein d’un institut chargé de l’accueil et de la prise en charge d’enfants lourdement handicapés. À la suite de la diffusion de l’émission, l’institut médico-éducatif (IME) concerné déposait plainte avec constitution de partie civile contre la présentatrice de l’émission et contre la présidente de cette association du chef de diffamation publique envers un particulier. Une information judiciaire était ouverte contre X du chef de diffamation publique. La plainte reposait sur le dialogue intervenu en direct entre la présentatrice et l’auditrice intervenante. La première tenait les propos suivants : « eh oui, il y a des maltraitances sur enfants handicapés, hein ». Les propos qualifiés de diffamants tenus par la seconde étaient notamment les suivants « et le scandale aujourd’hui, je le dis à l’antenne, c’est que cet établissement qui a eu pourtant 200 pages de l’ARS où effectivement, page 7, on parlait de maltraitances institutionnelles, cet établissement aujourd’hui vient de nouveau d’avoir l’agrément de l’ARS […] ». Une seconde plainte avec constitution de partie civile était ensuite déposée, cette fois uniquement contre la présidente de l’association. Étaient visés des propos tenus lors d’une autre émission diffusée sur la chaîne télévisée LCI. Contrairement au débat radiophonique diffusé sur Europe 1, cette fois, le nom de l’institut médico éducatif n’était pas prononcé. Toutefois, pour la partie civile, il était parfaitement identifiable. Une information judiciaire était ouverte contre X du chef de diffamation publique. Les deux procédures étaient jointes.

La journaliste et la présidente de l’association étaient mises en examen pour diffamation publique. Toutes deux plaidaient la relaxe et reconnaissaient avoir tenu les propos qualifiés de diffamants par la partie civile.

Pour relaxer la journaliste, le tribunal de grande instance constate que les propos visés ne consistaient pas en l’expression d’une opinion personnelle mais étaient « un résumé extrêmement succinct des propos préalablement tenus » par l’auditrice intervenue en direct. De son côté, l’auditrice revendiquait être intervenue en sa qualité de lanceur d’alerte. Elle justifiait son intervention par la gravité des faits dont elle avait été témoin mais aussi par l’inertie administrative et institutionnelle qui lui avait été opposée. En effet, avant d’intervenir à la radio puis à la télévision, elle avait déjà signalé ces « dysfonctionnements » auprès des autorités idoines qui n’avaient pris aucune mesure. Compte tenu de cette inertie, son but était de dénoncer publiquement des comportements et des attitudes qu’elle avait rencontré lors de son parcours professionnel au sein de cet IME et qui l’avait choquée. Concrètement, elle pointait l’absence de formation du personnel de cette structure pour accueillir des enfants lourdement handicapés. En outre, elle dénonçait les conditions dans lesquelles avaient lieu le petit-déjeuner, la toilette et l’habillage des pensionnaires. La toilette des enfants et adolescents handicapés était en effet collective et avait lieu dans une salle commune. Cette manière de fonctionner exposait la nudité à tous et ce quel que soit le degré de compréhension des pensionnaires présents. Enfin, cette ancienne salariée dénonçait une surveillance nocturne des pensionnaires insuffisante. Pour toutes ces raisons, elle souhaitait manifester publiquement son incompréhension par rapport à la reconduction de l’agrément de cet IME. 

Pour la relaxer, le tribunal commence par mettre en avant son parcours professionnel. Cette précision est importante puisque l’intéressée avait travaillé de nombreuses années au sein de cette structure. En conséquence, les magistrats qualifient la prévenue de « témoin privilégiée du mode de fonctionnement de cette maison qui accueille des enfants handicapés lourds ». Le tribunal s’émeut ensuite des révélations livrées par la prévenue en indiquant que « nul ne peut rester indifférent aux lits avec barreaux trop petits, à la toilette faite devant l’ensemble du groupe, aux mesures de contention, ainsi qu’à la difficile gestion de la violence ». Ensuite, autre élément qui justifie la relaxe, les magistrats remarquent que les aspects évoqués par la prévenue ont déjà été au cœur de rapports établis par l’IGAS et par l’ARS. Ces documents mettaient en effet en exergue « une maltraitance institutionnelle » qui nécessitait des modifications dans le fonctionnement de cette structure. Il s’agit là d’un aspect essentiel de la motivation. En effet, il permet au tribunal de considérer que l’usage du terme « dysfonctionnement » par la prévenue ne permet pas d’imputer à l’institution des faits précis susceptibles de porter atteinte à sa réputation. De plus, les termes de « décès, de manque de soin, de camisoles chimiques, d’enfants attachés, enfermés » employés sur le plateau de LCI sont, pour le tribunal, des expressions dépourvues de tout caractère diffamatoire en raison de l’intérêt sur le débat général des lanceurs d’alerte et de la maltraitance des personnes vulnérables et handicapées (CEDH, gr ch., 12 févr. 2008, n° 14277/04, Guja c. Moldova, AJDA 2008. 978, chron. J.-F. Flauss ). 

Cette relaxe remarquablement motivée est un signal fort envoyé par la justice en faveur de l’éveil citoyen caractéristique des lanceurs d’alerte. Elle donne tout son sens aux dispositions relatives aux lanceurs d’alerte créées par la loi dite Sapin II du 9 décembre 2016 (Dalloz actualité, 15 déc. 2016, obs. D. Goetz ). En outre, ce jugement confère son plein effet au guide intitulé « orientation et protection des lanceurs d’alerte » publié en juillet 2017 par le Défenseur des droits et qui s’adresse aux personnes souhaitant signaler « des faits dont elles ont eu personnellement connaissance ». Enfin, cette relaxe – qui est la première – se veut rassurante en ce sens que, comme le législateur, les juges portent un regard bienveillant sur les lanceurs d’alerte (M.-C. Sordino, Lanceur d’alerte et droit pénal : entre méfiance et protection ?, Rev. sociétés 2017. 198 ; CE 31 mars 2017, n° 392316, Dalloz actualité, 7 avr. 2017, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2017. 709 ; AJFP 2017. 295, et les obs. ).

 

 

La rédaction remercie Me Fiodor Rilov pour la transmission de la décision.