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Premières vues sur la directive européenne (UE) 2024/2853 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux

La directive européenne du 25 juillet 1985 relative aux produits défectueux est sur le point d’être révisée et abrogée par la directive (UE) 2024/2853 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024, publiée le 18 novembre dernier au Journal officiel de l’Union européenne, au regard des évolutions liées aux nouvelles technologies, mais aussi des nouveaux modèles d’entreprise et des nouvelles chaînes d’approvisionnement mondial. Entre points de changements et de continuité, des questions demeurent.

Alors que la directive européenne du 25 juillet 1985 relative aux produits défectueux n’est pas loin de souffler ses quarante bougies (applicable aujourd’hui aux termes des art. 1245 à 1245-17 c. civ., anc. art. 1386-1 s.), elle est en passe d’être révisée et abrogée par la directive (UE) 2024/2853 du 23 octobre 2024. Comme l’affirme le considérant n° 3 du nouveau texte, l’objectif est de réviser la directive de 1985 « à la lumière des évolutions liées aux nouvelles technologies », mais aussi au regard des nouveaux modèles d’entreprise et des nouvelles chaînes d’approvisionnement mondial. Quant à l’abrogation pure et simple de l’ancien texte, elle serait justifiée par « l’ampleur des modifications » et par un souci de « clarté et de sécurité juridique », d’après le considérant n° 5. Cependant, à l’évidence, le texte ne s’inscrit pas dans une opération de simplification du droit (R. Bigot, La complexité du droit, in L’accès au droit, Colloque du Fonds Saint-Yves, 26 oct. 2024). Dont acte : sans prétendre être exhaustifs, nous proposons de dresser, dans les grandes lignes, un premier état des lieux de cette nouvelle directive relative aux produits défectueux, à travers trois questionnements : quels sont les éléments de continuité ? Quels sont les éléments de nouveautés ? Quels sont les points qui restent en suspens ?

Les éléments de continuité 

Sur l’objectif du texte - Le premier élément de continuité tient à l’objectif général du texte, qui n’est pas sans rappeler celui de la directive de 1985 (v. ex multi, E. Petitprez, La responsabilité du fait des produits défectueux, in R. Bigot et F. Gasnier [dir.], Encyclopédie de droit de la responsabilité civile, Lexbase, 2023 ; R. Bigot et A. Cayol, Droit de la responsabilité civile, préf. P. Brun, Ellipses, 2022, p. 352 s.). Le premier considérant de la directive de 2024 dévoile en effet une volonté d’améliorer le bon fonctionnement du marché intérieur, d’assurer une plus grande harmonisation des règles communes en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, tout en renforçant la protection des consommateurs et autres personnes physiques. Si l’on relit le premier considérant de la directive de 1985, il évoque la nécessité d’un « rapprochement des législations des États membres », la « libre circulation des marchandises au sein du marché commun » et la « protection du consommateur contre les dommages causés à sa santé et à ses biens ». En bref, les objectifs d’hier sont ceux d’aujourd’hui et le texte de 2024 n’innove guère sur ce point. 

Sur la notion de produit – L’article 4 de la directive de 2024 précise qu’il faut entendre par produit tout meuble, même s’il est incorporé dans un autre meuble ou dans un immeuble, et il est précisé que l’électricité, ainsi que les logiciels sont des produits. Sur cet aspect, le texte reprend des éléments de définition que l’on trouvait déjà dans la directive de 1985, dont l’article 2 visait « tout meuble » et précisait que l’électricité était un produit. La précision relative au logiciel, quant à elle, n’est guère nouvelle, la Commission européenne a déjà, par le passé, assimilé le logiciel à un produit (Question écrite n° 706/88, 5 juill. 1988 et réponse, 15 nov. 1988, JOCE 8 mai). Si d’autres éléments relatifs à la définition du produit sont nouveaux (v. infra), ceux évoqués ci-dessus s’inscrivent dans une logique de continuité. 

Sur la notion de défaut – L’article 7 de la nouvelle directive précise qu’un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle une personne peut légitimement s’attendre et que, pour apprécier la défectuosité, il faut tenir compte de toutes les circonstances, parmi lesquelles la présentation et les caractéristiques du produit, sa composition ou encore son utilisation raisonnablement prévisible. Ici encore, la rédaction est assez similaire à celle de la directive de 1985, dont l’article 6 évoquait déjà ce défaut de sécurité et cette prise en considération de « toutes les circonstances ». Le défaut du produit peut donc être intrinsèque – lié au produit lui-même – ou extrinsèque, lié à sa présentation ou son emballage (sur la notion de défaut extrinsèque, v. P. Brun, Le défaut du produit, RCA 2016. Dossier n° 10 ; P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, 6e éd., LexisNexis, 2023, nos 764 s.). Une différence de rédaction peut être relevée, même si elle ne change rien sur le fond. Le nouveau texte mentionne la sécurité à laquelle « une personne » peut légitimement s’attendre, alors que le texte de 1985 utilisait le pronom « on ». Ce dernier renvoyait, pour les auteurs, à l’utilisateur moyen, apparenté au bon consommateur ou, de façon plus générale, au grand public (P. le Tourneau et al., Droit de la responsabilité et des contrats. Régimes d’indemnisation, Dalloz Action, 13e éd., 2023-2024, n° 6313.42). De la même manière, le considérant n° 31 retient que le niveau de sécurité est celui auquel le grand public peut légitimement s’attendre. Enfin, l’article 7 prévoit également qu’un produit n’est pas considéré comme défectueux en raison du simple fait qu’un autre, plus perfectionné, a déjà été ou est ultérieurement mis sur le marché, ce qui n’est pas sans rappeler l’article 6 de la directive de 1985. 

Sur le dommage réparable – L’article 5 énonce que le texte a vocation à réparer les dommages des personnes physiques, le considérant 27 visant à la fois les victimes directes et les victimes par ricochet, ce qui n’est guère original, au regard de la jurisprudence française. En effet, dans une décision du 28 avril 1998 relative à la responsabilité des centres de transfusion sanguine en matière de contamination transfusionnelle par le VIH, la Cour de cassation a considéré que le producteur est responsable des dommages causés par un défaut de son produit « tant à l’égard des victimes immédiates que des victimes par ricochet » (Civ. 1re, 28 avr. 1998, n° 96-20.421, D. 1998. 142 ; RTD civ. 1998. 524, obs. J. Raynard ; ibid. 684, obs. P. Jourdain  ; JCP 1998. II. 10088, note P. Sargos). La Haute juridiction a statué en se fondant sur les anciens articles 1147 et 1384, alinéa 1er, du code civil, interprétés à la lumière de la directive de 1985. Quant à l’article 4 de la directive de 2024, il offre une option à la victime entre le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et un autre fondement, qui ne reposerait pas sur la notion de défectuosité, option que l’on retrouvait déjà à l’article 13 de la directive de 1985. Quant aux dommages réparables, l’article 6 dispose que sont réparables les atteintes corporelles, ainsi que les dommages aux biens, autres que le produit défectueux lui-même. L’on retrouve ainsi les mêmes exclusions qu’auparavant : les dommages causés à des biens utilisés à des fins professionnelles, les préjudices moraux et les préjudices purement économiques (que l’art. 9 de la dir. de 1985 nommait des « dommages immatériels »). Également, les dommages...

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