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Président décroché, répression neutralisée

Par un arrêt du 29 mars 2023, la chambre criminelle confirme que l’incrimination d’un comportement constitutif d’une infraction peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l’exercice d’un droit conventionnellement garanti.

Les « décrocheurs » de portraits présidentiels n’ont décidément pas fini de faire parler d’eux. Les faits sont désormais bien connus, et s’inscrivent dans le cadre de l’opération « Décrochons Macron ! » initiée par le mouvement ANV COP21 en vue de protester contre ce que ses membres qualifient d’inaction gouvernementale face au dérèglement climatique. Le 28 mai 2019, huit militants, vêtus de tee-shirts frappés du logo du mouvement, pénètrent dans les locaux de quatre mairies girondines aux heures d’ouverture au public, se dirigent vers les salles de mariage et s’emparent du portrait officiel du président de la République. Celui-ci est remplacé par une affiche sur laquelle figure la silhouette du président, accompagnée du message « Urgence sociale et climatique – Où est Macron ? ».

Poursuivis des chefs de vol en réunion et, pour certains, de refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques et refus de se soumettre à un prélèvement biologique, les huit « décrocheurs » sont condamnés le 6 décembre 2019 par jugement du tribunal correctionnel de Bordeaux. La condamnation, confirmée par la cour d’appel bordelaise le 16 septembre 2020, est censurée par la chambre criminelle de la Cour de cassation par un premier arrêt du 22 septembre 2021 (n° 20-85.434, Dalloz actualité, 8 oct. 2021, obs. M. Recotillet ; AJ pénal 2021. 533 ; Légipresse 2021. 462 et les obs. ; ibid. 600, étude C. Bigot ; ibid. 2022. 121, étude E. Tordjman, O. Lévy et J. Sennelier ; RSC 2021. 823, obs. X. Pin ; ibid. 2022. 445, obs. E. Rubi-Cavagna ). Sur renvoi, la cour d’appel de Toulouse relaxe l’ensemble des prévenus des chefs susvisés le 27 avril 2022, et la Cour de cassation, par un second arrêt du 29 mars 2023, rejette le pourvoi formé par le ministère public.

L’affaire trouve son épilogue dans le contrôle de proportionnalité opéré par les juges toulousains sur le fondement des stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme. Les deux moyens critiquaient l’arrêt de la cour d’appel de renvoi ayant jugé que la sanction des comportements visés à la prévention constituait une atteinte disproportionnée au droit à la liberté d’expression (Conv., art. 10) s’agissant du vol en réunion ; et au droit au respect de la vie privée (Conv., art. 8) s’agissant des refus de se soumettre aux opérations de prélèvement biologique et de relevés signalétiques.

La neutralisation d’une ingérence dans la liberté d’expression

Voilà maintenant quelques années que la liberté d’expression est régulièrement invoquée par des prévenus devant les tribunaux afin de légitimer – avec un succès variable – les actions pour lesquelles ils sont poursuivis. Ce moyen de défense, qui n’a rien d’inhabituel s’agissant d’infractions « expressives par nature » (dont l’élément matériel se traduit par l’écrit ou la parole), a désormais le vent en poupe s’agissant d’infractions « expressives par destination » qui, a priori étrangères à l’expression, sont commises dans un contexte traduisant l’intention de véhiculer un message (sur cette distinction, v. X. Pin, RSC 2022. 817 ). Est ainsi neutralisée, sur le fondement de l’article 10 de la Convention EDH, la répression de l’escroquerie commise par une journaliste ayant infiltré un mouvement politique pour réaliser une enquête sur son fonctionnement (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-83.774, D. 2016. 2216 ; AJ pénal 2017. 38, obs. N. Verly ; Légipresse 2017. 67 et les obs. ; ibid. 92, Étude H. Leclerc ; RSC 2016. 767, obs. H. Matsopoulou ) ; ou celle de l’exhibition sexuelle commise par une militante féministe ayant exposé sa poitrine nue dans un musée (Crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827, D. 2020. 438 ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; ibid. 2021. 863, obs. RÉGINE ; AJ pénal 2020. 247, étude J.-B. Thierry ; Légipresse 2020. 148 et les obs. ; ibid. 233, étude L. François ; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy ; RSC 2020. 307, obs. Y. Mayaud ; ibid. 909, obs. X. Pin ).

Dans l’espèce commentée, la cour d’appel de Bordeaux avait pourtant affirmé que la liberté d’expression « ne peut jamais justifier la commission d’un délit pénal ». Ce raisonnement fut censuré par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 septembre 2021, la Haute juridiction estimant qu’il appartenait aux juges de rechercher, comme il le leur avait été demandé par les prévenus, si l’incrimination pénale des comportements poursuivis ne constituait pas, en l’espèce, une atteinte disproportionnée à leur liberté d’expression. Appliquant cette consigne, la cour d’appel de renvoi a conclu à la relaxe des prévenus.

Pour rejeter le pourvoi formé par le parquet toulousain, la chambre criminelle a d’abord rappelé les modalités du contrôle de proportionnalité exigé, avant d’observer qu’elles ont été respectées en l’espèce. Dans un premier temps, en présence d’une atteinte alléguée par le prévenu à sa liberté d’expression, il appartient au juge...

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