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Prestation compensatoire : toute rente peut être convertie en capital

Selon l’article 276-4 du code civil, le débiteur peut à tout moment demander la substitution d’un capital à la rente initialement fixée. Si elle émane du débiteur, cette demande n’est soumise à aucune condition. La cour d’appel viole l’article 276-4 en refusant la conversion en capital aux motifs que la rente n’est ni viagère ni temporaire.

par Véronique Mikalef-Toudicle 3 avril 2019

Les litiges relatifs à la prestation compensatoire alimentent régulièrement le contentieux de l’après-divorce. Les réformes successives en la matière ont eu pour objectif de concentrer le règlement des conséquences financières du divorce au moment de son prononcé. Force est de constater que ce but n’est pas toujours atteint. Il existe encore un certain nombre de prestations compensatoires fixées sous forme de rente « lorsque l’âge ou l’état de santé du créancier ne lui permet pas de subvenir à ses besoins » à titre exceptionnel et sur décision spécialement motivée du juge selon les termes de l’article 276 du code civil. De plus, les époux sont libres de fixer une prestation sous forme de rente en s’affranchissant des conditions restrictives de la loi, dans la convention réglant les effets de leur divorce dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel. Alors qu’un paiement en capital limite les risques de conflits entre les ex-époux, le paiement d’une rente suscite souvent des difficultés.

Les lois n° 2000-596 du 30 juin 2000 et n° 2004-439 du 26 mai 2004 ont encadré les possibilités d’évolution de la prestation compensatoire fixée sous forme de rente. En premier lieu, lorsque les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties ont subi une modification importante, la rente peut être révisée (à la baisse uniquement), suspendue ou supprimée en application de l’article 276-3 du code civil. En second lieu, le débiteur comme le créancier peuvent solliciter la substitution d’un capital à la rente selon les termes de l’article 276-4 du même code. Selon que la demande de substitution émane du débiteur ou du créancier, les conditions et le pouvoir du juge ne sont pas les mêmes.

En l’espèce, deux époux divorcent par consentement mutuel et décident, dans leur convention, de fixer une prestation compensatoire en faveur de l’épouse en lui attribuant la jouissance gratuite et viagère d’un logement, le versement d’un capital et le paiement d’une rente mensuelle jusqu’au décès de l’ex-mari, débiteur. Quelques années plus tard, ce dernier sollicite la substitution d’un capital à la rente initialement prévue sur le fondement de l’article 276-4 du code civil. La cour d’appel de Nîmes rejette sa demande aux motifs que, la rente n’étant ni viagère ni temporaire, il était impossible de lui appliquer les modalités fixées par le décret du 29 octobre 2004 pour convertir la rente en capital. L’ex-mari forme un pourvoi en cassation et la première chambre civile rend un arrêt de cassation le 20 mars 2019. La haute juridiction vise l’article 276-4 du code civil et l’article 1er du décret du 29 octobre 2004 et rappelle, dans un attendu de principe, que le débiteur d’une prestation compensatoire sous forme de rente « peut, à tout moment, saisir le juge d’une demande de substitution d’un capital à tout ou partie de cette rente sans qu’il y ait lieu, pour en apprécier le bien-fondé, de distinguer selon la nature viagère ou temporaire de la rente ». En refusant la substitution du capital à la rente sous prétexte qu’elle n’est ni viagère ni temporaire, la cour d’appel viole les textes visés. Cette décision est l’occasion de rappeler les modalités de fixation de la prestation compensatoire sous forme de rente ainsi que le droit du débiteur d’obtenir sa conversion en capital.

Afin d’inciter les juges à respecter le principe de la fixation de la prestation compensatoire en capital, le législateur ne leur laisse que peu de marge de manœuvre pour la fixer sous forme de rente. La décision du juge, spécialement motivée, devra démontrer en quoi l’octroi d’une rente se justifie au regard de l’âge et de l’état de santé du créancier. Fixée judiciairement, la rente est nécessairement viagère sur la tête du créancier. Ce n’est que s’ils divorcent par consentement mutuel que les époux retrouvent une certaine liberté et peuvent s’affranchir des conditions restrictives de la loi. En effet, en application de l’article 278 du code civil, les époux peuvent librement fixer la prestation sous forme de rente et « prévoir que le versement de la prestation cessera à compter de la réalisation d’un événement déterminé » indépendamment de l’âge ou de l’état de santé du créancier. Ainsi, les parties peuvent convenir que le versement prendra fin en cas de remariage du créancier ou, comme en l’espèce, au décès du débiteur (sur cette question, v. not., A. Batteur, Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, 9e éd., LGDJ, 2017, n° 1168, p. 468 ; M. Douchy-Oudot, Droit civil. 1re année. Introduction. Personnes. Famille, 9e éd., Dalloz, coll. « Hypercours », 2017, n° 608, p. 373 ; V. Mikalef-Toudic, Droit de la famille et des régimes matrimoniaux, Larcier, coll. « Métiers », 2017, n° 665, p. 230).

Le paiement de la prestation compensatoire sous forme de rente doit rester exceptionnel et le législateur met tout en œuvre pour permettre un retour vers le principe d’un paiement en capital. Ainsi, depuis la loi du 30 juin 2000, il est possible de réviser à la baisse la rente initialement prévue. C’est également depuis l’entrée en vigueur de ce texte que le débiteur comme le créancier peuvent demander la substitution d’un capital à la rente. La demande du débiteur n’est soumise à aucune condition alors que celle du créancier n’est possible que s’il démontre que la situation du débiteur permet une telle substitution. Le dernier alinéa de ce texte précise que le refus de substitution doit être « spécialement motivé ». À plusieurs reprises, la Cour de cassation (v. not., Civ. 1re, 31 mai 2005, n° 03-12.217, Bull. civ. I, n° 233 ; D. 2005. 1656 ; AJ fam. 2005. 405, obs. S. David ; RTD civ. 2005. 580, obs. J. Hauser 10 juill. 2013, n° 12-13.239 P, Dalloz actualité, 9 sept. 2013, obs. R. Mésa ; AJ fam. 2013. 577, obs. S. David ; RTD civ. 2013. 826, obs. J. Hauser ), a rappelé que la demande de substitution n’est pas soumise à la démonstration que les ressources ou les besoins des parties ont changé.

Dans sa version initiale, l’article 276-4 du code civil ne précisait pas les modalités d’une telle substitution. Dans un arrêt du 3 novembre 2004 (Civ 1re, 3 nov. 2004, n° 03-12.508, D. 2004. 3114 ; AJ fam. 2005. 22, obs. S. David ; RTD civ. 2005. 112, obs. J. Hauser ; JCP 2005. I. 116, n° 2, obs. Bosse-Platière ; Dr. fam. 2005, n° 7, note Larribau-Terneyre ; JCP 2004. IV. 3387), la Cour de cassation a affirmé que la loi du 30 juin 2000 n’imposait aucune méthode de calcul et que, par conséquent, les juges du fond étaient libres d’utiliser la méthode qu’ils souhaitaient. La loi du 26 mai 2004 a modifié l’article 276-4 et fait dorénavant référence au décret du 29 octobre 2004 pour chiffrer la substitution d’un capital à une rente. L’article 1er de ce décret dispose que le capital substitué « est égal à un montant équivalant à la valeur actuelle probable de l’ensemble des arrérages de la rente » à la date de la substitution. Deux tableaux sont annexés à ce texte afin de déterminer le taux de conversion de la rente selon qu’elle est viagère ou temporaire.

Ce renvoi au décret de 2004 figure à la fin de l’alinéa 1er de l’article 276-4 du code civil. Comment faut-il comprendre ce renvoi ? Conditionne-t-il la demande de substitution du débiteur aux seules rentes viagères ou temporaires ? Se contente-t-il de fixer une méthode de calcul ? C’est précisément la question qui se posait en l’espèce. La cour d’appel a rejeté la demande de l’ex-mari aux motifs que la rente fixée conventionnellement n’était pas viagère (sous-entendu sur la tête du créancier) ni temporaire et qu’il était par conséquent impossible de la convertir en utilisant les tableaux du décret du 29 octobre 2004. Autrement dit, pour les juges du fond, la demande de substitution ne peut concerner que l’une de ces deux catégories de rente si l’on veut pouvoir les convertir conformément aux modalités fixées par le décret du 29 octobre 2004. Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation à juste titre.

Les termes de l’article 276-4 sont clairs et dénués de toute ambiguïté : « le débiteur […] peut, à tout moment, saisir le juge d’une demande de substitution ». Le renvoi au décret de 2004 n’est qu’une modalité de la substitution et non pas l’une de ses conditions. Par principe, le juge doit accueillir la demande de substitution. S’il la refuse, il doit spécialement motiver sa décision. L’impossibilité d’utiliser un tableau de conversion n’est pas un juste motif de refus. Comme le soulignait l’ex-mari dans le premier moyen de son pourvoi, lorsqu’un texte de loi ne comprend aucune réserve ou restriction, le décret qui en permet l’application ne peut pas restreindre le texte législatif. Cette affirmation peut être justifiée en faisant appel aux maximes d’interprétation du droit et en particulier à l’adage ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus (là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer). L’article 1er du décret du 29 octobre 2004 n’est qu’une méthode de calcul et non pas une condition de la demande. À aucun moment, ce texte ne dispose que les rentes viagères et les rentes temporaires sont les seules rentes convertibles en capital.

Il faut résoudre un dernier point. Comment évaluer la substitution du capital à la rente qui n’est ni viagère ni temporaire ? En l’espèce, les ex-époux avaient convenu que la rente prendrait fin au décès du mari, c’est-à-dire du débiteur. La qualification de rente temporaire s’avère délicate puisque le terme est incertain. Or pour convertir une rente temporaire en capital, il faut pouvoir déterminer le nombre d’années restant à payer. Ne peut-on pas alors considérer qu’il s’agit d’une rente viagère constituée sur la tête du débiteur ? Si l’on se réfère au Vocabulaire juridique (G. Cornu, Vocabulaire juridique, 9e éd., PUF, coll. « Quadrige », 2011, rente, sens 2, p. 886), la rente viagère est la rente « due pendant la vie d’une ou plusieurs personnes (sur la tête) généralement (mais non forcément) des crédirentiers ». Ainsi, en l’espèce, il serait possible de qualifier la rente de viagère et utiliser le tableau du décret du 29 octobre 2004 pour chiffrer la conversion. Une autre solution consisterait à considérer que le décret du 29 octobre 2004 ne fixe les modalités de conversion que pour les rentes viagères ou temporaires et qu’en présence d’une rente d’une autre nature ou ne permettant pas l’utilisation des tableaux annexés à ce décret, la conversion doit être faite par le juge grâce à une méthode qu’il choisit dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation. Dans le cas d’espèce rapporté, il nous semble que rien ne s’oppose à la qualification de rente viagère constituée sur la tête du débiteur.

Ainsi que cela a été dit plus haut, le législateur entend limiter les cas dans lesquels la prestation compensatoire est payée sous forme de rente. Favoriser la substitution d’un capital à la rente apparaît conforme à cette volonté législative de préférer le capital à la rente afin de limiter autant que faire se peut le contentieux de l’après-divorce. L’arrêt commenté est un arrêt de principe qui affirme avec fermeté que le débiteur d’une prestation compensatoire sous forme de rente peut en demander la conversion en capital « sans qu’il y ait lieu […] de distinguer selon la nature viagère ou temporaire de la rente ». Cette décision s’inscrit dans le mouvement législatif et jurisprudentiel de privilégier le paiement de la prestation compensatoire en capital « à tout prix ».