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Prêt couplé à une assurance non obligatoire : une pratique déloyale ?

À l’occasion d’une vente croisée d’un produit financier et d’un produit d’assurance, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la pratique du cadrage consistant à présenter au consommateur un choix comme obligatoire, dépourvu de toute option. 

La commercialisation des produits d’assurance au consommateur est régulièrement examinée par le juge européen. Faute de communiquer au préalable l’intégralité du contrat d’assurance-emprunteur, la clause d’exclusion d’un risque qualifiée d’abusive lui est inopposable (CJUE, 9e ch., 20 avr. 2023, aff. C-263/22, Dalloz actualité, 15 mai. 2023, obs. D. Bazin-Beust ; D. 2023. 780 ). Quant à la rédaction d’un contrat collectif d’assurance-vie distribué par une banque, elle peut constituer une pratique commerciale déloyale imputable à l’entreprise d’assurance rédactrice (CJUE, 9e ch., 2 févr. 2023, aff. C-208/21, Dalloz actualité, 7 févr. 2023, obs. C. Hélaine ; ibid. 15 févr. 2023, Le droit en débats, obs. D. Bazin-Beust ; D. 2023. 292 ; ibid. 2024. 650, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ).

L’arrêt du 14 novembre 2024 qui nous occupe est relatif à une pratique de cadrage – ou framing – mise en œuvre à l’occasion d’une vente croisée. Alors qu’un professionnel propose au consommateur un bien ou service supplémentaire à celui vendu, il n’en indique pas le caractère facultatif. Cette problématique de l’influence des modalités de présentation des offres commerciales sur la prise de décision du consommateur est renouvelée par les sciences comportementales qui évoquent les biais cognitifs pour désigner le mécanisme de distorsion de traitement d’une information en raison de son contexte (sur les risques de manipulation mentale liés à des interfaces en ligne, S. Bernheim-Desvaux et J. Sénéchal [dir.], Vers un droit neuro-éthique. Réflexion à partir du droit de la consommation. Atelier 1).

En l’espèce, une banque italienne propose conjointement une offre de prêt personnel et une offre d’assurance couvrant certains évènements personnels sans lien avec le prêt. Au cours d’une enquête, et pour clarifier le caractère non obligatoire de l’assurance, l’Autorité italienne garante de la concurrence et du marché (AGCM) demande à la banque d’accorder au consommateur un délai de réflexion de sept jours entre la signature des deux contrats. Face à son refus, elle constate une « pratique commerciale agressive et, partant, déloyale » consistant en un croisement forcé, lors de leur conclusion, de contrats de prêt personnel avec des produits d’assurance non liés au crédit. Frappée d’une interdiction de poursuivre la pratique et d’une amende, la banque forme un recours devant le Conseil d’État italien qui sursoit à statuer et pose cinq questions préjudicielles dont la dernière ne donnera pas lieu à réponse des juges de Luxembourg.

Le juge de renvoi s’interroge sur les notions de consommateur moyen et de pratique commerciale agressive au sens de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 – la DPCD – ainsi que sur la possibilité, pour une autorité nationale, d’imposer au professionnel un intervalle de réflexion entre la proposition des offres croisées et la souscription du contrat d’assurance. Examinons successivement ces questions.

Le consommateur moyen, victime d’une pratique commerciale déloyale, et la prise en compte de biais cognitifs

Rappelant qu’il lui incombe éventuellement de reformuler la question qui lui est soumise pour donner une réponse utile au juge de renvoi (CJUE 8 sept. 2022, IRnova, aff. C-399/21, Dalloz actualité, 22 spet. 2022, obs. F. Mélin ; D. 2022. 1601 ; Dalloz IP/IT 2022. 473, obs. L. Paudrat ; RTD com. 2022. 774, obs. J. Passa ), la Cour de justice considère qu’il lui est demandé « si la notion de "consommateur moyen", au sens de ladite directive, doit être définie non seulement par référence à un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, mais également en tenant compte du fait que la capacité de décision d’un individu est altérée par des contraintes, telles que des biais cognitifs ». Si le juge européen n’est pas hostile à cette interprétation, compte tenu des objectifs du droit de l’Union, il en précise les contours.

On sait que c’est par référence au consommateur moyen que l’on détermine si une pratique commerciale, contraire aux exigences de la diligence professionnelle, est interdite ou non (DPCD, art. 5, § 2 ; Rép. com., Pratiques commerciales déloyales, par H. Aubry, n° 48). Tel n’est pas le cas de la personne très crédule ou naïve. Mais si le consommateur moyen est un critère objectif, indépendant des connaissances concrètes qu’il peut avoir ou des informations dont il dispose, le considérant 18 de la DPCD précise que ce n’est pas une « notion statistique » et que « les juridictions et les autorités nationales devront s’en remettre à leur propre faculté de jugement, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice, pour déterminer la réaction typique du consommateur moyen ». Aussi, l’avocat général relevait que la détermination de sa réaction, par rapport à une pratique spécifique, n’est pas un « simple exercice théorique » et peut impliquer la prise en compte de considérations plus réalistes (pt 40). 

Poursuivant dans cette voie, la Cour déclare que la définition du consommateur moyen, « raisonnablement attentif et avisé compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques » comme le prévoit la DPCD (consid. 18), n’exclut pas la prise en compte de l’influence de biais cognitifs (pt 43). Mais elle s’empresse de préciser que cela n’implique pas que tout risque de survenance d’un tel biais a pour effet d’altérer, de manière substantielle, le comportement du consommateur fictif typique. C’est pourquoi elle conclut que la définition du consommateur moyen n’exclut pas que la capacité de décision d’un individu « est susceptible » (nous mettons entre guillemets) d’être altérée par des contraintes, telles que des biais cognitifs. Par cette formulation, c’est l’examen in concreto des effets d’une pratique commerciale qui est admis lorsque le consommateur est exposé à un biais cognitif. Ce n’est pas sans rappeler l’analyse menée quand la cible d’une pratique commerciale déloyale est « un groupe particulier de consommateurs » (DPCD, consid. 18). Au standard objectif du consommateur moyen se substitue celui plus subjectif d’un consommateur vulnérable...

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