Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Prêt en bibliothèque de livres numérisés : pas de fair use selon les juridictions américaines

La cour d’appel du second circuit a rendu un arrêt qui fait une interprétation stricte du fair use, en refusant la possibilité à la bibliothèque en ligne Internet Archive de prêter à ses usagers des livres numérisés à partir d’exemplaires papier sans l’autorisation explicite des éditeurs.

par Ophélie Wang, Docteure en droitle 14 octobre 2024

La décision rendue par la cour d’appel du second circuit le 4 septembre dernier se penche sur la pratique du controlled digital lending (ou CDL) qui a été théorisée par des juristes et bibliothécaires américains et repose sur une utilisation audacieuse des règles sur l’épuisement des droits et de la doctrine du fair use. Elle consiste à numériser l’exemplaire physique d’un livre acheté par la bibliothèque, exemplaire qui est ensuite exclu du prêt au public, et à prêter le fichier numérique obtenu selon des modalités qui reproduisent, grâce à des mesures techniques de protection, la circulation d’un livre physique : prêt pour une durée limitée, à un seul utilisateur à fois. La bibliothèque crée ainsi son propre livre numérique, ce qui lui permet d’éviter de recourir aux licences commerciales proposées par des éditeurs, qui peuvent imposer des conditions défavorables aux bibliothèques : catalogues réduits et prix élevés par rapport aux livres numériques proposés au grand public ou imposition de restrictions contractuelles spécifiques. Elle peut ensuite, selon les partisans du CDL, prêter le livre numérique de façon légale à son public puisqu’elle ne fait que remplacer le livre physique par le fichier numérique correspondant, sans en élargir la diffusion.

Internet Archive, le défendeur de l’affaire commentée, est un organisme américain à but non lucratif qui a pour mission principale l’archivage d’internet, mais agit également comme bibliothèque numérique à travers son projet Open Library. Avec Open library, Internet Archive pouvait prêter, en 2020, 1,4 million d’ouvrages numérisés sur une plateforme de bibliothèque en ligne avec un système de CDL. Lors de la pandémie de covid-19, Open Library a mis en place une bibliothèque d’urgence en levant temporairement la limite du nombre simultané d’utilisateurs qui peuvent télécharger un livre. C’est ce dispositif qui a poussé quatre grands éditeurs, Hachette Book Group, Penguin Random House, HarperCollins et Wiley, à intenter une action en contrefaçon contre Internet Archive pour ses activités de bibliothèque numérique.

Un premier jugement rendu en 2023 par la District Court for the Southern District of New York (Hachette Book Group, Inc. v. Internet Archive, 20-CV-4160 (JGK), (S.D.N.Y. 2023)) avait donné raison aux demandeurs, en écartant la défense de fair use avancée par Internet Archive. Cette dernière avait alors interjeté appel, sans contester que ses actions constituent des faits de contrefaçon mais en maintenant sa défense de fair use.

La doctrine du fair use

Le fair use est une doctrine de droit américain. Il s’agit d’une exception ouverte au monopole imposé par le copyright : l’usage d’une œuvre protégée peut être autorisé s’il s’agit d’un usage légitime. Le caractère légitime est évalué par le juge selon des critères définis au § 107 du Copyright Act :

  • l’objectif et la nature de l’usage, notamment s’il est de nature commerciale ou éducative et sans but lucratif ;
  • la nature de l’œuvre protégée ;
  • la quantité et l’importance de la partie utilisée en rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée ;
  • les conséquences de cet usage sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’œuvre protégée.

Ces critères doivent être pris dans leur ensemble lors d’un exercice d’appréciation au cas par cas qui doit permettre au juge de...

Il vous reste 75% à lire.

Vous êtes abonné(e) ou disposez de codes d'accès :