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Les prêts libellés en francs suisses, encore et toujours !

Le caractère abusif d’une clause contractuelle non claire qui fait peser le risque de change sur l’emprunteur et qui ne reflète pas des dispositions législatives peut faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

par Jean-Denis Pellierle 26 septembre 2018

Le contentieux des prêt libellés en francs suisses fait décidément couler beaucoup d’encre ! La Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer à nouveau dans ce domaine au regard des faits suivants : en février 2008, deux emprunteurs avaient conclu avec une banque hongroise un contrat de crédit pour l’octroi d’un prêt libellé en francs suisses, le contrat prévoyant que les mensualités devaient être versées en forints hongrois, le montant de ces mensualités étant cependant calculé sur la base du taux de change courant entre le forint hongrois et le franc suisse. En outre, le contrat faisait mention du risque de change en cas de possibles fluctuations du taux de change entre ces deux devises. Par la suite, le taux de change s’est considérablement modifié au détriment des emprunteurs, ce qui entraîna une augmentation significative du montant de leurs mensualités. Le juge hongrois fut saisi de la question de savoir si la clause relative au risque de change n’avait pas été rédigée par la banque de manière claire et compréhensible et pouvait donc être considérée comme abusive au sens de la directive sur les clauses abusives.

Il faut en outre préciser qu’en 2014, la Hongrie avait adopté une réglementation visant à retirer certaines clauses abusives des contrats de prêt libellés en devise étrangère, à convertir virtuellement en forints hongrois toutes les dettes dues au titre de ces contrats et à appliquer le taux de change fixé par la banque nationale de Hongrie et ce, de manière à se conformer à une décision de la Cour suprême de Hongrie, elle-même rendue à la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, Kásler c/ OTP Jelzálogbank Zrt, D. 2014. 1038 ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles ). Mais cette nouvelle réglementation n’a pas modifié le fait que le risque de change pèse sur le consommateur en cas de dévaluation du forint hongrois par rapport au franc suisse.

C’est dans ce contexte que la cour d’appel régionale de Budapest-Capitale a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne si elle pouvait apprécier le caractère abusif d’une clause, dans l’hypothèse où celle-ci ne serait pas rédigée de manière claire et compréhensible, alors même que le législateur hongrois, en n’intervenant pas sur ce point, aurait accepté que le risque de change continue à peser sur le consommateur en cas de dépréciation du forint hongrois par rapport à la devise étrangère concernée.

Dans son arrêt du 20 septembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne dit pour droit, en premier lieu, que « La notion de “clause n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle”, figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise notamment une clause contractuelle modifiée par une disposition législative nationale impérative, adoptée après la conclusion d’un contrat avec un consommateur, visant à suppléer une clause entachée de nullité contenue dans ledit contrat ». Cette première considération semble tout à fait justifiée : l’article 3, paragraphe 1, de la directive du 5 avril 1993 vise « une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle », ce qui est manifestement le cas en l’espèce puisque la clause litigieuse avait été modifiée par une disposition législative. On observera que le droit français de la consommation se démarque du droit de l’Union européenne sur ce point en ce qu’il vise toutes les clauses et pas seulement celles n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle (comp. C. civ., art. 1171, al. 1er, rédac. L. 20 avr. 2018, en vigueur le 1er oct. 2018 : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite »).

En deuxième lieu, la Cour décide que « L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que le champ d’application de cette directive ne couvre pas des clauses reflétant des dispositions de droit national impératives, insérées postérieurement à la conclusion d’un contrat de prêt...

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