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Le principe de non-aggravation du sort de l’appelant à l’épreuve de la mesure d’interdiction de gérer

En matière civile, la jurisprudence déduit des règles sur l’effet dévolutif, le principe selon lequel la cour d’appel ne peut aggraver le sort de l’appelant, lorsque l’intimé n’a pas relevé appel incident. Ce principe de non reformatio in pejus est également appliqué dans de nombreuses matières répressives, sauf lorsque l’unique appelant est l’autorité de poursuite. En l’espèce, la Cour de cassation a combiné l’ensemble de ces règles, pour juger qu’une cour d’appel qui, sur l’appel du liquidateur formé aux fins d’augmenter la durée de la mesure d’interdiction de gérer prononcée par les premiers juges, réduit cette durée en l’absence d’appel incident du dirigeant, n’aggrave pas le sort du liquidateur.

Malgré une application de principe des règles de procédure civile au livre VI du code de commerce, le droit des entreprises en difficultés connaît de nombreuses spécificités nécessitant un ajustement de ces règles (pouvoir exclusif du mandataire judiciaire d’agir dans l’intérêt des créanciers, droits propres du débiteur en liquidation judiciaire, appréciation spécifique de la qualité de partie dans la détermination du droit de recours, etc.). La Cour de cassation vient de consacrer une nouvelle adaptation, en matière de sanctions professionnelles.

En l’espèce, le dirigeant d’une société de production d’engrais, placée en liquidation judiciaire, a été poursuivi par les coliquidateurs judiciaires, afin qu’il soit prononcé à son égard une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer, ainsi qu’une contribution à l’insuffisance d’actif.

En première instance, le Tribunal de commerce de Lille Métropole a prononcé une mesure d’interdiction de gérer d’une durée de trois ans et débouté les liquidateurs sur le reste de leurs demandes. Ces derniers ont alors interjeté appel. Le dirigeant poursuivi a formé un appel incident, mais celui-ci a été jugé irrecevable par la Cour d’appel de Douai, pour avoir été régularisé hors délai.

Sur le fond, ladite cour d’appel a confirmé l’ensemble des dispositions du jugement de première instance, sauf le quantum de la mesure d’interdiction de gérer, qui a été ramené à deux ans. Les juges d’appel ont sanctionné le défaut de collaboration du dirigeant avec les organes de la procédure, pour s’être abstenu de répondre à cinq courriels urgents sur des décisions à prendre sur un site Seveso. Ils n’ont en revanche pas retenu l’existence d’une poursuite abusive d’une activité déficitaire.

Les coliquidateurs judiciaires ont formé un pourvoi en cassation. En tant qu’uniques appelants à la procédure, ils ont notamment reproché à la cour d’appel d’avoir aggravé leur sort, et partant d’avoir violé l’article 562 du code de procédure civile sur l’effet dévolutif en matière d’appel. Les autres moyens, manifestement pas de nature à entraîner la cassation, ne sont pas développés par l’arrêt commenté.

La Cour de cassation devait ainsi répondre à la question de savoir si une cour d’appel, saisie uniquement par un liquidateur judiciaire aux fins d’allongement de la durée d’une mesure d’interdiction de gérer, pouvait à l’inverse réduire celle-ci.

Dans l’arrêt commenté, publié au Bulletin, la Haute Cour répond par l’affirmative et rejette le pourvoi. Par la formulation de sa décision, la Cour de cassation confirme l’application du principe de non-aggravation du sort de l’appelant en matière de sanctions professionnelles, tout en précisant sa portée lorsque l’unique appelant est le liquidateur judiciaire.

La confirmation de l’application du principe de non-aggravation du sort de l’appelant en matière de sanctions professionnelles

En matière civile, la Cour de cassation juge de manière ancienne « que les juges d’appel ne peuvent aggraver le sort de l’appelant sur son unique appel et en l’absence d’appel incident de l’intimé » (Civ. 2e, 26 juin 1991, n° 90-13.398 ; v. aussi, Soc. 23 nov. 2022, n° 21-15.574).

Ce principe a été élaboré au visa de l’article 562 du code de procédure civile, qui précise qu’en cas de demande de réformation (et non d’annulation) du jugement de première instance, l’effet dévolutif ne s’opère que sur les chefs du dispositif critiqués expressément et ceux qui en dépendent.

Cette limitation de l’effet dévolutif empêche logiquement les juridictions second degré de se saisir d’office sur un chef de jugement non critiqué. Elle conduit également, selon la Cour de...

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