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Principe de précaution et contrôle de proportionnalité du juge administratif

Trois ordonnances rendues par le juge des référés du Conseil d’État le 6 mai 2021 offrent deux illustrations du principe de précaution et de son contrôle face à deux libertés en cause.

par Patrick Lingibéle 11 mai 2021

M. H… A… a saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une requête visant à ordonner la suspension de l’exécution des dispositions de l’article 4 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en ce qu’elles instituent un confinement et un couvre-feu pour les personnes vaccinées.

M. O… E… et M. C… P… B… ont saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une requête visant notamment à ordonner la suspension de l’exécution des dispositions de l’article 2 du décret n° 2021-384 du 2 avril 2021 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire en tant qu’il s’applique aux personnes ayant déjà contracté la covid-19 et développé des anticorps toujours actifs contre cette maladie à la date d’édiction du décret querellé, celles-ci n’entrant pas dans la liste des exceptions permettant de déroger à l’obligation de rester chez soi.

Les associations Société des Habous et Lieux Saints de l’Islam et Fédération de la Grande Mosquée de Paris ont saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une requête visant à enjoindre à l’État de faire droit à la demande formulée dans le courrier du recteur de la Grande Mosquée de Paris au ministre de l’Intérieur en date du 21 avril 2021 et d’autoriser en conséquence l’ouverture des mosquées en France du samedi 8 mai 2021 à 21 heures au dimanche 9 mai 2021 à 2 heures, avec des consignes sanitaires strictes prévues par une circulaire interne.

Après avoir abordé la question de l’urgence (I), nous aborderons celle des libertés en cause et du contrôle de proportionnalité exercée (II) avant de dégager les solutions données présentement par le juge des référés (III).

I - Le contrôle de l’urgence

Le juge des référés du Conseil d’État a été saisi respectivement par les requérants sur deux fondements différents. En effet, dans la décision n° 451455, M… A…, la requête est déposée sur le fondement du référé-suspension prévu par l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Ce dispositif permet à tout requérant quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, de saisir le juge des référés aux fins d’ordonner la suspension de l’exécution de cette décision contestée dans la requête au fond. Elle est soumise à deux conditions : d’une part, l’urgence et d’autre part, à la démonstration d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision querellée devant le juge du fond. Pour les décisions n° 451940, M. E… et autre et n° 452144, Association Société des Habous et Lieux Saints de l’Islam et Association Fédération de la Grande Mosquée de Paris, les requêtes ont été introduites sur le fondement du référé-liberté prévu par l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Cet article impose au juge de se prononcer dans un délai de quarante-huit heures et soumet sa réussite pour l’essentiel à deux conditions : d’une part, l’urgence et, d’autre part, une atteinte grave et manifestement illégale portée par l’administration à une liberté fondamentale. La condition d’urgence est donc commune aux deux types de référé. Sur ce point, il convient de préciser que si la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence dit état d’urgence « sécuritaire » a institué expressément une présomption d’urgence à son article 14-1, deuxième alinéa, s’agissant particulièrement assignations à résidence, la loi du n° 2020-290 du 23 mars 2020 n’a rien mentionné à ce niveau. Cependant, le Conseil d’État a intégré dès le départ de son contrôle cette présomption d’urgence pour toutes les décisions prises au titre de l’état d’urgence sanitaire qui lui ont été déférées au titre tant du référé-liberté que celui du référé-suspension. Ainsi, la condition d’urgence est regardée comme ne soulevant pas de difficulté particulière en présence d’un danger actuel ou imminent en lien avec l’épidémie de covid-19 (CE 22 mars 2020, n° 439674, Syndicat Jeunes Médecins, Lebon ; AJDA 2020. 655 ; ibid. 851 , note C. Vallar ; D. 2020. 687 , note P. Parinet-Hodimont ; AJCT 2020. 175, obs. S. Renard ; ibid. 250, Pratique G. Le Chatelier ; ibid. 291, Pratique A. Lami et F. Lombard ). Les trois décisions commentées ne mentionnent pas expressément la condition d’urgence, celle-ci étant manifestement présupposée dans les circonstances de l’espèce pour le juge des référés saisi.

II - Le contrôle de proportionnalité exercé par le juge des référés sur les restrictions des libertés en percussion

Ces trois ordonnances mettent en exergue différentes libertés fondamentales qui entrent en percussion entre elles, au juge administratif de régler ce conflit.

Tout le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire institué par les articles 1 à 8 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 modifiée pour faire face à l’épidémie de covid-19 repose sur l’objectif primordial d’assurer la protection, par tous les moyens et quoiqu’il en coute, en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population. Le Conseil d’État a ainsi précisé que le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale (CE, sect., 16 nov. 2011, n° 353172, Ville de Paris, Société d’économie mixte PariSeine, Lebon avec les conclusions ; AJDA 2011. 2207 ; ibid. 2013. 2137, étude X. Dupré de Boulois ; AJCT 2012. 156, obs. L. Moreau ; RFDA 2012. 269, concl. D. Botteghi ; ibid. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois et L. Milano ). Il a indiqué que ce droit incluait « celui de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, liberté fondamentale à laquelle l’autorité administrative porte atteinte lorsque sa carence risque d’entraîner une altération grave de l’état de santé de la personne intéressée » (CE 13 déc. 2017, M. Pica-Picard, n° 228928, Lebon T.). Ce droit de protection est en lien direct avec le principe de précaution mentionné notamment à l’article 5 de la charte de l’environnement : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » Les dispositions de cette charte ont une valeur constitutionnelle (Cons....

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