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Principe ne bis in idem : rejet du cumul des délits de détention de dépôt d’armes et d’association de malfaiteurs

Des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes.

par Sofian Goudjille 30 avril 2020

Le principe ne bis in idem donne lieu à une jurisprudence conséquente ces dernières années. Ce principe a à nouveau servi de fondement à la chambre criminelle dans cet arrêt du 11 mars 2020.

La chambre criminelle a été saisie d’un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt du 24 juin 2019 par lequel une cour d’appel, pour dire établis les délits de détention de dépôt d’armes et d’association de malfaiteurs, après avoir exposé les éléments démontrant l’implication du prévenu dans la détention du dépôt d’armes contenu dans un box appartenant à un autre homme, avait relevé que l’association de malfaiteurs est caractérisée notamment par la mise en commun de ces moyens d’action tendant à des passages à l’acte relevant de ce domaine d’activités spécifique dans le temps visé par la prévention. Les juges du fond ont notamment établi « que l’identification des ADN retrouvés, les rapprochements judiciaires opérés à partir des éléments contenus dans le box et les interactions entre l’ensemble des personnes impliquées démontrent à l’évidence que le dépôt d’armes contenu dans le box de […] constituait un fonds commun à plusieurs bandes agissant de concert ou séparément ».

Saisie, la chambre criminelle casse l’arrêt de la cour d’appel et rappelle qu’en vertu du principe ne bis in idem, « des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ». La cour d’appel a méconnu ce principe en retenant une double déclaration de culpabilité alors même qu’il résulte des faits que la détention d’un dépôt d’armes dont le prévenu a été reconnu coupable est incluse dans les faits d’association de malfaiteurs réprimés par ailleurs et procède de la même intention coupable.

Cette solution rendue par la chambre criminelle n’a rien d’étonnant au regard de la position désormais constante qui est la sienne depuis 2016. Elle affirme en effet depuis cette date, au visa du seul principe ne bis in idem, que « les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, Dalloz actualité, 7 nov. 2016, obs. S. Fucini ; D. 2016. 2217 ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 35, obs. J. Gallois ; RSC 2016. 778, obs. H. Matsopoulou ; JCP 2017. 16, note N. Catelan ; Dr. pénal 2017. Comm. 4, obs. P. Conte ; Gaz. Pal. 2017. 413, obs. S. Detraz).

Elle a, depuis ce premier arrêt relatif au cumul pour les mêmes faits du recel et du blanchiment, réaffirmé ce principe à plusieurs reprises dans des arrêts traitant successivement du cumul entre l’abus de biens sociaux et l’autoblanchiment (Crim. 7 déc. 2016, n° 15-87.335, Dalloz actualité, 18 janv. 2017, obs. J. Gallois ; D. 2016. 2572 ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RTD com. 2017. 205, obs. L. Saenko ), du cumul entre l’escroquerie et le faux ayant constitué la manœuvre frauduleuse de l’escroquerie (Crim. 25 oct. 2017, n° 16-84.133, RTD com. 2018. 227, obs. L. Saenko ), du cumul de deux délits d’abus de confiance pour les mêmes faits (Crim. 17 janv. 2018, n° 17-80.418, JA 2018, n° 574, p. 11, obs. X. Delpech ), du cumul entre des violences d’une part et des appels malveillants, menaces, dénonciation mensongère, faux et usage d’autre part (Crim. 24 janv. 2018, n° 16-83.045, Dalloz actualité, 15 févr. 2018, obs. S. Fucini ; D. 2018. 241 ; AJ pénal 2018. 196, obs. E. Clément ; RSC 2018. 412, obs. Y. Mayaud ) ou encore du cumul entre, d’une part, des assassinats, tentatives d’assassinat et destructions dangereuses pour les personnes au moyen d’explosifs et, d’autre part, du port et du transport d’engin explosif sans motif légitime (Crim. 14 nov. 2019, n° 18-83.122, Dalloz actualité, 5 déc. 2019, obs. S. Fucini ; D. 2020. 204 , note P.-J. Delage ; AJ pénal 2020. 83, obs. M. Lacaze ).

La justification de cette solution réside vraisemblablement dans le « lien d’utilité existant entre […] deux qualifications, l’une rendue possible par la commission de l’autre, qui impose une déclaration de culpabilité unique » (J. Gallois, Rejet du cumul des délits de recel et de blanchiment ou la montée en puissance du principe ne bis in idem », obs. ss Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, AJ pénal 2017. 35 ). C’est précisément ce « lien d’utilité » qui permet de caractériser une intention coupable unique. Aussi ce principe ne semble pas entrer en contradiction avec une autre règle posée par la haute juridiction selon laquelle le principe ne bis in idem ne s’applique que dans le cas où les différentes qualifications protègent les mêmes victimes et les mêmes valeurs sociales. À défaut, il est possible de retenir une pluralité de qualifications à l’encontre de l’auteur comme l’a jugé la chambre criminelle dans l’arrêt Ben Haddadi (Crim. 3 mars 1960, Bull. crim. n° 138 ; RSC 1961. 105, obs. Légal). C’est ainsi que la chambre criminelle a pu juger récemment que le principe ne bis in idem n’empêche pas de retenir deux qualifications « lorsque, fondées sur les mêmes faits, la seconde incrimination tend à la protection d’un intérêt spécifique expressément exclu du champ d’application de la première » (Crim. 16 avr. 2019, n° 18-84.073, Dalloz actualité, 16 mai 2019, obs. S. Fucini ; AJDA 2019. 906 ; D. 2019. 819 ; RSC 2019. 369, obs. E. Monteiro ; RTD com. 2019. 517, obs. B. Bouloc ; 17 avr. 2019, n° 18-83.025, Dalloz actualité, 16 mai 2019, obs. S. Fucini, préc. ; AJDA 2019. 905 ; D. 2019. 890 ; AJCT 2019. 350, obs. Y. Mayaud ; JCP 2019, n° 510, obs. J.-M. Brigant).

Le présent arrêt invoque à nouveau ce principe afin de s’opposer au cumul entre la détention de dépôt d’armes et d’association de malfaiteurs. En l’espèce, les faits de détention de dépôt d’armes sont assurément et de manière indissociable inclus dans les faits d’association de malfaiteurs.

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence élaborée depuis 2016.