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Privation de liberté des prévenus mineurs en exécution d’un mandat d’amener

La Cour de cassation valide la mise en œuvre de la mesure privative de liberté prévue par l’article 130 du code de procédure pénale dans le cadre d’un mandat d’amener exécuté à l’encontre d’un prévenu mineur, qui encourt une peine d’emprisonnement mais dont le placement en détention provisoire est impossible.

par Margaux Dominatile 3 novembre 2020

En l’espèce, un prévenu, mineur de 15 ans né en 2004, a été mis en examen le 30 janvier 2020 par le juge des enfants de Nancy du chef de vols en réunion, délit puni d’une peine de cinq ans d’emprisonnement. Il est placé sous contrôle judiciaire et confié à l’aide sociale à l’enfance. Le 6 mars 2020, le parquet de Nancy est informé par le commissariat de Toulouse que le prévenu a été placé en garde à vue pour des faits de vol aggravé. Le juge d’instruction de permanence de Nancy, agissant en remplacement du juge des enfants, délivre un mandat d’amener à son encontre. Le 7 mars 2020, il est écroué en exécution de ce mandat dans une maison d’arrêt à proximité de Toulouse. Le 9 mars 2020, le juge des enfants ordonne sa mise en liberté, décision qui fera l’objet d’un appel, interjeté par le ministère public.

Le 12 mai 2020, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy confirme la décision rendue en première instance. Elle considère en premier lieu que « l’ordonnance d’incarcération provisoire subie en exécution d’un mandat d’amener [constitue une] privation de liberté qui s’impute sur la peine prononcée par la juridiction de jugement […] » (§ 14). En second lieu, « la conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, d’une part, et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, d’autre part, ne peut être regardée comme équilibrée lorsque la privation de liberté résultant de l’exécution d’un mandat d’amener excède vingt-quatre heures, durée de principe de la rétention dans un tel cadre selon l’article 126 du code de procédure pénale, lorsque la personne à l’encontre de laquelle le mandat d’amener est décerné n’est pas susceptible d’être placée en détention provisoire » (§ 15).

Le ministère public forme un pourvoi en cassation pour contester la mise en liberté de l’intéressé et argue que « le juge des enfants de Nancy qui avait la possibilité de ne pas ordonner le transfèrement de la personne visée par le mandat ne pouvait […] ordonner la mise en liberté [de celle-ci] ; que cette mise en liberté, manifestement fondée sur l’impossibilité de placer le mineur en détention provisoire, […] ne peut s’analyser comme une décision de refus de transfèrement ; que la “conduite en maison d’arrêt” […] ne peut se confondre avec une mesure de détention provisoire alors qu’il ne s’agit que d’une modalité d’exécution du transfèrement requis » (§ 9).

Pour suivre l’arrêt de manière chronologique, la Cour de cassation reprend successivement les deux arguments avancés par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy.

D’abord, elle s’intéresse à la nature du mandat d’amener. Celui-ci a été défini par le législateur au sein de l’article 122 du code de procédure pénale comme « l’ordre donné à la force publique de conduire immédiatement devant lui la personne à l’encontre de laquelle il est décerné ». À la différence du mandat d’arrêt, le mandat d’amener ne permet pas à l’autorité judiciaire de détenir la personne visée par celui-ci. Néanmoins, lorsque l’arrestation a eu lieu à plus de deux cents kilomètres du siège du juge mandant, le législateur a renforcé la force coercitive du mandat d’amener (C. pr. pén., art. 127 s.), en prévoyant la possibilité de priver de liberté le prévenu pendant quatre jours (voire six jours dans certains cas spécifiques), conformément aux prescriptions de l’article 130 du code de procédure pénale (Crim. 19 janv. 1987, n° 86-95.913). La Cour de cassation s’est ensuite attachée à définir la nature de ce mandat exceptionnel et sa conciliation avec les autres mesures privatives de liberté présentencielles. Elle considère ainsi de longue date que le mandat d’amener n’est pas un titre de détention (v., not. Rép. pén., Mandats, par C. Guéry, n° 97 ; pour un arrêt récent, v. Crim. 19 août 2020, n° 20-82.181, § 13, Dalloz jurisprudence). Par principe donc, il n’a aucune incidence sur la détention provisoire, et notamment sur son point de départ (Crim. 26 juill. 1989, n° 89-82.961 ; 17 déc. 1991, n° 91-85.589, Dalloz jurisprudence) ou sur son imputation sur la durée de la peine (Lyon, 30 août 1948, D. 1950. 29, note Vouin). Dans l’arrêt qui nous intéresse, la chambre criminelle évince donc rapidement cette question et n’y répond qu’en une simple phrase (§ 17).

Le second argument avancé par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy concernait l’équilibre de la conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, d’une part, et l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, d’autre part, lorsque la privation de liberté prévue par l’article 130 du code de procédure pénale est mise en œuvre à l’encontre d’un prévenu qui ne peut pas être placé en détention provisoire (§ 15). Ici, la Cour de cassation s’appuie sur la décision du Conseil constitutionnel du 24 juin 2011 qu’elle cite, qui avait considéré que, pour que cet équilibre demeure, seules les personnes encourant « une peine correctionnelle ou une peine plus grave » devaient pouvoir faire l’objet de la mesure en cause (Cons. const. 24 juin 2011, n° 2011-133 QPC, consid. n° 8, Dalloz actualité, 28 juin 2011, obs. E. Allain ; D. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2011. 602, obs. J.-B. Perrier  ; Procédures 2011, n° 276, obs. Chavent-Leclère). La position adoptée par les juges constitutionnels visait logiquement la préservation les droits fondamentaux des personnes mises en examen, la privation de liberté présentencielle prévue par l’article 130 du code de procédure pénale ne pouvant s’appliquer qu’aux prévenus risquant a minima une peine d’emprisonnement (v. C. Guéry et P. Chambon, Droit et pratique de l’instruction préparatoire, 10e éd., Dalloz Action 2018/2019). La situation se veut plus délicate s’agissant des mineurs, dont le placement en détention provisoire répond à un régime spécial issu de la rédaction des articles 10, 11 et 11-2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 (v. not. Rép. pén., Enfance délinquante, par P. Bonfils et L. Bourgeois-Itier, n° 130). Pour pouvoir en faire l’objet, ils doivent répondre à des conditions spécifiques qui n’étaient pas remplies en l’espèce. La juridiction de second degré assimilait ici la détention provisoire du prévenu mineur à toute forme de détention. Dans pareil cas, elle considérait donc que l’écrou réalisé en exécution d’un mandat d’amener était impossible parce qu’il contreviendrait à l’équilibre ci-mentionné. Dans la lignée de la décision prise par les juges constitutionnels, la chambre criminelle casse donc sans renvoi l’arrêt de la cour d’appel de Nancy et conserve la nature de la peine encourue comme unique critère conditionnant l’applicabilité de la privation de liberté de l’article 130 du code de procédure pénale.

S’il semble logique que la Cour de cassation se range derrière la position du Conseil constitutionnel s’agissant de la nature de la peine encourue, il est toutefois surprenant qu’elle valide l’écrou d’un mineur dans le cadre du mandat d’amener, alors même que son placement en détention provisoire est impossible. Si une fois encore elle rappelle la distinction formelle entre ces deux mesures privatives de liberté, elle contredit néanmoins l’argument (trop ?) protecteur de la juridiction de second degré, visant à assimiler les mesures privatives de liberté présentencielles entre elles lors de leur application. Alors que le Conseil constitutionnel visait la protection accrue des droits des personnes mises en examen par sa décision de 2011, la Cour de cassation semble ici contourner le régime applicable aux mineurs afin de valoriser « la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions ». Cet enchevêtrement de règles dans un régime déjà spécifique risque d’entraîner bien des maux lorsqu’il s’agira, à l’avenir, de priver de liberté un prévenu mineur.