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Prix minimal imposé et déséquilibre significatif : la Cour de cassation se positionne en faveur du groupe M6 !

Le fait pour un éditeur de chaînes de télévision de subordonner l’offre de mise à disposition de ses chaînes en clair dans un bouquet payant ne peut être assimilé à l’imposition d’un prix minimal ou d’une marge commerciale minimale prohibée par l’article L. 442-5 du code de commerce. Le fait de disposer sur les chaînes qu’il édite d’un droit voisin conféré par l’article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle donne le droit à l’éditeur de définir les conditions économiques de diffusion de ses chaînes, sans exclure pour autant la possibilité d’un abus de ce droit constitutif, le cas échéant, d’un déséquilibre significatif sanctionné par l’article L. 442-6, I, 2 du code de commerce.

Le groupe M6 ne subira pas deux revers à la suite. On se souvient que le 16 septembre dernier, l’Autorité de la concurrence avait annoncé par un communiqué de presse que le groupe Bouygues avait retiré son projet d’acquisition du groupe Métropole Télévision de crainte de se voir imposer une décision de prohibition (Aut. conc., TF1/M6 : l’Autorité de la concurrence prend acte de la décision de Bouygues de retirer son projet d’acquisition, Communiqué de presse, 16 sept. 2022). À l’évidence, le rapport d’instruction de plus de 400 pages aura été trop lourd à porter pour les parties au projet de concentration. Il apparaît que ce dernier a puissamment contribué à condamner la naissance d’un géant français de l’audiovisuel, les réponses apportées par les deux groupes lors des séances d’audition n’ayant pas convaincu le collège de l’Autorité réuni exceptionnellement en formation plénière. Si la consolation de cet échec demeure assez maigre, elle est toutefois loin d’être négligeable. Le groupe M6 doit assurément se réjouir de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 septembre dernier. En effet, dans leur décision, les juges du Quai de l’Horloge ont confirmé en tout point un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait rejeté tant l’application de l’article L. 442-5 du code de commerce (devenu L. 442-6 c. com.), prohibant les prix minima de revente, que l’application de l’article L. 442-6, I, 2 du même code (devenu L. 442-1, I, 2, c. com.), sanctionnant quant à lui le déséquilibre significatif. Comme nous le verrons, les faits ne sont pas banals. Ils témoignent en creux d’une transformation de la consommation des programmes audiovisuels par les consommateurs et montrent qu’au XXIe siècle, le téléviseur n’est plus en monopole. Il est concurrencé par les ordinateurs, les tablettes et les smartphones, qui permettent tous trois le visionnage des chaînes de télévision via internet. Quel était précisément le contexte factuel de cette mini-saga de l’audiovisuel en ligne ?

En l’espèce, la plateforme Molotov, qui distribue des services de télévision sur Internet, dont une partie est accessible gratuitement et une autre subordonnée au paiement d’un abonnement, avait conclu un contrat de distribution avec la société mère de M6. Ce contrat de distribution, qualifié de contrat « OTT » (signifiant Internet ouvert), avait été conclu pour la première fois en 2015. Il prévoyait la diffusion en clair de plusieurs chaînes du groupe M6 ainsi que des services de rattrapage. Autrement dit, l’utilisateur de la plateforme Molotov pouvait regarder les chaînes M6 tant en direct qu’en différé. Ce premier contrat n’avait posé aucun problème d’exécution. C’est seulement arrivé à son échéance que les difficultés ont surgi, le groupe M6 souhaitant insérer de nouvelles conditions au contrat de distribution. À cet égard, le groupe M6 avait fait preuve de prudence et avait procédé en deux temps. D’abord, il avait accepté de proroger l’accord en vigueur jusqu’au 31 mars 2018. C’est seulement à cette date que le nouveau contrat devait prendre le relais. Ensuite, le groupe M6 était entré en négociation avec la société Molotov aux fins de se mettre d’accord, d’une part, sur la rémunération de l’accès à ses chaînes et, d’autre part, sur le fait que ses chaînes et ses services de fonctionnalités associés soient exclusivement disponibles au sein d’un bouquet payant. En d’autres mots, le groupe M6 avait voulu imposer à la société Molotov de rendre l’accès à ses chaînes et ses services payant. À cette fin, le groupe M6 renvoyait à ses conditions générales de distribution. Celles-ci contenaient une clause 3.1, désignée par la pratique « clause de paywall », qui contraint tout distributeur à proposer aux consommateurs les chaînes du groupe M6 et ses services dans le cadre d’une offre payante. Point de visionnage des chaînes sans bourse délier ! Tel était le message adressé à la plateforme. Eu égard aux exigences du groupe M6, aucun accord n’avait été finalement trouvé pendant la période de négociation du nouveau contrat. La plateforme Molotov reprochait notamment au groupe M6 de la sommer de changer de modèle économique dans la mesure où les nouvelles conditions contractuelles proposées par le groupe M6 étaient incompatibles avec son modèle « freemium ». Pour se défendre, l’appel au droit des pratiques restrictives de concurrence était tentant. La plateforme avait d’ailleurs cédé à ses attraits. Elle considérait d’abord que la clause de paywall conduisait à imposer un prix minimal à la plateforme, ce qui est prohibé per se par l’article L. 442-5 du code de commerce. Elle estimait ensuite que ce comportement était également constitutif d’une tentative de soumission d’un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties sanctionné par l’article L. 442-6, I, 2 du code de commerce. La plateforme jugeait que la titularité d’un droit voisin par le groupe M6 ne l’autorisait pas à imposer de telles obligations.

La cour d’appel ayant sèchement repoussé les prétentions de la plateforme, la Cour de cassation devait à son tour prendre position. Il s’agissait de savoir si le comportement reproché au groupe M6 était justiciable des articles susmentionnés. La Cour avait répondu aux deux moyens de manière négative et avait rejeté in fine le pourvoi formé par la plateforme. Dans le cadre de ce commentaire, nous ne délivrerons pas d’observation sur le troisième moyen qui portait sur l’application de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Nous nous focaliserons exclusivement sur les enseignements à tirer quant à l’application du droit des pratiques restrictives de concurrence.

En premier lieu, on retiendra que la Cour de cassation demeure vigilante s’agissant de l’interdiction d’imposer des prix minima à la revente. Pour qu’une sanction soit prononcée à l’encontre d’une partie, encore faut-il que le distributeur démontre que sa liberté de fixer ses prix a été...

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