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Procédure d’extradition : précisions sur le rôle de la chambre de l’instruction

Le 7 août 2019 la chambre criminelle a rendu deux arrêts intéressants relatifs au déroulement de la procédure d’extradition devant la chambre de l’instruction.

par Dorothée Goetzle 3 septembre 2019

La procédure d’extradition est celle par laquelle est organisée la remise, par l’État requis (vis-à-vis duquel l’extradition est dite « passive »), de l’auteur d’une infraction trouvé sur son territoire, afin que l’État requérant (vis-à-vis duquel l’extradition est dite « active ») puisse le faire juger ou, s’il a été condamné, lui fasse exécuter sa peine. En cette matière, – et depuis une loi du 10 mars 1927 –, la chambre de l’instruction a une compétence exclusive.

Dans le premier arrêt, un mandat d’arrêt international était délivré le 10 juin 2006 par le parquet militaire de Santiago à l’encontre d’un ressortissant chilien pour des faits de meurtre commis en 2006  au Chili sur un carabinier dans l’exercice de ses fonctions. L’intéressé étant par la suite identifié en France, les autorités chiliennes transmettaient, le 13 juin 2018, une demande d’extradition aux fins de poursuite. Le 9 juillet 2018, l’intéressé comparaissait en France devant un magistrat qui lui notifiait son placement en détention. Le 25 octobre 2018, la chambre de l’instruction émettait un avis favorable à l’extradition. Ce faisant, elle rejetait les deux arguments avancés par le ressortissant chilien pour s’opposer à son extradition, à savoir :

- la prescription de l’action publique et

- l’absence de garanties fondamentales suffisantes présentées par l’État chilien.

Sur le premier moyen tiré de la prescription, l’intéressé faisait valoir que la chambre de l’instruction ne peut pas émettre un avis favorable à une demande d’extradition lorsque, d’après la loi de l’État requérant ou la loi française, la prescription de l’action s’est trouvée acquise antérieurement à la demande. Il en déduisait qu’il appartenait, en l’espèce, à la chambre de l’instruction de déterminer si les faits poursuivis étaient un délit ou un crime. Il est vrai que selon l’article 696-4, 5° du code de procédure pénale « l’extradition n’est pas accordée lorsque, d’après la loi de l’État requérant ou la loi française, la prescription de l’action s’est trouvée acquise antérieurement à la demande d’extradition ».

Sur ce fondement, la chambre criminelle a par exemple déjà censuré l’arrêt de la chambre de l’instruction qui n’a pas vérifié – au besoin d’office – si la prescription de l’action publique n’était pas acquise tant au regard de la loi de l’État requérant que de l’État requis (Crim. 23 sept. 2015, n° 15-83.991 , note AJ pénal 2016. 41). En l’espèce, la situation n’était pas similaire. En effet, il n’avait pas échappé à la chambre de l’instruction qu’en application des textes chiliens la prescription des poursuites était de quinze ans et que le point de départ du délai de la prescription commençait à courir le jour de commission de l’infraction, étant précisé que le juge chilien avait pris une ordonnance concernant les poursuites le 11 avril 2011. Aucune difficulté ne se posait en matière de prescription, tant au regard du droit chilien que du droit français. La Cour de cassation approuve ce raisonnement.

Sur le moyen relatif à l’insuffisance des garanties fondamentales présentées par l’État chilien, l’intéressé entendait démontrer qu’ en application de l’article 696-4 alinéa 7 du code de procédure pénale, en cas d’allégation de risques de traitements inhumain ou dégradant et de risque d’atteinte aux droits de la défense, la chambre de l’instruction ne peut faire droit à la demande d’extradition qu’après avoir expliqué en quoi les éléments de preuve produits par la personne réclamée ne suffisent pas à établir le risque invoqué. De manière classique, il reprochait en l’espèce à la chambre de l’instruction de ne pas avoir analysé les éléments de preuve invoqués en ce sens.

Or la chambre de l’instruction avait relevé que la compétence des juridictions militaires avait été transférée en 2011 aux tribunaux ordinaires, de sorte qu’à l’issue de son extradition l’intéressé sera jugé par la justice pénale ordinaire et pourra à ce titre, bénéficier de toutes les garanties du procès équitable. La chambre de l’instruction s’était assurée qu’il bénéficiera du droit à l’assistance d’un avocat à toutes les étapes du procès, à l’indépendance et l’impartialité du tribunal chargé de le juger ainsi que du droit d’exercer les voies de recours contre le jugement qui éventuellement pourrait être prononcé à son encontre. Ainsi, et contrairement à ce qu’avançait le requérant, pour la chambre criminelle, la chambre de l’instruction avait « elle même recherché si la personne réclamée bénéficiera des garanties fondamentales relatives à sa sécurité, à la procédure et à la protection des droits de la défense ».

En conséquence, les hauts magistrats rejettent le pourvoi.

Le second arrêt concerne un ressortissant moldave remis aux autorités judiciaires françaises le 7 décembre 2016, par les autorités roumaines, puis incarcéré, en exécution d’un mandat d’arrêt européen. Les autorités judiciaires de la Fédération de Russie, après avoir eu connaissance de cette incarcération, demandaient l’extradition de l’intéressé aux fins de poursuite en vertu d’un mandat d’arrêt délivré pour des faits de réception illégale et divulgation d’informations constituant un secret bancaire, vol et tentative de vol en bande organisée. Arrêté, l’intéressé était placé sous écrou extraditionnel le 4 juin 2018. Il formait un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait émis un avis favorable à son extradition.

Dans un premier moyen de cassation, il affirmait que, devant la chambre de l’instruction, le parquet avait pris la parole après son avocat et que son interprète n’avait pas prêté serment. Ce moyen est rapidement écarté par les hauts magistrats qui, après avoir remarqué que le requérant avait bien eu la parole en dernier, relèvent que l’expert concerné était inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel.

Dans un second moyen, le requérant rappelait le principe prévu à l’article 2 de la convention européenne d’extradition selon lequel pour donner lieu à extradition, les faits doivent être punis tant par la loi de l’État requérant que par la loi de l’État requis d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins un an. En l’espèce, il reprochait à la chambre de l’instruction de ne pas avoir précisé la répression applicable en droit russe aux faits pour lesquels l’extradition était réclamée. Au double visa des articles 2 de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 et 696-15 du code de procédure pénale, la Cour de cassation accueille ce moyen. Elle rappelle en effet que l’extradition est accordée si les faits sont punis par les lois de la partie requérante et de la partie requise d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins un an ou d’une peine plus sévère. En outre, elle souligne que l’arrêt d’une chambre de l’instruction, statuant en matière d’extradition, doit répondre en la forme aux conditions essentielles de son existence légale. Or, en l’espèce, les juges du fond n’ont pas vérifié si le quantum des peines encourues en droit russe entraient dans les prévisions de l’article 2 de la Convention européenne d’extradition. En conséquence, l’avis favorable à l’extradition accordé par la chambre de l’instruction ne répond pas, sur ce point, aux conditions essentielles de son existence légale.

Ensuite, le requérant reprochait à la chambre de l’instruction d’avoir omis de vérifier si la prescription de l’action publique était acquise au regard du droit français. L’argument est en effet pertinent car, comme cela s’évince du premier arrêt, l’extradition n’est pas accordée si la prescription de l’action ou de la peine est acquise d’après la législation soit de la partie requérante, soit de la partie requise. En l’espèce, pour émettre un avis favorable à la demande d’extradition, la chambre de l’instruction avait précisé que le délai de prescription des faits pour lesquels l’extradition était sollicitée, commis entre le 30 septembre 2013 et le 7 décembre 2013, était de six années s’agissant d’un crime qualifié de gravité moyenne et de dix années pour un crime qualifié grave selon les mentions du mandat.

Pour la Cour de cassation ces vérifications ne sont pas suffisantes. Il appartenait en effet à la chambre de l’instruction de « vérifier, au besoin d’office, si, à la date de la demande d’extradition, la prescription ne s’était pas trouvée acquise au regard de la législation française ». Ce choix est logique puisque la prescription est une cause impérative de refus de l’extradition (CE 22 sept. 1997, req. n° 182815 , Hanneman, D. 1997. IR 216 – Crim. 27 janv. 1998, n° 97-81.988 , Bull. crim. n° 33).

En conséquence, au double visa des articles 10 de la Convention européenne d’extradition et 696-15 du code de procédure pénale la cassation est également encourue sur ce motif.