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Procédure disciplinaire et procès équitable : droit d’avoir la parole en dernier

L’exigence d’un procès équitable implique qu’en matière disciplinaire la personne poursuivie ou son avocat soit entendu à l’audience et puisse avoir la parole en dernier et que la mention en soit faite dans la décision.

par Antoine Bolzele 14 mars 2019

L’accusé aura la parole en dernier ! Au-delà de son aspect technique destiné à régler le déroulement des débats et l’ordre d’intervention des parties au procès pénal, l’injonction résume à elle seule les droits sacrés de la défense. La voix de l’accusé est ainsi sublimée par ce dernier acte de l’audience, signe encore vivant des rémanences mystiques de la justice.

En l’espèce, un avocat faisant l’objet d’une procédure disciplinaire sur la base des articles 1.3 et 9 du RIN avait vu la sanction prononcée contre lui par le conseil de discipline de son barreau confirmée par la cour d’appel. Sur le pourvoi dirigé contre l’arrêt rendu, l’avocat condamné obtient la cassation au visa de la violation de l’article 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. La critique admise par le juge du droit tenait au fait que l’avocat n’avait pas eu droit à un procès équitable car aucune mention ne figurait sur l’arrêt sur le fait qu’il avait été invité à prendre la parole en dernier. Cette décision suit le droit fil d’une jurisprudence désormais bien établie (Civ. 1re, 25 févr. 2010, n° 09-11.180, Dalloz actualité, 5 mars 2010, obs. L. Dargent isset(node/134905) ? node/134905 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>134905). L’ordre des débats dans le procès pénal a été institué dans une logique qui prend en compte l’idée que la parole du prévenu ou de l’accusé est la plus importante. Parler en dernier c’est « le droit de la dernière chance, de la dernière éloquence » (T. Garé, Les droits de la défense, in R. Cabrillac, M.-A. Frison-Roche et T. Revet, Libertés et droits fondamentaux, 14e éd., Dalloz, 2008, p. 524). Déjà présente dans les dispositions de l’article 166 du code d’instruction criminelle, l’ancienneté et sa présence dans de nombreux autres systèmes juridiques témoignent de la haute valeur d’une règle qui n’est guère discutable (eg. § 258 du code de procédure pénale allemand ; art. 739 du code de procédure pénale espagnol). Si l’ordre d’intervention prévu à l’article 460 du code de procédure pénale pour le tribunal correctionnel et l’article 346 pour la cour d’assise n’est pas prescrit à peine de nullité, il est impératif que la personne poursuivie, ou son avocat, ait toujours la parole en dernier : « lorsque l’instruction à l’audience est terminée, le prévenu ou son conseil doivent toujours avoir la parole les derniers ; la plaidoirie du conseil ne dispense pas les juges de donner la parole au prévenu s’il la demande, à peine de violation des droits de la défense » (Crim. 11 déc. 1990, Bull. crim. n° 425). La règle de donner en dernier la parole à la personne mise en cause est donc sanctionnée par une nullité substantielle d’ordre public. Et cela même s’il ne s’agit que d’un incident : « aux termes de l’article 346 du code de procédure pénale, l’accusé ou son avocat auront toujours la parole les derniers ; cette règle, générale et fondamentale, domine tous les débats et s’applique lors de tout incident contentieux intéressant la défense qui est réglé par un arrêt » (Crim. 25 nov. 1998, Bull. crim. n° 316). La personne mise en cause peut renoncer à l’exercice de ce droit, mais une invitation à parler doit lui être adressée. Cette obligation procédurale doit faire l’objet d’une mention, soit dans un procès-verbal, soit dans le jugement lui-même (C. pr. pén. art. 346). La volonté de la cour régulatrice de protéger en toutes circonstances le droit absolu pour la partie poursuivie d’avoir la parole en dernier s’exprime donc à nouveau avec force et cela d’autant que le rappel à l’ordre concerne la matière disciplinaire qui se trouve ainsi totalement assimilée au procès pénal.

Dans une vision pratique, le droit de parler en dernier tient aussi au fait que l’avocat de la personne poursuivie plaidant en dernier, il faut laisser la partie civile et le ministère public répliquer s’ils le souhaitent, ce qui implique de redonner la parole à la partie poursuivie. En effet, le respect du principe du contradictoire impose de laisser les parties s’exprimer autant qu’elles le souhaitent, sous réserve de l’accord du président de la juridiction qui dirige la police de l’audience. Le droit de parler en dernier est un élément fondamental du rituel judiciaire, il est aussi imposé par le droit de répondre au titre du contradictoire. En étendant la règle aux procédures disciplinaires, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme fondent un principe de droit naturel en droit judiciaire. En effet, même si le texte applicable à la procédure disciplinaire en question ne le précise pas, il doit être fait application de l’obligation de donner la parole en dernier à celui qui est accusé.

Dans le procès civil, il existe aussi des règles sur le déroulement des débats. L’article 440 du code de procédure civile dispose que le président dirige les débats. Il donne la parole au rapporteur dans le cas où un rapport doit être fait. Le demandeur, puis le défendeur, sont ensuite invités à exposer leurs prétentions. Il existe une autre différence impensable dans le procès pénal qui est prévue par l’article 443 du code de procédure civile, à savoir que le ministère public, partie jointe, a la parole en dernier. Il est vrai que le procès civil n’a pas la force rituelle et symbolique du procès pénal. En matière de contentieux administratif, c’est une solution très proche de celle de la procédure pénale qui est retenue par le Conseil d’État. En application des dispositions de l’article R. 732-1 du code de justice administrative, ce dernier a jugé que devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, les parties qui sont représentées par un avocat et qui ont présenté des conclusions écrites doivent, lorsque leur avocat est absent le jour de l’audience, être mises à même, si elles sont présentes, de présenter elles-mêmes des observations orales. Et le respect de cette obligation doit être mentionné dans la procédure. En l’espèce, le Conseil d’État relève que les mentions de l’arrêt attaqué, qui ne sont contredites par aucune pièce du dossier, ne font pas état de ce que la requérante, qui était effectivement présente, a pris la parole à l’audience. Dès lors, cette dernière est fondée à soutenir que, faute d’avoir été invitée à prendre la parole, l’arrêt attaqué est entaché d’irrégularité (CE 27 févr. 2019, n° 404966, Lebon ; AJDA 2019. 487 ).

En comparant d’un contentieux à l’autre, on voit comment ce principe fondamental du droit au procès équitable n’a pas la même valeur symbolique. Extrêmement forte dans le procès pénal où la règle organise une mise en scène émotionnelle dont intérêt est de permettre une dernière fois à l’accusé de formuler une demande de pardon, voire d’exprimer des aveux in extremis. En d’autres termes, la règle de discussion judiciaire selon laquelle la personne mise en cause doit avoir la parole en dernier peut avoir une incidence sur la décision qui sera rendue. Elle magnifie la parole tout en révélant son impact plus ou moins fort dans la conscience des juges. En l’espèce, l’avocat mis en cause et son conseil étaient présents à l’audience qui s’est déroulée normalement. Après les débats, l’avocat avait adressé une note de délibéré à la cour d’appel sans doute pour répliquer à ses contradicteurs. Pour la Cour de cassation, c’est insuffisant car la décision de condamnation doit mentionner que la parole a été donnée en dernier. Même si l’on peut douter que cela aurait changé quoique ce soit à la décision qui a été rendue, le fait de ne pas avoir donné la parole en dernier à l’accusé prive celui-ci d’une chance de pouvoir l’infléchir. Tout dépend. Parler pour ne rien dire ou presque, se taire ou exprimer de sensationnels aveux. Mais si le procès pénal et le procès disciplinaire présentent de profondes affinités, il n’en est pas de même dans le procès civil et le procès administratif. Dans ces contentieux, il s’agit plutôt d’un ordre d’intervention des parties au procès dicté par des considérations pratiques que justifie l’application concrète du principe du respect du contradictoire.