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Procédure européenne de règlement des petits litiges : précisions de la CJUE sur la notion de « parties »

L’article 3, § 1 du règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges doit être interprété en ce sens que la notion de « parties », utilisée dans la définition des litiges transfrontaliers, vise seulement les parties requérante et défenderesse au principal et non les parties « intervenantes ».

par Guillaume Payanle 12 décembre 2018

La procédure européenne de règlement des petits litiges a été instituée par le règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 (JOUE L 199, 31 juill. 2007, p. 1). Ce règlement est entré en application le 1er janvier 2009 – dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne, à l’exception du Danemark – et, par la suite, a été amendé par le règlement (UE) n° 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 (JOUE L 341, 24 déc. 2015, p. 1).

Ce règlement crée une procédure européenne uniformisée, applicable aux seuls « litiges transfrontaliers », qui se superpose aux législations nationales sans les remplacer ou les modifier. Telle qu’elle a été conçue en 2007, il s’agit d’une procédure contradictoire, écrite, pouvant être mise en œuvre sans que les parties soient représentées par un avocat ou tout autre professionnel du droit (règl. [CE] n° 861/2007, art. 10), dans laquelle les actes – ou, du moins, certains d’entre eux – sont standardisés et se matérialisent par des formulaires multilingues. De plus, le règlement (CE) n° 861/2007 « supprime […] les procédures intermédiaires nécessaires pour qu’une décision rendue dans un État membre dans le cadre de la procédure européenne de règlement des petits litiges soit reconnue et exécutée dans un autre État membre » (règl. [CE] n° 861/2007, art. 1er, al. 2). En cela, il institue un nouveau type de « titre exécutoire européen », s’inspirant – sur ce point – du modèle offert par le règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JOUE L 399, 30 déc. 2006, p. 1).

La présente affaire donne l’occasion à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de préciser utilement la notion de « parties » à la procédure européenne de règlement des petits litiges, employée dans la définition des « litiges transfrontaliers », seuls concernés par l’application du règlement (CE) n° 861/2007.

En l’espèce, dans un litige l’opposant à son débiteur résidant en République slovaque, une société ayant son siège dans ce même État a saisi une juridiction – également située en Slovaquie – d’une demande tendant au paiement d’une créance d’environ 400 €, hors intérêts de retard, au titre de la procédure européenne de règlement des petits litiges. Pour ce faire, elle remplit le formulaire de demande A figurant en annexe du règlement, où elle apparaît en qualité de « demandeur » et où son débiteur est désigné comme étant le « défendeur ». Dans ce même formulaire figure en qualité de « partie intervenante » une société établie en République tchèque. Cette seconde société avait préalablement conclu avec la première un accord aux termes duquel elle procédait – moyennant une commission – à la gestion et au recouvrement de plusieurs créances, dont celle à l’égard de la partie défenderesse. Estimant avoir un intérêt juridique à la solution du litige, la société de droit tchèque entendait intervenir dans le litige, comme le lui permet la législation slovaque applicable (C. pr. civ. slovaque, art. 81).

La difficulté porte ici sur l’application du règlement (CE) n° 861/2007 dans l’affaire soumise à la juridiction slovaque de renvoi. En effet, ainsi que cela a été indiqué, il ne peut être fait usage de ce règlement que dans les « litiges transfrontaliers ». Or cette notion doit être entendue comme faisant référence aux litiges dans lesquels « au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie » (règl. [CE] n° 861/2007, art. 3, § 1).

Dès lors, la question se pose de savoir si la notion de « parties », utilisée dans cette définition, vise seulement les parties requérante et défenderesse au principal ou si elle englobe une partie « intervenante », qui participe à la procédure à l’appui de l’une ou de l’autre des parties au principal.

Le règlement (CE) n° 861/2007 ne définissant pas la notion de « parties » et ne renvoyant pas sur ce point au droit des États membres, la Cour de justice de l’Union européenne – saisie des questions préjudicielles de la juridiction slovaque de renvoi – raisonne tout d’abord à partir de l’« économie générale » de la procédure européenne de règlement des petits litiges (arrêt, pts 26 s.). Pour cette juridiction, il en résulte que le règlement prévoit uniquement les droits et les obligations des parties requérante et défenderesse au principal. À ce sujet, avec raison, les hauts magistrats européens tirent également argument du contenu des formulaires types de demande (formulaire A) et de réponse (formulaire C), lesquels ne contiennent pas de rubrique consacrée aux éventuels intervenants à la procédure (arrêt, pts 26 et 27).

Ensuite, le raisonnement de la CJUE se poursuit au regard du triple « objectif » de la procédure européenne de règlement des petits litiges, à savoir celui de régler ces litiges transfrontaliers de manière plus simple, plus rapide et à moindre coût (règl. [CE] n° 861/2007, art. 1er). Elle en conclut – de façon quelque peu rapide – que cet objectif « ne saurait être atteint si la procédure instituée permettait la participation d’une tierce personne, telle qu’une partie intervenante » (arrêt, pt 28).

Enfin, la Cour de justice se base sur les travaux législatifs qui ont précédé l’adoption du règlement modificatif (UE) n° 2015/2421 du 16 décembre 2015 précité, en rappelant l’opposition exprimée par le législateur de l’Union européenne à l’encontre d’une acception élargie de la notion de litiges transfrontaliers, malgré la proposition formulée en ce sens par la Commission européenne. À ce propos, on peut affirmer avec la CJUE que la volonté ainsi exprimée par le législateur de l’Union « se verrait méconnue si la domiciliation d’une partie intervenante dans un État membre autre que celui des parties requérante et défenderesse suffisait à étendre le champ d’application du règlement n° 861/2007 à un litige tel que celui en cause au principal » (arrêt, pt 29).

Fort logiquement, la Cour de justice de l’Union européenne conclut donc que la notion de « parties » – utilisée dans l’article 3, § 1, précité du règlement (CE) n° 861/2007 – vise uniquement les parties requérante et défenderesse au principal. En conséquence, il faut considérer que ce règlement ne s’applique pas dans l’espèce ayant donné lieu à la demande de décision préjudicielle, dès lors que les « parties » ainsi définies ont leur domicile ou leur résidence habituelle dans le même État membre que celui de la juridiction saisie (en l’occurrence, la République slovaque).

De façon très pédagogique, la CJUE prend soin de compléter sa réponse en rappelant que, lorsqu’il s’avère qu’une demande formulée dans le cadre de la procédure européenne de règlement des petits litiges ne relève finalement pas du champ d’application du règlement (CE) n° 861/2007, la juridiction doit en informer le demandeur. À moins que celui-ci ne retire sa demande, ladite juridiction doit y donner suite conformément au droit procédural applicable dans l’État membre dans lequel se déroule la procédure (règl. [CE] n° 861/2007, art. 4, § 3).

On peut se réjouir que la notion centrale de « parties » reçoive ainsi une interprétation « autonome et uniforme dans l’ordre juridique de l’Union » (arrêt, pt 23). L’ajout d’une définition positive de cette notion, dans le règlement (CE) n° 861/2007, pourrait d’ailleurs opportunément être opéré à l’occasion de son futur réexamen programmé pour débuter au plus tard le 15 juillet 2022 (règl. [CE] n° 861/2007, art. 28, tel que modifié par le règl. [UE] n° 2015/2421).