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Procédures-bâillons et avocats : un projet de directive qui fait débat

Afin de lutter contre les poursuites-bâillons, ces procédures abusives destinées à faire taire les lanceurs d’alerte, la Commission européenne a proposé le 27 avril dernier une directive anti-SLAPP, complétée par une recommandation à l’attention des États membres. Un projet encore perfectible et soumis à des ajustements, mais qui soulève d’ores et déjà des interrogations de la part des professionnels du droit…

par Chloé Enkaoua, Journalistele 23 septembre 2022

C’est un peu le combat de David contre Goliath. Partout dans le monde, de plus en plus de lanceurs d’alerte (journalistes, ONG, lobbyistes, défenseurs des droits de l’homme, etc.) sont victimes de poursuites-bâillons – Strategic Lawsuits Against Public Participation (SLAPP) en anglais – initiées par des entités étatiques ou privées influentes afin de les faire taire. Le but : décourager et intimider ceux qui souhaitent porter un sujet d’intérêt général à la connaissance de l’opinion publique en les asphyxiant sous une avalanche de procédures judiciaires coûteuses et chronophages. Et le phénomène tend à prendre de l’ampleur, notamment au sein de l’Union européenne ; pour la seule année 2021, 118 cas de procédures-bâillons ont ainsi été recensés par la coalition contre les procédures-bâillons en Europe (CASE). Un record… Mais d’un État membre à l’autre, les garanties actuelles visant à lutter contre ces « poursuites judiciaires manifestement abusives ou infondées » varient, tant en termes de champ d’application que d’efficacité. En France, notamment, l’avocat et vice-président commission Libertés et Droits de l’homme du CNB, Matthieu Boissavy, relève deux difficultés majeures : « La première, c’est que même s’il est probable que les plaignants soient déboutés à l’issue de la procédure, celle-ci est souvent longue », note-t-il. « Par ailleurs, en matière de diffamation, le juge d’instruction n’a pas de pouvoir d’investigation ni d’appréciation des charges – le plaignant sait que l’auteur du propos sera presque systématiquement mis en examen. L’autre problème en France, c’est la sanction de ces procédures abusives. Si la loi prévoit bien dans ces cas-là des dommages et intérêts, en matière de diffamation, par exemple, le propos peut être qualifié de diffamatoire mais être couvert par la liberté d’expression. Dans cette hypothèse de relaxe sur la bonne foi ou l’exception de vérité, les tribunaux accordent très rarement des dommages et intérêts à la personne déclarée innocente, même en cas de poursuite-bâillons. Là-dessus, le droit positif français devrait évoluer. »

Tuer les procédures abusives dans l’œuf

Pour lutter contre ces pratiques de manière cohérente et harmonieuse et prévoir des garanties procédurales protectrices, la Commission européenne a présenté le 27 avril dernier un projet de directive anti-SLAPP. L’élément déclencheur ? L’assassinat en 2017 de la journaliste d’investigation maltaise Daphne Caruana Galizia, soumise à près de cinquante poursuites-bâillons au moment de son meurtre. Les rapports de 2020 et 2021 sur l’État de droit ont fait le reste. L’ambition de la proposition de directive est de « tuer les procédures-bâillons dans l’œuf », avec pour ce faire quatre principaux objectifs : le rejet rapide des demandes manifestement infondées, la possibilité d’ordonner au requérant de fournir une garantie financière pour les frais de procédure et/ou des dommages-intérêts, le renforcement de sanctions dissuasives contre l’auteur des poursuites et la mise en place d’une coopération judiciaire entre les États membres dans ce cadre. « L’apport majeur de cette proposition de directive est la possibilité pour la cible des poursuites-bâillons de...

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