Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Procédures de divorce trop longues à Bobigny : l’État assigné par des avocats

Hier, des avocats du barreau de Seine-Saint-Denis ont plaidé contre l’État, demandant l’indemnisation de leurs clients tardivement convoqués devant la juridiction familiale de Bobigny.

par Anne Portmannle 12 septembre 2017

Dans les dossiers présentés hier devant la première chambre du tribunal de grande instance de Paris, les avocats en demande faisaient état d’un délai moyen de treize à quatorze mois entre le dépôt de la requête par le justiciable et l’envoi de la convocation par le juge. « Alors que le code de procédure civile fixe un délai de quinze jours », a rappelé le bâtonnier de Seine-Saint-Denis, Valérie Grimaud. Au nom de trois de ses clients, elle a assigné l’État en responsabilité, en raison de la lenteur excessive des délais de convocation devant la juridiction familiale de son barreau. D’autres avocates du barreau ont fait de même et ce sont au total vingt-cinq dossiers qui ont été présentés simultanément à l’audience.

« Une situation préoccupante, mais pas alarmante »

« Depuis trois ans, les avocats de Seine-Saint-Denis ont observé un accroissement significatif des délais de convocation, constaté les difficultés, car les magistrats étaient débordés, les audiences surchargées, avec quatre à six dossiers examinés par heure. Cette situation de dégradation a été dénoncée par les bâtonniers successifs, auxquels les chefs de juridiction ont répondu qu’ils n’avaient pas les moyens de faire autrement et cette désorganisation ne cessait de s’amplifier. Il a fallu que le barreau et les magistrats s’allient pour dénoncer la situation début 2016 ». La campagne d’assignations en responsabilité de l’État, annoncée par le barreau, avait alors été différée (v. Dalloz actualité, 25 févr. 2016, art. C. Fleuriot isset(node/177536) ? node/177536 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>177536).

« Le 30 septembre 2016,  dans un courrier, Christiane Taubira a répondu que la situation était préoccupante, mais pas alarmante », a plaidé Valérie Grimaud, qui a confié plus tard que cette réponse a été le « réacteur » qui a décidé les avocats à reconduire leur action.

« Il y a 25 dossiers, mais il pourrait y en avoir beaucoup plus car souvent, les clients qui ont subi les préjudices les plus importants n’ont pas voulu assigner », a précisé l’avocate, qui a souligné que le volume des dossiers traités par la juridiction familiale balbynienne s’élevait à plus de 5 000 par an.

« Il faut patienter »

Dans les dossiers qui se succèdent à la barre, les avocates exposent la situation de leurs clients, qui la plupart du temps sont des femmes, avec des enfants et très peu de ressources. À l’exception notable de Monsieur H. qui a dû attendre plus d’un an pour qu’un droit de visite et d’hébergement soit fixé par le juge. Même histoire pour Madame K., mère de deux enfants âgés de quatre et cinq ans, qui a dû attendre treize mois pour voir fixer son droit de visite. « Elle avait tenté de saisir le juge en urgence, mais c’était impossible, car le père, à sa guise, lui laissait voir ses enfants. Il a même déménagé sans laisser d’adresse et elle ne savait pas où ses enfants habitaient, ni où ils étaient scolarisés », a plaidé Me Sylviane Higelin.

Les cas de pères ne contribuant pas à l’entretien des enfants avant la survenance de l’ordonnance de non-conciliation (ONC) et de mères dans l’impossibilité d’être prises en charges par les services sociaux en l’absence de ce document s’égrènent, les avocates racontant le désespoir des clients et leur propre impuissance. « Certains ne nous croyaient même plus lorsque nous leurs disions qu’il fallait encore attendre. Ils perdaient confiance », a souligné l’avocate Éléonore Peiffer-Devonec. « Lorsqu’un client me saisissait, je ne pouvais que lui dire : il faut patienter ». Le temps passe, la situation se dégrade : dettes, expulsion locative, souffrance psychologique, enfants qui ne voient pas régulièrement leurs parents, etc. Les demandes d’indemnisation dans ces vingt-cinq dossiers étaient fixées, en moyenne, autour de 5 000 € pour le préjudice moral, et autant pour le préjudice financier.

Responsabilité de l’État

De l’autre côté de la barre, la représentante de l’Agent judiciaire de l’État (AJE), a reconnu la responsabilité de l’État, le délai de convocation étant « excessif », dans tous ces dossiers. Elle a toutefois considéré que les préjudices allégués n’étaient pas démontrés. Elle demandait, pour cette raison, la condamnation des demandeurs au paiement de sommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ce qui a étonné les avocats en demande. « L’élégance aurait dû conduire l’AJE à ne pas demander d’argent », a souligné Valérie Grimaud. À titre subsidiaire, l’AJE proposait une indemnisation allant de 400 à 600 € pour le préjudice subi du fait du retard constaté. « Indécent », a estimé le bâtonnier. L’affaire a été mise en délibéré au 9 octobre 2017.

« J’espère beaucoup de cette décision, a déclaré Valérie Grimaud à la sortie de l’audience. Toutes ces personnes, qui ont subi des délais de procédure anormaux, ont engagé cette démarche pour les autres, car leur affaire est terminée. Il faut reconnaître les difficultés qu’ils ont rencontrées. En matière familiale, les délais, c’est la vie de tous les jours, c’est du temps qu’on ne réparera jamais, qui est définitivement perdu ».

Malgré la diminution des délais de convocation, ramenés à six mois, la situation est encore précaire, estime le bâtonnier. « Il y a eu des magistrats supplémentaires, mais peu d’effectif de greffe. La juridiction fonctionne à flux tendu, et les greffiers ont d’ores et déjà barricadé les portes de leurs bureaux pour ne pas être dérangés par les avocats ou par les justiciables. Ça va recommencer comme avant ».