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Procès Bygmalion : les « ploucs » sacrifiés de l’UMP

Après avoir entendu les cadres de Bygmalion, la 11e chambre correctionnelle a interrogé les responsables de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, soupçonnés d’avoir mis en place un système de fausses factures destiné à cacher les dépenses excessives du candidat.

par Julien Mucchiellile 4 juin 2021

Fabienne Liadzé n’est pas une financière. Elle l’a dit et répété, lundi 31 mai, à la présidente Caroline Viguier, qui l’interroge sur le rôle qu’elle a tenu dans la mise en place d’un système de fausses factures, une « ventilation » qui a permis de dissimuler les dépenses largement excessives du candidat Sarkozy. Mais en mars et avril 2012, elle est directrice financière de l’UMP et assiste de ce fait à de nombreuses réunions avec l’équipe de campagne. De la déposition de Franck Attal, le « monsieur meeting » de Bygmalion et directeur général de la branche événementielle Event et Cie, le tribunal aura retenu que Fabienne Liadzé est alors la première interlocutrice de l’entreprise, ce qui fragilise sa position consistant à dire qu’elle n’avait pas le pouvoir de décider de la mise en place d’une telle fraude. Parmi ses supérieurs, les supposés décisionnaires, comparaissent notamment Pierre Chassat, Éric Céari, Jérôme Lavrilleux et Guillaume Lambert (ce dernier, hospitalisé jeudi 3 juin, sera entendu la semaine prochaine).

« Je sais pertinemment qu’il n’y a pas de convention »

Le tribunal s’est alors tourné vers Pierre Chassat, directeur de la communication de l’UMP et directeur adjoint de cabinet de Jean-François Copé – le secrétaire général du parti, qui a bénéficié d’un non-lieu. À l’entendre, Pierre Chassat était encore moins décisionnaire que Fabienne Liadzé. « Mon rôle dans la campagne se limite à toute la partie propagande, à aucun moment je n’interviens auprès d’Event ou n’importe quel autre prestataire », annonce-t-il derechef. La présidente, qui ne laisse passer aucune dérobade depuis le début du procès, l’entreprend alors : « Si ce n’est pas vous qui avez la main sur l’organisation, qui ? — Au quotidien, je vois qu’Event reçoit ses consignes de la direction de campagne », c’est-à-dire Jérôme Lavrilleux, directeur adjoint de la campagne et proche de M. Copé, et Guillaume Lambert, directeur de campagne. « Mais comment ignorer qui est chargé de l’organisation des meetings ? — Tout simplement parce qu’on n’a jamais eu d’organigramme de campagne », répond Pierre Chassat. La présidente fait projeter une facture de 2 999 199,66 euros, estampillée « conventions » et portant le paraphe de Pierre Chassat, qui s’explique :

— Je signe. Dans un cas comme dans l’autre, je ne suis pas le demandeur. Ce sont des factures Event. On se dit que c’était plus simple pour la comptabilité de signer des paquets globaux. Parce que cela sera rattaché à mon budget. Pour moi, c’est évident que ce sont des dépenses de campagne, je sais pertinemment qu’il n’y a pas de convention.

— Donc vous savez pertinemment que cet engagement de dépense est faux.

— Pas du tout, ce n’est pas mon service qui le remplit.

— Mais c’est vous qui le signez, deux fois même, comme demandeur et comme directeur.

— Pour moi, ce sont des événements de campagne. Je signe en toute bonne foi. À aucun moment, je ne peux imaginer que ce soit autre chose que des événements de campagne.

En clair, la signature de Pierre Chassat n’a aucune valeur ; elle est purement administrative et n’engage pas sa responsabilité – ce qui ne tient pas. Pierre Chassat, comme Fabienne Liadzé, a signé des conventions qu’il savait couvrir en réalité les frais de campagne démesurés de Nicolas Sarkozy.

« On est comme au rugby, on essaie de passer le ballon à quelqu’un d’autre »

Éric Cesari est tout aussi droit dans ses bottes, la faconde et l’accent corse en plus. Il se présente : « En 2012, je suis directeur général, je gère ce qui a trait à l’administration, au personnel, j’assure la coordination des directeurs, mais je n’ai aucun pouvoir de décision. » Il ajoute : « On est dans un parti politique, la seule autorité qui existe ce sont les politiques », et pas par les seconds couteaux de la bureaucratie, dont la signature est à le croire sans valeur. Il se campe en « passe-plat », en simple exécutant des décisions politiques, et s’exonère finalement de tous les devoirs que lui confère sa fonction de directeur général de l’UMP. Il l’explique par le contexte : « Dès lors que vous êtes en campagne, évidemment qu’il y a des choses qui se font de manière moins procédurale et avec plus de facilité »

La présidente se demande si elle a bien compris : « Vous avez signé à la chaîne des engagements de dépense de millions, sans vérifier aucune pièce ? — Ce que je reçois chez moi, c‘est une feuille avec un cumul d’opérations déjà effectuées. Elle arrive des services de Mme Liadzé, et je signe avec le parapheur. » La présidente demande à Fabienne Liadzé de confirmer : « Les engagements de dépense circulent avec les factures », ce qui signifie que M. Cesari avait le loisir de les vérifier. Il réfute. « Je ne suis pas dans un schéma de défiance et d’interrogation sur ce que l’on me présente », se fend-il.

Comment expliquer cette défausse en chaîne ? Éric Cesari l’image ainsi : « On est comme au rugby, sauf qu’on fait les passes en avant, on essaie de passer le ballon à quelqu’un d’autre, si M. Lavrilleux dit “c’est Cesari”, c’est pour dire “c’est pas moi” », dit-il au tribunal.

« Le ball-trap consiste à mettre mon nom dans tout »

Jeudi 3 juin, le ballon était dans les mains de Jérôme Lavrilleux, directeur adjoint de la campagne, présenté par beaucoup comme le décisionnaire, et, proche de Jean-François Copé, comme un fidèle qui le couvre. Il fait rapidement la passe à M. Cesari : « Je ne pense pas avoir le souvenir d’avoir participé à une seule réunion au QG de campagne sans Éric Cesari. On avait le même niveau d’information ».

Jérôme Lavrilleux, dans cette affaire, en a gros sur la patate. Quand la présidente le questionne sur toutes ces personnes qui le chargent, il répond : « Le ball-trap consiste à mettre mon nom dans tout. Je suis désolé. Je suis énervé. »

On lui demande alors de parler de la campagne. « Cela s’est passé au fil de l’eau, de manière empirique, dans une inorganisation totale. » Il parle de « dinguerie » et des meetings qui sont décidés au jour le jour, dans un rythme effréné. Ce qui intéresse la présidente, ce sont les ressorts de la prise de décision.

— Le 10 mars, dit M. Lavrilleux, Franck Attal me dit qu’il a un problème, car certains de ses fournisseurs ne peuvent pas être réglés parce que lui n’a pas été réglé. Je lui dis alors qu’il peut faire les factures au nom de l’UMP.

— Qui prend la décision, et qui la met en œuvre ? Le fait que ça aurait été suggéré par Mme Liadzé me paraît, comme ça, improbable.

— C’est le fruit d’une réflexion collective, on se dit qu’on n’a pas le choix.

Il ajoute : « Début mars, je n’ai pas de vision globale des finances, je ne sais pas qu’on est en train d’aller dans le mur », et ne s’inquiète donc pas d’un éventuel dépassement du plafond légal des dépenses de campagne. Fabienne Liadzé avait affirmé, pour s’exonérer, que M. Lavrilleux lui avait donné son feu vert pour l’établissement de ces factures. M. Lavrilleux confirme qu’il a dit « c’est ok pour les factures Event », mais ne confirme pas qu’il avait donné son accord pour des factures « conventions ».

La présidente garde le cap :

— Qui a demandé d’accélérer la campagne et de mettre en place ce système frauduleux ?

— Pour moi, ce sont deux choses différentes. La campagne, c’est le candidat qui décide. Le système frauduleux apparaît naturellement comme la seule solution possible. L’important, c’est de gagner. On a tous baigné dans cette exaltation.

— Quelle est votre hypothèse ? C’est M. Lambert qui a mis en place ce système tout seul ?

— Je préfère penser que c’est de l’incompétence, ironise-t-il.

Mais le témoignage de Franck Attal ne joue pas en sa faveur. Le directeur d’Event et Cie le présente sans ambages comme celui qui lui a présenté le système de ventilation. « À ce moment-là, parce qu’il est nécessaire de payer les fournisseurs, ça ne me choque pas », argue-t-il.

« Il reste les ploucs de service qui doivent régler le problème »

Ce n’est qu’a posteriori que Lavrilleux, Césari et Liadzé ont régularisé les comptes. « Quand on a sillonné la France entière après une campagne hallucinante, quand tout le monde se barre du siège de campagne et réintègre ses grands corps, il reste les ploucs de service qui doivent régler le problème », cingle-t-il. La présidente a encore une question :

— Comment expliquer que trois personnes isolées sortent de leur fonction, pour prendre une telle décision ?

— Parce que quand tout le monde a quitté le bateau de la campagne, y’a quelques personnes chargées de faire le ménage.

— Et quand Mme Liadzé et M. Cesari disent que c’est la seule solution, quelle question vous leur posez ?

— Je suis comme eux, le premier truc que je dis c’est « ok », mais je n’en parle pas à Jean-François Copé. Je fais mon boulot de directeur de cabinet, je protège mon patron.

Ce dernier sera entendu comme témoin mercredi 9 juin.

 

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