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Procès « Bygmalion » : premiers affrontements, sur le terrain de la procédure

Le procès « Bygmalion » s’est ouvert jeudi 20 mai. Quatorze prévenus, dont l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, seront jugés jusqu’au 22 juin pour avoir participé ou bénéficié d’un système de fausses factures ayant permis de dissimuler un gros dépassement du plafond des comptes de la campagne présidentielle de 2012.

par Julien Mucchiellile 24 mai 2021

La défense, tout d’abord, s’est montrée unie face aux parties civiles baroques qui déjà ont animé le procès « Bismuth » : « On commence à en avoir marre de ces parties civiles fantaisistes qui viennent aux procès médiatiques comme si on était au cirque », a lancé en ouverture de l’audience Me Julia Minkowski, avocate de Jean-François Copé (qui a bénéficié d’un non-lieu). « Il faut que la justice refuse de se prêter à cette guignolesque représentation », a lancé Me Patrick Maisonneuve. Me Frédérik-Karel Canoy, qui s’était constitué partie civile pour un certain Paul, puis Luc Bismuth dans le procès des écoutes, a récidivé cette fois-ci en disant représenter les intérêts de militants UMP, dont l’authenticité est remise en cause, pour un préjudice subi du fait de cette affaire. Le droit lui permet de participer au procès, avant que ne soit éventuellement rejetée sa constitution de partie civile, lorsque le tribunal rendra sa décision. « N’importe qui peut simplement lever le doigt et écrire trois lignes pour venir s’imposer ici comme partie civile. Il y a quand même un problème », déplore le procureur Nicolas Baïetto. Me Canoy est resté stoïque face à ces assauts, et entend bien maintenir sa présence dans les débats – et devant les caméras.

Après cela, Me Thierry Herzog a tenté de démontrer que son client « Nicolas Sarkozy ne pourrait être jugé par le tribunal correctionnel  » car, notamment, l’ordonnance de renvoi serait irrégulière, ou encore la règle non bis in idem empêcherait à une juridiction pénale de juger un litige déjà tranché, dit-il, par le Conseil constitutionnel (qui a invalidé les comptes de campagne du candidat Nicolas Sarkozy). Sur ce point notamment, le procureur a mis en avant les décisions du 24 juin 2018 et du 17 mai 2019, dans lesquelles le Conseil constitutionnel estime que la règle non bis in idem pouvait être écartée lorsque les sanctions sont de nature différentes – ce qui est le cas en l’espèce (financière et automatique par la commission des comptes de campagne, d’une part, sanction pénale, d’autre part).

Le deuxième jour d’audience en est resté aux questions de procédures, mais le fond, déjà, a émergé. La division entre le camp Nicolas Sarkozy et le camp Jean-François Copé est rapidement apparue très nette. L’opposition, frontale.

« Une partie civile indécente, moralement indigne, intellectuellement malhonnête, et juridiquement inepte »

C’est d’abord Christophe Ingrain, l’avocat du préfet Guillaume Lambert, directeur de la campagne, qui a plaidé une demande de supplément d’information en vue d’étudier les pièces nouvellement produites qui, selon lui, montrent que Jean-François Copé était impliqué dans les décisions financières prises par le parti pour aider le candidat Sarkozy au printemps 2012, ce que M. Copé, alors secrétaire général de l’UMP, a toujours démenti.

Me Luc Brossolet, qui représente l’ancien dirigeant de la branche « événementiel » de Bygmalion, Franck Attal, et soutient la demande de supplément d’information, s’en est virulemment pris à l’UMP, « une partie civile indécente, moralement indigne, intellectuellement malhonnête, et juridiquement inepte », qui réclame 16 millions d’euros aux anciens de Bygmalion. Il s’insurge contre la thèse du parti de droite, selon laquelle le système de fausse facturation, mis en place par quelques employés, aurait totalement échappé à ses dirigeants, alors même que les documents évoqués par Christophe Ingrain interrogent cette thèse retenue par le dossier. « Tout le dossier va être constitué sur la foi d’un prétendu abus de confiance. Or la thèse de M. Attal, c’est que personne n’était dupe de l’usage de ces fonds à l’UMP. »

L’avocat de Jérôme Lavrilleux, ancien bras droit de M. Copé et numéro 2 de l’équipe de campagne, répond au préfet Lambert : « Il était directeur de campagne, il participait aux réunions de campagne toutes les semaines avec des gens de l’UMP, il y avait des projections budgétaires, et il vient nous dire qu’il ne savait pas qu’il y avait un problème ? », demande Christian Saint-Palais.

Le procureur, à la suite de ces prises de paroles, a pris un peu de hauteur : « Il faut rappeler que le ministère public n’a pas intérêt à privilégier la thèse d’un tel par rapport à celle d’un tel. » Pour lui, les documents présentés par les avocats demandant le supplément d’information n’apportent « aucun élément nouveau », estimant que tout le monde a été entendu sur la souscription du prêt de 55 millions, destiné à remplir le trou laissé par les dépenses de campagne.

Rémi Lorrain, l’autre avocat de Guillaume Lambert, insiste. « Un constat général : il est clair que l’entreprise de protection de Jean-François Copé mise en place par Jérôme Lavrilleux tout au long de l’instruction est en train de se fissurer. » L’avocat évoque les scellés, « une mine d’or probatoire », auxquels il n’a eu que récemment accès et qui démontrent que « Jean-François Copé est désormais le plus grand signataire de documents budgétaires. Quand vous consultez certaines pièces, vous pouvez même avoir un doute sur qui est vraiment candidat », ironise-t-il, soulignant les dépenses importantes de l’UMP consenties pour les frais pompeux de M. Copé (loge dans les meetings, transports coûteux).

Le tribunal a joint l’ensemble des demandes au fond, dont l’examen débute mardi avec l’interrogatoire de Franck Attal.