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Le procès d’Alexander Vinnik se recentre sur la question du blanchiment aggravé

À l’issue d’une procédure judiciaire inédite en France, le procès en appel d’Alexander Vinnik, soupçonné d’être impliqué dans un rançongiciel, devrait se résumer à la question de sa culpabilité sur le seul blanchiment aggravé.

par Gabriel Thierryle 28 mai 2021

L’avocat général Jérôme Marilly vient de terminer ses réquisitions contre Alexander Vinnik. Ce Russe longiligne de 42 ans aux cheveux ras est le seul suspect de l’enquête française sur le rançongiciel Locky, ce logiciel malveillant chiffrant vos données pour exiger une rançon qui avait sévi dans le monde à partir de 2016. Jeudi 27 mai, après une heure d’explications pédagogiques du ministère public, la onzième chambre du second pôle de la cour d’appel de Paris bruisse des chuchotements des conseils présents. En abandonnant les charges relatives à la cybercriminalité, à l’extorsion et à l’association de malfaiteurs, le ministère public demande seulement la confirmation de la condamnation pour blanchiment aggravé prononcée en première instance, soit une peine de cinq ans d’emprisonnement.

Surprise, l’une des deux conseils du prévenu, Me Zoé Konstantopoúlou, rattrape par la manche l’avocat général alors que ce dernier quitte la salle d’audience. La bouillante juriste, ancienne présidente du parlement grec, tient à remercier le magistrat pour ses réquisitions. Elle le fera à nouveau le lendemain, le vendredi 28 mai, dans sa plaidoirie. « C’est la première fois que nous avons perçu, du côté du parquet, une position distante et objective, pour vous proposer une décision juste », dit-elle à la cour, avant de demander une relaxe complète.

Est-ce à dire que ce procès tant redouté, après les nombreux incidents de première instance, se termine dans l’apaisement ? Plus ou moins, au vu de la ligne de crête que l’audience a suivie durant la dernière semaine du procès. En marge de l’affaire en elle-même, les journées du mardi et de jeudi ont été ainsi marquées par les vives protestations de Zoé Konstantopoúlou sur les contrôles de sécurité qu’elle avait subis, injustement disait-elle, à l’entrée de la cour d’appel, retardant d’autant l’ouverture des débats.

Moins anecdotique, la défense avait également demandé à joindre, à la dernière minute, le témoignage d’un interprète russe ayant traduit des débats judiciaires relatifs à l’extradition de Grèce d’Alexander Vinnik, où il avait été arrêté en juillet 2017 pendant des vacances. Alors que la cour attendait un document en russe, qui aurait ainsi pu être lu par l’une des traductrices assermentées présentes, le texte est arrivé à Paris traduit en grec, la langue de l’avocate. Une traduction sera finalement transmise aux parties avant les plaidoiries de la défense, mais sans copie de la pièce d’identité attestant de l’identité de son auteur, une nouvelle entorse à la procédure pour des parties civiles.

La seule question du blanchiment

Des dernières péripéties passées en arrière-plan après le réquisitoire de l’avocat général, qui a permis de circonscrire le procès à une seule question : Alexander Vinnik a-t-il blanchi des fonds issus des rançons versées ? Évacuant ainsi toutes les accusations relatives au logiciel malveillant Locky. « Est-il un simple opérateur de saisie, parlant à peine anglais, embauché sur un chat, et qui se retrouve contre son gré otage d’un conflit entre grandes puissances ?, s’interroge l’avocat général. Ou est-ce un informaticien aguerri, un pirate informatique ayant été l’administrateur d’une des plus grandes plateformes de blanchiment d’argent sale sur le net », le site d’échanges de cryptomonnaies BTC-e ?

Le magistrat donnera ultérieurement dans ses réquisitions sa réponse. « Ce n’est pas le concepteur du rançongiciel Locky, et il n’a en aucun cas diffusé ce logiciel ou aidé à sa diffusion : il n’y a aucune preuve, résume-t-il. Par contre, bien loin du rôle qu’il se prête, Alexander Vinnik avait entre les mains les outils pour se connecter aux comptes administrateurs de BTC-e permettant d’assurer une opacité totale des rançons de Locky. »

Désavouant partiellement les magistrats instructeurs, l’accusation brosse le portrait d’un prévenu simple prestataire de service pour les cybercriminels ayant lancé le rançongiciel. « Ils avaient un problème, le blanchiment, poursuit Jérôme Marilly. C’est pour cela qu’ils se sont tournés vers des professionnels du blanchiment », la plateforme BTC-e, devenue le « trou noir de la finance dématérialisée ». Une structure tellement opaque que l’avocat général s’est interrogé sur l’opportunité de l’amende de 100 000 € prononcée en première instance, au vu, dit-il, du peu de chances qu’elle ne soit réellement recouvrée.

Seule une partie civile, Me Raphaël Liotier, l’avocat de la CNAF, dont une trentaine de caisses de Nouvelle-Aquitaine avaient été touchées par Locky en 2016, mentionne la question de l’association de malfaiteurs. « Le seul objectif du rançongiciel, c’est la rançon, rappelle l’avocat. On ne peut la collecter que si on a une plateforme de paiement. La remise du fruit de l’attaque matérialise la participation d’Alexander Vinnik et l’existence d’un accord préalable. »

7 % de différence

La défense a sorti sa calculette. En évacuant treize des quatorze infractions reprochées, le ministère public les rejoint à 93 %. Reste 7 %, l’infraction de blanchiment aggravé, qui sépare Alexander Vinnik d’une relaxe totale. « Pourquoi est-il donc relaxé pour l’association de malfaiteurs et condamné pour le blanchiment en bande organisée ?, demande Me Frédéric Belot. Jamais il n’a su l’origine des fonds. Jamais il n’a imaginé que la plateforme était une blanchisseuse. Factuellement, y a-t-il des preuves ? Nous n’avons rien, juste un raisonnement intellectuel extrêmement dangereux, qu’au vu de l’ampleur, il ne peut avoir agi seul. »

Pour Me Belot, les découvertes faites avec l’exploitation de la base de données BTC-e ont été faites « hors du contrôle du juge, en dehors du respect du contradictoire, et sont donc irrecevables au regard des règles européennes ». Ce qui ferait aussi de son client, qui se présente comme un simple opérateur de BTC-e, une victime de Locky, rappelant que ce dernier assimile son extradition à un kidnapping. Raison pour laquelle il demande 5 millions d’euros en réparation de son préjudice.

L’accusation avait convenu que les enquêteurs français avaient fini, en suivant l’argent des rançons, par se heurter au mur de l’opaque plateforme BTC-e, dont la base de données sera finalement saisie en Californie. Oui, « nous avons bénéficié de l’aide des autorités judiciaires américaines, assume Jérôme Marilly. Ils nous ont fourni également une copie du disque dur de l’ordinateur et des téléphones saisis en Grèce ».

Autant de supports qui apporteront des preuves, contestées par la défense, pour l’accusation. Soit des IP de connexion identiques, des comptes BTC-e destinataires des trois quarts des rançons reliés à des adresses Gmail où l’on retrouve des traces d’Alexander Vinnik, ou encore des captures d’écran relatives à l’activité de la plateforme. « Nous avons sans doute dans cette affaire trop d’éléments non compris, rétorque Me Belot. J’ai été sensible aux difficultés des enquêteurs français. Mais je ne pourrais pas donner le même satisfecit à leurs homologues américains. » Et l’avocat de reprocher aux magistrats instructeurs « d’avoir repris à la virgule près ce que ces derniers ont dit ».

Nouveaux témoins

Sur cette question cruciale de la preuve, chaque partie tente de s’appuyer sur les témoins appelés par l’autre. « Pourquoi l’administrateur de BTC-e irait en vacances en Grèce avec un ordinateur, un téléphone, avec des éléments pouvant l’accuser gravement ?, demande ainsi Me Belot. Ceci est contradictoire à ce que nous ont dit les témoins de l’accusation, qui ont parlé à la barre des infinies précautions des administrateurs de Locky. » Et l’avocat de s’interroger sur la possibilité d’une « intervention » – comprendre une falsification des preuves – sur l’ordinateur saisi. « C’est un doute qu’il y a dans votre dossier, dit Me Belot. Peut-être qu’il n’a pas été modifié, mais nous ne le savons pas. Peut-être qu’une expertise nous permettrait d’en savoir plus. » La défense s’interroge sur l’intérêt de la justice américaine pour Alexander Vinnik. Devenu, pour ses conseils, l’un des pions dans un conflit le dépassant totalement.

Au contraire, l’avocat général Jérôme Marilly mentionne à plusieurs reprises les concessions à l’accusation de l’expert Éric Laurent-Ricard, cité par la défense. « Je ne rentrerai pas dans le complot, résume le magistrat. Vous pouvez broder un très beau roman d’espionnage mais, dans ce dossier, il n’y a pas l’ombre d’un élément qui vienne donner crédit à ces accusations. Le département de la justice américain aurait pu refuser de collaborer. Et à ce moment-là tout s’arrêtait pour l’enquête française. Et Alexander Vinnik serait reparti en Grèce, puis aux États-Unis », second pays d’extradition désigné par la justice grecque, où l’on soupçonne le Russe d’avoir blanchi des milliards de dollars.

Un questionnement assez lointain pour les victimes du rançongiciel Locky. Au fil du resserrement des charges, le procès d’Alexander Vinnik s’éloigne d’elles. La société Axa avait ainsi eu 72 000 fichiers chiffrés en 2016, synonymes de longues semaines de reconstruction informatique. « L’entreprise n’a pas payé la rançon et n’a pas été admise au rang des victimes en première instance », regrette Me Jacques Fouéré. S’interrogeant sur cette drôle de morale pour ceux qui se sont défendus et n’ont pas voulu se soumettre au chantage des maîtres chanteurs informatiques. Le délibéré sera rendu le 24 juin.

 

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