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Procès de Jawad Bendaoud : « Les autres détenus ils me prennent pour un terroriste »

Avant d’entendre les très nombreuses plaidoiries des parties civiles, la 16e chambre correctionnelle a écouté les dernières explications de Jawad Bendaoud, interrogé par son avocat, sur les éléments de fond – qui l’accusent d’avoir hébergé deux terroristes du 13 novembre. Puis, le tribunal s’est penché sur la personnalité des deux prévenus.

par Julien Mucchiellile 30 janvier 2018

Il a fallu, en premier lieu, éclaircir les très nombreuses explications données par Jawad Bendaoud. Lors des journées de jeudi 25 et de vendredi 26 janvier, il s’est défendu – avec une véhémence que l’on pourrait qualifier de désespérée – d’avoir su que les deux personnes hébergées chez lui, le vendredi 17 novembre 2015, étaient Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh, membres du commando de terroristes qui tuèrent 130 personnes à Paris (V. Dalloz actualité, 26 janv. 2018, art. J. Mucchielli isset(node/188821) ? node/188821 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>188821). Il savait que son locataire venait de Belgique, mais il ne savait pas que c’était également le pays des terroristes du 13 novembre. On évoque son « appât du gain », il admet, mais nuance : « Si j’avais su qu’ils étaient des terroristes, vous pouvez rajouter trois zéros, jamais je les aurais hébergés. » Il ajoute : « Si Soumah et Hasna ne s’étaient pas portés garants, je ne les aurais pas hébergés. »

Lundi 29 janvier 2017, devant la 16e chambre correctionnelle qui le juge pour « recel de terroristes », délit pour lequel, en état de récidive légale, il encourt six ans d’emprisonnement, son avocat Me Xavier Nogueras a tenté de structurer le discours de l’impétueux Bendaoud par un méticuleux questionnement.

Jawad Bendaoud se lève le 18 novembre à 6 h 15. « Vous êtes calme à ce moment-là ?

– Oui je n’étais pas au courant qu’il y avait un assaut chez moi, je ne savais même pas qu’il y avait des terroristes.

– Pour quelle raison allez-vous vous présenter devant l’immeuble ?

– Moi-même, je n’arrive pas à me l’expliquer. »

Il sait, par sa copine qui l’a réveillé, qu’un grand désordre a lieu rue du Corbillon, à Saint-Denis – son appartement est au numéro 48. « J’y vais, je vois un barrage, je contourne, un autre barrage. Là je parle à un journaliste, puis je vais voir la police.

– À aucun moment vous vous dites : « je vais me faire arrêter » ?

– Pas du tout, je ne comprends rien à ce qu’il se passe. Il y a deux jours je regardais mon interview sur BFM, j’ai l’air complètement à l’ouest ! »

Il échange des SMS avec sa copine, qui parle de ceintures d’explosifs – c’est une riveraine qui l’aurait crié dans la rue – et , alors en garde à vue, appelle sa mère en lui disant : « Le problème c’est que j’ai hébergé des mecs qui viennent de Belgique ». Mais il n’a toujours pas connaissance de l’origine des terroristes du Bataclan, et son esprit n’a pas fait le lien avec ses locataires. Ce n’est qu’une fois en détention que tout s’éclairera pour Jawad Bendaoud.

« Jawad de BFM ? Allah Akbar, on est tous avec toi frère ! »

La prison, pour lui, n’est pas une nouveauté. Mais sa notoriété donne une autre dimension à cette détention provisoire : il est devenu « Jawad de BFM ». Quand ils s’interpellent entre détenus : « C’est qui ? – C’est Jawad – Jawad de BFM ? Allah Akbar, on est tous avec toi frère ! Les autres détenus ils me prennent pour un terroriste. » D’autres ne veulent pas lui parler, et il y a ceux, enfin, qui lui demandent de leur louer un appartement une fois dehors.

Jawad Bendaoud pâtit de cette situation incongrue. Me Nogueras souligne que les juges d’instruction avaient préconisé la fin de la mesure d’isolement, en cours depuis vingt-sept mois dans plusieurs maisons d’arrêt. Il est aujourd’hui à Fresnes, « la pire » dit-il, évoquant la présence de rats quasiment « humains ». Mais l’administration pénitentiaire, le jugeant dangereux de par sa réputation, le maintient à l’écart. Il a malgré tout un traitement singulier : « Les gens en détention me donnent de la drogue et des téléphones, ce sont même les surveillants qui me les apportent à l’isolement », témoigne-t-il.

Une vie de prison

Le prévenu Mohamed Soumah a été accosté par une Hasna Aït-Boulahcen entreprenante, charmeuse et volubile, l’a amenée à son collègue de deal Jawad Bendaoud, s’est même porté garant pour cette femme dont il espérait des faveurs sexuelles, et se retrouve devant un tribunal correctionnel pour des faits de terrorisme. Il a l’air dépité, Soumah. Il nie comme son compagnon de box avoir su qui il avait aidé à trouver une planque. Il rend même un vibrant hommage aux policiers, qui « nous protègent contre ces fous [de terroristes] », singulier propos chez un dealer de cocaïne.

Le tribunal aborde sa personnalité. « Monsieur Soumah, dit la présidente Isabelle Prévost-Desprez, on va commencer par le très désagréable, puis le désagréable, et enfin, le moins désagréable ». Elle débute par le casier, énumère ses quinze condamnations. « Vous vous souvenez à quel âge vous êtes entré en prison pour la première fois ? » Mohamed Soumah prend un air consterné. « À 16 ans. » Il ajoute : « C’est un cercle vicieux. » La présidente lui demande, avec une certaine bienveillance, ses projets : « Tout ça m’a fait comprendre, je croyais que j’allais prendre vingt ans pour un truc que j’ai pas fait. Maintenant j’ai envie de m’occuper de mes frères et sœurs. » Son cadet, 24 ans, a été incarcéré récemment. « Il veut faire comme moi, mais mois je veux pas qu’il suive mon schéma. » Il a une sœur de 16 ans qui a été lâchée par sa famille d’accueil, et une autre sœur, lourdement handicapée, qu’il vient visiter « quand je suis dehors », dans son établissement spécialisé.

Jawad Bendaoud, lui aussi, a fait beaucoup de prison (10 ans, dont 6 pour avoir tué son meilleur ami au cours d’une rixe) et il aime beaucoup ses frères. Il y en a un qui vend des antiquités, un autre qui est mécanicien aéronautique. « Je lui ai dit mes projets, il m’a dit que c’était une super idée ». La présidente fait la curieuse, mais Bendaoud ne veut pas se faire piquer l’idée. Il le jure : « Plus rien d’illégal, je préfère manger aux Restos du cœur. » En attendant, il vit très mal la prison et cette affaire. Il ressasse seul dans sa cellule les cotes de son dossier et les arguments de sa défense. Le bouillonnement qu’il offre au monde, explique-t-il, « mon frère me le dit aussi, je le coupe tout le temps. Il m’a dit, Jawad, je crois que tu commences à devenir fou. Tu parles fort, t’es excité, tu passes toujours d’un sujet à l’autre. Les expertises psychiatriques le disent exempt de pathologie, tout comme, Mohamed Soumah qui, pourtant, n’est pas au mieux non plus. À la maison d’arrêt de Rouen, il s’est senti menacé par des codétenus qui n’aiment ni les noirs, ni les Parisiens (ce qui est un problème pour un homme noir originaire de Seine-Saint-Denis).

Les deux anciens compères s’égosillent dans le box à contester les infamantes accusations qui pèsent sur eux, et, comme au spectacle, une partie du public pouffe de rire dans les salles où l’audience est retransmise. L’audience se poursuit jusqu’au 14 février.