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Procès de Jean-Luc Mélenchon : « Les explications que vous fournissez sont pathétiques »

Vendredi 20 septembre, le parquet a requis de 2 000 à 10 000 € d’amendes contre les six prévenus, ainsi que trois mois de prison avec sursis contre Jean-Luc Mélenchon, jugé depuis la veille par le tribunal correctionnel de Bobigny pour acte d’intimidation envers un magistrat, envers un dépositaire de l’autorité publique, rébellion, rébellion en réunion et provocation directe à la rébellion

par Julien Mucchiellile 23 septembre 2019

Tout était calme. Un peu trop calme. « Tout à coup, le député surgit et décide d’en découdre », plaide le premier avocat de la partie civile. Jean-Luc Mélenchon n’a pas laissé son courroux au placard : le voilà qui se dresse, le 16 octobre 2018, pour protéger son siège de l’inique procédure ourdie contre sa personne, « sacrée », assène-t-il au procureur et aux policiers qui tentent de l’éconduire – il parlait de sa fonction de député, pas de l’enveloppe charnelle dont il fait le sacrifice pour l’honneur de l’insoumission. La scène, comique et lunaire, a été tournée par l’émission de divertissement Quotidien, dont l’intégralité des rush a été visionnée par le tribunal correctionnel de Bobigny, qui juge en deux jours Jean-Luc Mélenchon pour acte d’intimidation envers un magistrat, envers un dépositaire de l’autorité publique, rébellion, rébellion en réunion et provocation directe à la rébellion (10 ans d’emprisonnement, 150 000 € d’amende encourus). Cinq camarades partagent son banc.

Des dizaines d’autres partagent sa cause. Sur les bancs de la salle d’audience, les députés Danièle Obono, Clémentine Autain, Éric Coquerel, Adrien Quatennens profitent d’une journée de relâche à l’Assemblée pour aller se montrer derrière leur chef. D’autres militants ont investi depuis la veille le parvis du tribunal pour y installer un stand café et scander « résistance » à chaque apparition du leader. Mais au matin du vendredi 20 septembre 2019, les insoumis sont muets, et c’est la partie civile, pour qui la matérialité des faits ne souffre aucune discussion, qui reproche à Jean-Luc Mélenchon le « cirque médiatique » par lui orchestré, se « mettant en scène dans les médias, dénonçant une justice soi-disant aux ordres, se positionnant en martyr d’une démocratie qui n’en est plus une. » Car depuis que, sur le palier du siège du parti La France insoumise (LFI), des députés ont chahuté un magistrat et des policiers, les députés disent partout que la perquisition menée ce jour exhale le parfum du complot politique. Plus prosaïque, l’avocat du procureur se contente de constater l’agitation qui, ce jour-là, a conduit à la débandade de l’autorité face au désordre organisé. « Il est impossible de continuer la perquisition, les prévenus ont obtenu par la force la fin de l’intervention, et nous, nous sortons sous les quolibets », conclut-il.

Me François Saint-Pierre, qui défend deux policiers, a d’abord reproché aux prévenus d’avoir sali l’honneur de ses clients. « Cela m’a semblé profondément injuste que vous les traitiez de fonctionnaires du gouvernement, alors qu’ils sont fonctionnaires de la République […] Les policiers n’ont pas violé la Constitution, ce sont des policiers républicains, ils n’ont pas fait un putsch », rappelle-t-il. L’avocat déplore le discrédit jeté par le responsable politique sur l’institution judiciaire. Par ce discours délétère déployé avec emphase dans les médias et répandu sur les réseaux sociaux, le leader charismatique encourage ceux qui l’écoutent à la défiance envers notre système démocratique. Alors que « notre justice fonctionne de manière un peu plus sophistiquée que ce qu’en dit Jean-Luc Mélenchon ». Me Saint-Pierre rappelle que la loi du 25 juillet 2013 a inséré à l’article 30 du code de procédure pénale que le ministre de la Justice « ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles » – aux magistrats. Il rappelle aussi que ses clients sont des personnes qui ont fait un choix de vie qui est celui de lutter contre la corruption et la fraude fiscale, que, après avoir monté un dossier sous l’égide d’un procureur, ils sont intervenus dans un carcan de légalité.

Plus frontal, Éric Dupond-Moretti a dit : « Les explications que vous fournissez sont pathétiques. Vous ne voulez pas, et nous ne pouvez pas reconnaître, parce que vous avez vos électeurs. Mais vous savez, l’honneur des gens, ça se respecte. On peut critiquer la justice, mais pas de façon nihiliste comme vous le faites. En quoi cette perquisition était-elle manifestement illégale ? En réalité, vous les intimidez avec votre écharpe de député. Vous êtes le Lula français ? De grâce, arrêtez ce cirque, arrêtez votre délire parano. »

Les deux procureurs qui ont requis (la première, pour qualifier les faits, le second, pour faire de la joute verbale), n’ont pas pris beaucoup de temps pour demander : 2 000 € d’amende contre la prévenue Muriel Rozenfeld, 8 000 contre les députés Corbière, Lachaud et Bompard ; 10 000 contre le conseiller d’État Bernard Pignerol, et trois mois de prison avec sursis et 8 000 € d’amende contre Jean-Luc Mélenchon.

À la suspension méridienne, les tribuns révolutionnaires sont montés sur un muret délimitant les plates-bandes du parvis du tribunal, pour pousser une harangue bien sentie contre le pouvoir qui cherche à museler leur parole libre et insoumis. En dehors de la salle d’audience, les caméras sont autorisées.

Après déjeuner, leurs avocats ont tous plaidé la relaxe. Si les images montrent bel et bien des empoignades, des corps à corps, des attitudes qui auraient envoyé le justiciable lambda en garde à vue puis en comparution immédiate, se sont plus à le répéter les avocats de la partie civile, l’intention de causer des violences, disent les avocats de la défense, n’existe pas. Il n’y a pas de violence et de rébellion dans le geste de leurs clients, plaident-ils, simplement l’expression pleine d’ardeur de leur amour immodéré de la démocratie, et surtout, la peur, la colère et l’incompréhension de se voir ainsi perquisitionné par un dispositif policier important, un dispositif, disent-ils, habituellement réservé au grand banditisme – comprenez l’émotion ! Mais il faut, pour les juristes, composer avec la rhétorique complotiste de Jean-Luc Mélenchon, prêt à tous les sacrifices pour son pays mais peu disposé à perdre son procès malgré tout. Son avocat Me Mathieu Davy a trouvé la solution : « Est-ce que tout n’est pas politique ? » C’est ainsi que le procès qui agite le tribunal correctionnel depuis la veille est forcément politique. « Est-ce que c’est quelque chose de mal ? » Voici le débat apaisé.

« Qu’est-ce qu’un siège ? C’est un sanctuaire. Et la perquisition peut être prise comme un acte politique par ceux qui la subissent. » Il reproche aux policiers et au procureur de ne pas s’être présenté au chef, de l’avoir en quelque sorte accueilli chez lui avec rugosité, ce qui aurait causé cette ire. Il rappelle que son client ne s’est pas opposé à la perquisition (« allez-y, continuez votre travail, je n’ai rien à cacher »), et il cite les policiers qui disent « n’avoir pas eu l’impression de se faire bousculer ». Il dénonce les fuites dans la presse des éléments du dossier, oeuvre selon lui des magistrats chargés du dossier, pour nuire à Jean-Luc Mélenchon.

Appelé à exprimer un dernier mot, ce dernier a poussé une dernière harangue. Le président a annoncé que la décision serait rendue le 9 décembre à 10h.

 

 

 

 

 

 

Crédit photo : Martin BUREAU / AFP