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Procès de Jonathann Daval : « elle m’a insulté et elle m’a mordu au bras. Et là, ça m’a mis hors de moi »

Jonathann Daval comparaît devant la cour d’assises de Haute-Saône, à Vesoul, pour le meurtre de son épouse Alexia Daval, en 2017. Un meurtre qu’il a fini par reconnaître trois mois après les faits. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité (C. pén., art. 224-1).

par Marine Babonneaule 20 novembre 2020

Faut-il chercher à tout prix à comprendre les raisons pour lesquelles un homme décide de tuer sa femme lorsqu’il a déjà avoué son crime ? Jonathann Daval a beaucoup menti sur les circonstances du meurtre d’Alexia Daval-Fouillot. Il a fini par avouer son crime après avoir berné, pendant plus de trois mois, sa belle-famille, sa famille, ses proches et la France. Son procès, qui a débuté lundi dernier, a fait parler beaucoup de personnes, des enquêteurs, des experts, des médecins, des psychiatres et des psychologues, son ancien employeur, sa belle-famille, sa mère. Il a une enfance difficile, émaillée de maladies chroniques et de quolibets à l’école. C’est un garçon timide, qui parle peu, qui a du mal à exprimer ses émotions et qui a l’allure d’un gamin. Sa relation « incestueuse » avec sa mère – ce sont les termes de l’un des experts – alimente les discussions. Il se rend chez elle deux fois par jour, en cachette d’Alexia Daval qui n’aimerait pas sa belle-mère. Au collège, il travaille sérieusement puis il se forme à l’informatique, trouve un travail stable et « bien rémunéré ». Il ne rencontre pas beaucoup de filles, sauf Alexia, au ski, quand il a 21 ans. Elle est jolie, il s’étonne qu’elle s’intéresse à lui. Sa belle-mère – qu’il appelle « maman », décidément – le trouvait gentil, serviable, il rendait sa fille heureuse, c’est bien ce qui comptait. Tout le monde parle de lui, tout en avouant qu’il était secret et qu’il ne disait rien de ses relations devenues compliquées avec Alexia Daval. Qui savait qu’il avait depuis 2016 des troubles de l’érection ? L’impuissance de Jonathann a centralisé l’attention de tous. Et puis, comme un petit coup de tonnerre, hier, l’un des médecins qui l’ont entendu en détention a expliqué très simplement que Jonathann Daval est atteint d’hypothyroïdie, connue pour provoquer une baisse de la libido. Depuis qu’il est traité en détention, il a des érections régulières.

Jonathann Daval, un mystère. Le père de la victime dira, à la barre, qu’à y réfléchir, il ne se souvient pas de discussions très poussées avec son gendre. D’ailleurs, leurs relations étaient-elles vraiment devenues si malheureuses ? Personne n’a rien vu. Pour les experts psy, cet homme est « une cocotte-minute » qui a mis beaucoup de temps à exploser. « Il était prêt à supporter beaucoup de choses mais une parole [celle d’Alexia Daval] a dû déclencher une violence qu’il avait depuis très longtemps qui le renvoie à un traumatisme dont il ne se souvient pas », échafaude un psychologue à la barre. Quel traumatisme ? « J’imagine un traumatisme d’origine sexuelle », répond le spécialiste sans hésitation. Les psychiatres qui suivront écarteront ce scénario. Pour ces derniers, les TOC de Jonathann Daval – lavages de mains incessants, rangements maniaques – attestent de refoulements accumulés. À un moment, « il déborde ». C’est parce qu’il est « fragile », qu’il a une « peur panique de l’abandon, alors il fait plaisir à tout le monde », c’est « un caméléon » qui s’adapte à son interlocuteur mais, au fond, « c’est un dominant » qui peut être « colérique ». La voilà, l’esquisse protéiforme du meurtrier. Pour l’avocat général, commettre ce meurtre, c’était « pour sortir d’une situation inextricable, celle de la séparation inévitable du couple ». Là encore, le dossier ne peut confirmer cette éventualité. « Une position d’audience », cingle l’avocat de l’accusé Randal Schwerdorffer.

Hier, Jonathann Daval n’a pas chancelé, comme la veille. Il déconcerte, il déroute la cour, ses réponses ne contiennent pas de révélations fracassantes mais elles existent. Qui l’entend ? Ce soir d’octobre 2017, Alexia et Jonathann Daval reviennent d’un dîner chez les parents d’Alexia. Il s’assoit dans le canapé et prend un digestif « pour retarder mon coucher », dit-il. « Alexia revient au salon, me propose une relation, je m’y oppose, elle me fait reproche comme quoi je la désire plus. Je nie les faits comme d’habitude. Elle me dit que je ne m’occupe pas d’elle. J’ai voulu m’enfuir, pour fuir le conflit. J’ai voulu prendre les clés de la voiture. » Avant, il y avait « de l’envie » entre les deux mais « ça s’est dégradé après le mariage, aussi bien nos relations que nos rapports sexuels ». Alexia Daval, furieuse du refus de son mari, aurait continué les reproches. « Vous ne vous rebelliez pas quand elle vous reprochait des choses ? », demande le président. « J’acquiesçais. » Retour à la soirée. Jonathann essaie de partir de la maison mais elle l’en empêche. « Elle voulait prendre mes clés, me retenir, “n’essaie pas de fuir la situation”, on s’est donné des coups, elle m’a repris les clés, je l’ai plaquée contre le mur violemment pour reprendre les clés et, là encore, elle m’a insulté et elle m’a mordu au bras. Et là, ça m’a mis hors de moi. » « Elle vous donnait des coups violents ? » « Pas autant que ceux que je lui ai donnés. Mais parfois, elle me donnait des coups qui faisaient mal, parfois elle me donnait des coups qui ne faisaient pas mal. La nuit, elle me donnait des coups de genoux et de pied quand je ronflais. Ça m’arrivait de faire chambre à part. »

Alexia Daval aurait, ce soir-là, continué de l’agonir d’injures humiliantes, « tu n’es pas un homme », « tu es un moins que rien ». Il « pète un câble », donc, la cogne dans les escaliers menant au garage, lui donne des coups de poing violents, sa tête frappe le mur à plusieurs reprises – des coups qu’il a mis du temps à admettre. La cour s’interroge. « Là, vous donnez cinq à dix coups, très très violents. Pourquoi ne pas s’arrêter à un ou deux, ce qui est déjà une faute pénale ? Pourquoi ? » « La colère, la colère, toutes ces années de colère et les mots qui continuent de sortir de sa bouche, d’où l’étranglement. » La strangulation aurait duré quatre à cinq minutes. Quand il sent qu’Alexia s’affaisse, il la relâche, le corps tombe dans les escaliers. « Je lui ai donné la mort. » « Pour qu’elle se taise à jamais ? » « Oui », souffle l’accusé. « C’est la mort que vous vouliez ? » « Ben oui. » C’est alors « la panique », tout va très vite. Il traîne Alexia par les pieds et la place dans le coffre de son utilitaire. Il monte dans sa chambre, prend des somnifères mais, « vu ce qui venait de se passer, ça ne suffisait pas. Je suis descendu plusieurs fois pour ouvrir le coffre et voir si elle était bien morte. […] Et qu’elle n’allait pas se réveiller ». Le matin, il prend la décision de se débarrasser du corps « en maquillant ça en sortie de jogging » dans la forêt. « Pourquoi ne pas vous dénoncer ou chercher de l’aide ? Comment envisager la vie après un tel acte ? », demande le président de la cour. « C’est l’amour des autres, de perdre l’amour des autres, le regard des autres. J’ai tué quelqu’un mais j’avais encore envie de plaire aux autres », répond Jonathann Daval comme un automate. Et le feu, une fois qu’il a traîné le corps sur le sol humide du bois ? Pourquoi brûler le corps ? « Je voulais mettre de côté, effacer les traces. […] Avec le recul, oui, c’est sordide, je l’ai traînée comme un vulgaire sac à patates. » C’est l’heure ensuite de travailler ses alibis : il passe au bar de ses beaux-parents, chez son employeur. Le corps est découvert deux jours après.

Jonathann Daval devient rapidement le veuf éploré le plus célèbre de France, accusant jusqu’à sa belle-famille dans un scénario « grotesque et abject », selon la partie civile. L’enquête va rapidement le soupçonner. L’avocat de la famille Fouillot, Gilles-Jean Portejoie veut comprendre, encore. « Essayez de vous libérer un peu, là ! On sent que vous êtes coincé ! Essayez de vous lâcher. Quelle force vous anime le samedi matin pour constituer vos alibis ? C’est glaçant ce que vous faites ! Glaçant de sang-froid ! » L’accusé n’a pas de réponse. « Ce n’était pas moi », balbutie-t-il. L’avocat s’agace. « Vous ne parlez pas, vous dites deux, trois mots, vous êtes difficile à gérer, vous ne saisissez pas les mains que l’on vous tend. »

L’audience devrait se poursuivre jusqu’à samedi.

 

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