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Procès de policiers de la Bac du XVIIe : « Je ne défends pas un diable, mais un petit gardien de la paix »

Vendredi, les avocats ont plaidé en défense des huit prévenus, dont six policiers de la Bac du XVIIIe, devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris. Le jugement est mis en délibéré au 22 février.

par Julien Mucchiellile 13 février 2021

Après que les procureurs eurent demandé des peines allant de 12 mois avec sursis (Mehmet C.) à huit ans ferme (Karim M.), les avocats de la défense ont plaidé pour leurs clients. Pour Mehmet C. et Alexandre C., Me Anne-Laure Compoint n’a pas eu à combattre l’argumentaire de l’accusation, puisque les deux reconnaissent les faits (violences volontaires pour le premier, violences, transport de stupéfiant et faux en écriture publique pour le second). Elle a fustigé les conditions de travail des petits policiers. « Oui ces violences sont inacceptables, que la victime ait 0 jour, 20 jours d’ITT. Mais elle se comprend dans un contexte de peur majeure, de réaction très complexe », dit-elle au sujet du tabassage de M. Diallo. « Mais si on avait eu assez d’effectifs, avec trois véhicules de police et un gradé », la situation aurait été différente, regrette-t-elle, pointant le manque de moyens dans ce quartier très difficile. Pour Julian T., Me Géraldine Lesieur : « On requiert contre Julian T. une peine d’exclusion. On ne laisse aucune chance. » Elle demande la relaxe pour le détournement de fichier, étant donné l’usage qu’il en a fait (simplement vérifier le pedigree judiciaire d’un homme qu’ils côtoyaient). Elle demande aussi sa relaxe pour le faux en écriture publique : « Il y a un élément matériel, mais il manque l’élément intentionnel, la volonté de travestir la vérité dans le but de nuire. Que chacun réponde de sa propre turpitude, en l’espèce, il n’y en a pas. »

Pour Abdoulaye D., indicateur impliqué dans plusieurs affaires, son avocat Me Maxime Bailly demande également la relaxe. « Entre 2017 et 2019 il n’a pas été un délinquant, il n’a rien fait, rien demandé. Il n’a été qu’un ami. », l’ami de Karim M. « Devez-vous condamner cet homme uniquement parce qu’il connaissait Ahmad M. Et bien non. Les turpitudes des uns ne font pas les turpitudes des autres. » C’est justement pour Ahmad M. que plaide Me Nicolas Salomon. Dépeint comme un escroc patenté par l’accusation, Ahmad M. n’est qu’un sous-fifre, plaide l’avocat. « Ahmad M. va suivre le système Karim M. Il n’a pas abusé Karim M., il a passé un pacte avec lui. Et c’est ce système qui va le conduire devant ce tribunal. » Il rappelle que son client était un informateur enregistré dans plusieurs services, pour qui il travaillait régulièrement et sans encombre, mais que Karim M. l’a poussé dans ses combines.

Me Adrien Sorrentino défend Aaron B. : « Si j’ai une certitude dans ce dossier, c’est que je ne défends pas un diable. Je défends un petit gardien de la paix », qui ne savait rien du système d’informateurs de Karim M., et n’est en rien responsable du fonctionnement du commissariat. Le vol au préjudice d’Aymen I. ? « Il ne se souvient pas de cette somme de 450 ou 500 euros. Et pourquoi n’a-t-on pas consulté le registre de fouille ? » interroge l’avocat. Aucun élément objectif ne permet de le condamner, plaide l’avocat, tout comme rien ne permet de le condamner pour le vol des 1200 euros dans la sacoche d’Olivier D., l’homme interpellé avec la pâte de dattes, dont on ne peut exclure qu’il mente, et dont on ne peut déterminer qui de Karim M. ou Aaron B. aurait, le cas échéant, dérobé les économies (pluralité d’auteurs potentiels). Me Sorrentino brocarde les lacunes de la procédure, qui s’est trop reposée sur l’image, la réputation et les rumeurs pour asseoir son accusation. « 30 000 sonorisation, et rien contre Aaron B. ! » rappelle-t-il.

« Karim M. n’est pas un trafiquant, ni un policier corrompu. »

C’est d’abord Patrick Maisonneuve qui a plaidé pour Karim M., en commençant par analyser la stratégie du parquet. « Des questionnements et des approximations ne constituent pas un système de preuve. On n’envoie pas quelqu’un derrière les barreaux sans preuve indiscutable et ces preuves-là nous ne les avons pas. » Le parquet en a fait un délinquant qui serait entré dans la police uniquement pour s’en servir, alors « il faut mettre en avant ce personnage, sa duplicité, qui serait rentré dans la police avec comme arrière pensée de faire ses affaires », et dont les délits commis plus tôt dans sa vie auraient dû alerter sur cette « duplicité ».

Le vol des 80 000 euros constitue l’une des plus grosses infractions, et Patrick Maisonneuve propose au tribunal de voir en Ahmad M. l’ordonnateur de cette escroquerie. Pourquoi mettre seulement 25 grammes de cocaïne, insuffisant pour neutraliser Nazim B. ? Pourquoi Ahmad M., qui « tient » Karim M. (car ils ont fait ce coup ensemble), ne le sollicite-t-il pas pour de l’aide, lorsqu’il se fait arrêter (Ahmad M. était sous le coup d’un mandat d’arrêt, condamné à 5 ans pour escroquerie, peine qu’il purge actuellement) ? Pour l’avocat, c’est la preuve qu’Ahmad M. n’a pas dit la vérité.

L’accusation de blanchiment ne tient pas non plus selon lui, car rien n’a été trouvé ni en France, ni en Algérie, qui pourrait constituer le fruit de ce blanchiment, sinon une Renault 4L dans son village de Kabylie, que Me Maisonneuve a dû mal à envisager, au contraire du parquet, comme un signe extérieur de richesse. « Qu’il y ait eu des manquement déontologiques, je n’en disconviens pas, mais en faire un corrompu trafiquant de drogue, je crois que vous faites fausse-route. »

Enfin, Me Emmanuel Marsigny a fustigé une enquête à charge, un préjugement de Karim M. « Avant même qu’il ne soit placé en garde à vue, notre conviction c’est que son sort était scellé. » « Dans un dossier où pas un seul trafiquant de drogue n’a été identifié, n’a été entendu, qui serait venu dire “je trafique avec KM”, pas une seule écoute téléphonique avec un trafiquant dessus, venant dire “Karim M. est des nôtres” ou “on va le soulever, il nous a volé de la drogue”», rien qui n’indique sans détour que Karim M. est un corrompu, plaide l’avocat. « Même le commissaire Neyret a été condamné à 2 ans et demi de prison ferme et 18 mois de sursis ! » Tout est basé sur des mensonges, des racontars de délinquants, fustige-t-il, des rumeurs colportées sans vérification, même la commissaire admet qu’elle ne dispose d’aucun élément objectif, mais sa conviction est faite, souligne-t-il, dès le départ.

Il se moque du crédit apporté à la parole d’Ahmad M. « Le point commun de toutes ces affaires, c’est Monsieur M. C’est l’évangile selon Ahmad M., le nouveau livre de chevet du parquet de Paris. »

Sur le système d’informateurs : « Tout le monde sait qu’il y a des informateurs, avoir des informateurs, c’est un avantage, on ne va pas vous dire le contraire », rappelle-t-il, mais il n’y a aucune jurisprudence d’une décision répressive qui serait venue dire qu’un policier qui aurait eu recours à un informateur en échange d’une mansuétude, en échange d’une information. Et c’est bien cela que vous jugez ! » Et pas un système de corruption d’un policier par des voyous, dit-il en substance. Pas de preuve du vol des 1200 euros d’Olivier D., pas de preuve de blanchiment. « La preuve, il n’y en a pas. Vous devrez le relaxer. Karim M. n’est pas un trafiquant, ni un policier corrompu. »

La décision sera rendue le 22 février.