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Procès des écoutes : la défense contre « le stratagème » du parquet national financier

L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et l’ex-avocat général près la Cour de cassation Gilbert Azibert comparaissent depuis le 23 novembre devant le tribunal correctionnel de Paris pour corruption, trafic d’influence et violation du secret professionnel.

par Marine Babonneaule 1 décembre 2020

Mardi 1er décembre, la 32e chambre correctionnelle de Paris a joint au fond les exceptions de nullité présentées la veille par les avocats des trois prévenus. La présidente du tribunal, Christine Mée, a rappelé l’article 459 du code de procédure pénale, selon lequel « le tribunal qui est tenu de répondre aux conclusions ainsi régulièrement déposées doit joindre au fond les incidents et exceptions dont il est saisi, et y statuer par un seul et même jugement en se prononçant en premier lieu sur l’exception et ensuite sur le fond ». Sauf si impossibilité absolue ou risque d’atteinte à l’ordre public. « En l’espèce, ces exceptions ne relèvent pas des dérogations prévues par le code de procédure pénale », a tranché la magistrate, sans davantage de motivation.

Pourtant, lundi soir, en quittant le tribunal judiciaire de Paris, la pensée d’une décision un peu folle d’anéantissement pur et simple de la procédure par la présidente apparaissait plausible. Il est vrai qu’il y a eu comme un emballement – il serait malhonnête de ne pas en faire état – à la suite des plaidoiries de la défense. Celle-ci a demandé la nullité de l’intégralité de la procédure et de l’ordonnance de renvoi. Et c’est Jacqueline Laffont, avocate de l’ancien chef de l’État, qui a mené de front le déluge factuel et juridique contre la procédure. Dans cette affaire « aux nombreuses dérives », dit-elle, pendant laquelle « beaucoup se sont exprimés », même le Conseil supérieur de la magistrature, il était temps de pouvoir « répliquer ». « Lui aussi a le droit de se défendre, depuis quand le simple exercice des droits de la défense constitue une pression sur l’institution judiciaire, comme cela a été dit ? […] Ce dont je vais vous parler ne sont pas des arguties juridiques de dernière minute. Quelle est la problématique pour que nous demandions l’annulation de toute la procédure ? À violation rare, demande rare ». En ligne de mire : la violation des droits de la défense, du droit à un procès équitable.

Jacqueline Laffont va, pendant une heure et demie, raconter, exposer, démonter « le stratagème » de l’accusation. La salle est silencieuse, elle tend l’oreille. Le dossier Bismuth, selon la défense, c’est l’histoire de deux procédures menées par le parquet national financier (PNF) : une information judiciaire et une enquête préliminaire « cachée ». La première, ouverte le 26 février 2014 pour violation du secret de l’instruction, trafic d’influence et son recel, dont toute la presse s’est emparée, avait pour objectif de vérifier si un pacte de corruption entre Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et le magistrat à la Cour de cassation Gilbert Azibert avait été conclu pour intervenir dans la procédure d’une autre affaire (Bettencourt), en échange d’un poste de magistrat à Monaco. « Ce dossier ne repose que sur des écoutes entre un avocat et son client. Parmi ces écoutes, deux d’entre elles, en date du 26 février 2014, font état d’une discussion dans laquelle Nicolas Sarkozy renonce à tout cela. Mais les juges d’instruction, malgré cela, ont persisté à affirmer que ces deux conversations étaient un simulacre, que Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog auraient décidé, ayant été informés d’être écoutés, de se livrer à un simulacre de conversation. Voilà le postulat de départ, la thèse de l’accusation. Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog ont été informés de leur mise sur écoute. C’est à partir de là que les juges d’instruction ordonnent les perquisitions, que Nicolas Sarkozy est placé en garde à vue, qu’il est mis en examen, que son renvoi est requis et que son renvoi est ordonné ».

Les juges, étonnés du renoncement de Nicolas Sarkozy, en déduisent qu’une taupe les a prévenus qu’ils avaient été mis sur écoute. C’est en parallèle le départ de l’enquête préliminaire « cachée », longue de six ans, et dont la défense n’a pu prendre connaissance qu’en janvier 2020, alors que ces deux procédures sont « évidemment indissociables », irrémédiablement « connexes », « identiques » et n’ont jamais été jointes, comme cela avait été pourtant demandé par un magistrat. Une demande restée lettre morte. Jacqueline Laffont raconte que c’est lors d’un déplacement au greffe du PNF, en août 2016, que son associé François Artuphel, découvre que l’« EP306 » a été « jointe » au dossier d’instruction le 17 juin 2014. Ils ne savent pas de quoi il s’agit. Les avocats feront treize demandes auprès du parquet qui « refusera systématiquement » toute communication jusqu’à la fin de l’instruction. « Pourquoi cette énergie à nous cacher cela ? » Pire, continue l’avocate, en août 2016, la cheffe du parquet national financier, Éliane Houlette, affirme qu’aucun acte pour joindre ces deux procédures n’a été fait alors que la jonction a été demandée, la défense exhibe deux courriers prouvant que des démarches ont été faites, enregistrées dans le logiciel Cassiopée. Qui, au PNF, a refusé cette jonction ? Ces deux procédures auraient dû être jointes, martèle Jacqueline Laffont, car il s’agit « d’une seule et même affaire ».

D’ailleurs, « les magistrats du PNF le savaient », à tel point qu’ils se « mélangent eux-mêmes les pinceaux » en inscrivant sur un dossier la référence de l’instruction ou en précisant, dans une note d’analyse, qu’il s’agit de faits « connexes ». En décembre 2016, rebelote. La défense demande la jonction des deux dossiers, le PNF refuse au motif « que cette enquête ne vise pas Nicolas Sarkozy. […] On atteint le fond. […] La pochette même de ce dossier porte le nom de Nicolas Sarkozy ! » Et, continue l’avocate, « que se passe-t-il quand nous faisons une demande d’acte auprès des juges d’instruction pour démontrer que les faits sont indissociables ? On nous répond que l’enquête préliminaire est en cours. […] À l’été 2016, quand nous demandons les résultats de cette enquête, nous découvrons qu’elle a été clôturée depuis mars 2016 mais artificiellement relancée en septembre 2016 […] par une note d’analyse sidérante ». Le but était simple : « empêcher à tout prix la défense d’y avoir accès ». Et ce, pendant trois ans, jusqu’en 2019, alors « qu’il n’y aura pas, pendant ce laps de temps, le moindre début d’investigation ».

« Cela faisait des années que nous la demandions, a rappelé plus tôt Jacqueline Laffont. Nous avons découvert des milliards de choses, notamment que le postulat de départ du PNF était donc faux car leurs propres investigations dans le cadre de cette enquête préliminaire l’ont démenti, l’enquête ayant été classée sans suite ! Cette enquête démesurée, scandaleuse, a tout fait pour trouver les faits, mais cette enquête est obligée de conclure que l’infraction était insuffisamment constituée. […] Nous savons donc aujourd’hui, quatre ans après notre première demande et six ans après les faits, que la violation du secret professionnel et son recel n’étaient pas caractérisés ». Cela signifie, pour la défense, que, « contrairement à ce qui est affirmé, ni Nicolas Sarkozy ni Thierry Herzog n’ont été informés d’être mis sur écoute, que Nicolas Sarkozy n’a pas fait semblant de ne pas faire la démarche. […] Le pilier de la contrepartie s’effondre, or c’est l’essentiel dans le délit de corruption. Ici, il n’est pas caractérisé. » Nicolas Sarkozy, masqué, opine du chef de manière continue.

Cette procédure, aux relents des « dossiers poubelles » des années 1980, répond à « un stratagème » du parquet national financier. Mais la défense a été « persévérante ». Il ne suffit pas, selon Jacqueline Laffont, de joindre au fond ses conclusions in limine litis. Ici, des principes fondamentaux ont été « piétinés » et « bafoués » : principe d’équité, principe du contradictoire, principe d’égalité des armes garantis par le code de procédure pénale et par la CEDH. « Le fait de nous cacher des éléments à décharge par l’absence de caractérisation de l’infraction constitue une évidente violation du droit à un procès équitable. […] Vous croyez sérieusement que, dans le cadre de cette enquête, si le PNF avait trouvé une “source”, il ne se serait pas empressé de communiquer ces éléments aux juges d’instruction afin que les procédures soient jointes ? C’était gagnant dans les deux sens, à charge ou décharge, nous ne saurions jamais. » « Ces atteintes irrémédiables justifient l’annulation de toute l’information judiciaire et de l’ordonnance de renvoi », conclut Jacqueline Laffont.

Le représentant du parquet national financier a requis sur la pointe des pieds. Comme s’il fallait se débarrasser de ce paquet bien encombrant et gênant, il a fait bref « et aride ». « Cette enquête préliminaire est aussi creuse que les plaidoiries ont été riches. » Si elle est creuse, c’est qu’elle ne sert à rien dans le dossier jugé devant la 32e. Il se défend contre l’accusation d’un « stratagème », non, pire, « d’un complot qui aurait duré six ans avec tous les magistrats et les enquêteurs ». Pour preuve, « le PNF a délibérément communiqué les éléments de l’enquête préliminaire à la défense alors qu’elle a été classée sans suite ». Tout cela, la défense pourra le faire valoir au fond, au cours du procès donc. Il demande que les nullités soient jointes au fond et déclarées irrecevables.

Le procès se poursuit jusqu’au 10 décembre.

 

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