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Procès des écoutes : « Je veux être jugé pour ce que j’ai fait, c’est-à-dire rien »

L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, son avocat Thierry Herzog et l’ex-avocat général près la Cour de cassation Gilbert Azibert comparaissent depuis le 23 novembre devant le tribunal correctionnel de Paris pour corruption, trafic d’influence et violation du secret professionnel.

par Antoine Blochle 4 décembre 2020

Ce jeudi, l’audience reprend avec les questions des magistrats du PNF à Gilbert Azibert, notamment sur ses agendas des années 2013 et 2014. Il tente d’emblée de leur couper l’herbe sous le pied : « Pour vous éviter un travail laborieux et inutile, je pose moi-même une question que vous me poserez : le 11 mars… ». Mais la présidente le coupe : « On va laisser la procureure vous poser ses questions ! ». Ladite procureure revient sur un certain nombre de noms mentionnés dans les carnets. Comme celui de Philippe Courroye : « C’est un ami de vingt ans. On a déjeuné ensemble, avec des magistrats et des avocats. On n’a pas parlé [de ce dossier], on avait d’autres chats à fouetter ! ». À mesure que les patronymes s’enchaînent, l’agacement de Gilbert Azibert devient de plus en plus palpable. Non sans avoir donné à son interlocutrice du « Madame le substitut », il la menace même de couper court : « Je pense avoir été clair, et si ça continue, je vais demander une suspension d’audience. Il me paraît inutile et superfétatoire de vous répondre ». Imperturbable, elle poursuit pourtant, avec Patrick Sassoust, lui aussi avocat général près la Cour de cassation, mais à la chambre criminelle : « Puisque, manifestement, vous avez moins bien suivi l’audience que moi, oui il montait me voir à Paris, ou je descendais le voir à Bordeaux ». Parfois, il rétorque simplement : « Je vous renvoie à ma réponse à la présidente ». Auquel cas la procureure passe au nom suivant. Tandis qu’elle tente, sans plus de succès, de faire réagir Gilbert Azibert sur plusieurs « FADET », on remarque que, sur son strapontin, Nicolas Sarkozy porte son masque sous le nez. Ce sera le cas tout l’après-midi, et il descendra même jusqu’à son menton. Le prévenu continue à botter en touche : même lorsque ses déclarations ressemblent à première vue à des réponses, elles se transforment en fait immanquablement en des condescendantes anecdotes de vieux briscard. La proc’ rend finalement les armes, et laisse la place à son collègue.

« Ce sera rapide », annonce ce dernier, qui se voit répondre : « Je vous en saurais infiniment gré ». « Je vous remercie de vous adresser au tribunal plutôt qu’au ministère public, intervient la présidente, vous connaissez les usages ». « Il n’est pas désobligeant de regarder le parquet », évacue promptement Gilbert Azibert. On passe à l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux, qui faisait l’objet du pourvoi de Nicolas Sarkozy, et que le magistrat avait en sa possession : « Je pensais que je n’avais pas d’intention frauduleuse, et que les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas constitués (sic) ». Sur les autres éléments de procédure qu’il est prévenu d’avoir récupérés puis transmis, c’est le flou artistique. On ne comprend plus s’il est question de l’avis de l’avocat général (communiqué notamment aux avocats aux conseils) ou de celui du conseiller rapporteur (couvert par le secret du délibéré) : « Un chat n’y retrouverait pas ses petits ! », résume Gilbert Azibert, avant de tacler au détour d’une phrase qui n’avait pourtant rien à voir les « parquetiers de première instance ». Plus de question.

Il demande à ajouter une petite chose : « Je ne me retourne pas vers le parquet, mais c’est quand même à lui que je m’adresse. Le parquet est un et indivisible. Quand on a la prétention de poursuivre un président de la République, un des meilleurs pénalistes et, modestement, un magistrat, on a au moins la curiosité d’ouvrir un code pénal. Je suis poursuivi pour trafic d’influence, mais je n’en relève pas ». Une petite explication s’impose : la prévention le qualifie effectivement d’agent public (C. pén., art. 432-11), alors qu’il est magistrat (C. pén., art. 434-9-1). Il qualifie le parquet « d’incompétent », lequel lui recommande en retour, et en substance, d’attendre les réquisitions avant de la ramener : « Nous vous démontrerons que vous n’êtes pas si bon juriste que vous le prétendez ». « Je vous retourne le compliment », conclut-il. Ambiance. Les avocats de la défense commencent par citer abondamment son dossier administratif, débordant de superlatives notations, pour démontrer qu’il n’avait besoin de l’aide de personne pour candidater à quelque poste que ce soit. Puis l’interrogent sur le fichier Cassiopee, dont il a supervisé la mise en œuvre : assurément, il est ici question de l’hypothétique jonction entre l’information judiciaire ouverte dans ce dossier, et l’enquête préliminaire du PNF qui a permis d’autres interceptions, visant des avocats, mais aussi des magistrats, et au moins une journaliste. Me Hervé Temime ponctue cette première partie d’une ultime pique, parfaitement raccord avec celles lancées par Gilbert Azibert pendant plus d’une heure maintenant : « Vous avez été interrogé par Monsieur le procureur de la République adjoint… enfin, monsieur le Procureur ». Suspension.

« Henri Leclerc, avocat, 86 ans » lance le témoin à la reprise, avant de lever la main droite. « Je suis ici pour témoigner sur un point, un seul : le secret professionnel. Il y a soixante-cinq ans que j’ai commencé. J’étais jeune avocat, commis d’office, au titre de l’assistance judiciaire, pour défendre des indigents, disait-on. J’allais dans les prisons […] et dès ma première relation avec l’un de ces hommes que j’avais à défendre, j’avais besoin qu’il me fasse confiance, mais il se méfiait. […] J’ai tout de suite compris que la première chose dont je devais le convaincre, c’est […] que ses propos seraient totalement enfouis. Ce secret […] m’a aidé à défendre beaucoup de gens ». Comme on ne peut (malheureusement) pas recopier tout son témoignage, on en viendra à la citation qui le ponctuait, un peu remaniée pour les besoins de la cause : « Il faut que le malade trouve un médecin, que le catholique trouve un prêtre, et que le plaideur trouve un avocat ». Second témoin, le bâtonnier de Paris, Olivier Cousi, reste muet, attendant qu’on lui pose des questions. La défense lui fait préciser les modalités de perquisition, et surtout d’interceptions des communication des avocats. Encore l’ombre de la fameuse enquête préliminaire susceptible d’avoir fait l’objet d’une jonction. Le bâtonnier explique en substance qu’un justiciable peut avoir besoin de faire des confidences « à propos d’un projet de brevet, de fusion, de divorce », et pas simplement dans le cadre pénal : « S’il n’y a pas un lieu où il peut expliquer ses projets et être conseillé, le citoyen n’a plus accès à la justice et au droit ».

On en vient à Thierry Herzog, qui se lance dans un propos liminaire : « Je voudrais vous dire que j’ai consacré ma vie au métier d’avocat [même si] je ne veux pas être jugé pour ce que je suis, mais pour ce que j’ai fait, c’est-à-dire rien ». Il précise qu’il acceptera de répondre aux questions, « à l’exception de tout ce qui concernera les écoutes ». Interrogé sur sa rencontre avec Gilbert Azibert, il parle du bon vieux temps, lorsqu’il n’y avait pas encore le système de badges des Batignolles : « J’ai connu une époque, au Palais de justice, Île de la Cité, où il n’était pas besoin de prendre rendez-vous pour consulter un dossier, où toutes les portes les portes étaient ouvertes. […] Quand on voit maintenant cette espèce de cloisonnement [entre magistrats et avocats], c’est regrettable. […] Nous avions des atomes crochus, et il a toujours été respectueux des avocats ». Sur les « FADET », desquelles il ressort que le magistrat passait régulièrement à son cabinet, ou à proximité : « Il y a au moins deux raisons à cela. La première, c’est la proximité de nos bureaux respectifs, mais aussi de plusieurs restaurants et de la librairie Gibert. La deuxième, c’est que les amis, on a besoin, envie de leur parler, sans forcément leur demander quelque-chose […] Souvent, il nous est arrivé de prendre un café, pour le plaisir, ou de dîner ensemble ».

« Vous étiez amenés à parler de procédure pénale ? », interroge la présidente. Thierry Herzog répond évidemment que oui. Pour poser le décor, il retrace les épisodes précédents : l’affaire Bettencourt, celle des financements libyens, les convocations, les perquisitions, les saisies. On en vient progressivement au fameux pourvoi en cassation. Pour mémoire, l’une des questions qui se posaient était de savoir si ce pourvoi de l’ancien président était recevable, dans la mesure où il avait dans l’intervalle bénéficié d’un non-lieu. « La question que je vous posais initialement, interrompt finalement la présidente, c’est de savoir si, au moment où vous avez suivi ce dossier, […] vous avez eu l’occasion d’en parler avec Gilbert Azibert qui, étant à la Cour de cassation, peut sans doute être de bon conseil ». « Bien sûr », répond l’avocat, « ses conseils ont été précieux. Quand il a fallu rédiger le mémoire, j’estimais que sur une question aussi inédite, son avis était important ». « Et vous ne pensez pas qu’il peut être problématique de donner des conseils sur un pourvoi ? », insiste la magistrate. « Ce pourrait être un problème s’il ne connaissait rien à la procédure pénale ! Pour moi, c’est d’abord un ami, avant d’être un magistrat. Un ami qui est un spécialiste, qui est à côté de mon cabinet, et avec qui j’aime discuter de la vie… ». Réalisant que cela peut prêter à confusion, il précise : « Enfin, pas de l’avis [du conseiller-rapporteur], de la vie ! Je n’attendais rien de lui que son amitié et sa compétence ».

Sur le fond, « J’ai lu dans les déclarations de Monsieur Mathon [avocat général près la Cour de cassation] quelque-chose que j’ai trouvé assez surprenant : […] qu’il s’est entretenu avec l’avocat général de la chambre de l’instruction des moyens soulevés, qu’il a tenu à rencontrer le président de la chambre, qui était totalement défavorable à la cassation […], qu’il a échangé avec le conseiller rapporteur et lui a transmis un certain nombre de pièces. Et on me reproche à moi d’avoir reçu une information avant sa transmission officielle ! ». Thierry Herzog explique qu’il a tout simplement obtenu la communication de certains documents par son avocat aux conseils, Me Patrice Spinosi, puis les a fait suivre dans la foulée au secrétariat de Nicolas Sarkozy. Bref, « Maître Spinosi et moi pensions […] que la chambre criminelle casserait cet arrêt [de la chambre de l’instruction bordelaise] ». « Vous y avez cru, à une décision favorable ? », titille la présidente : « On espère toujours – Et la décision prise vous a étonné ? – Elle s’est imposée à nous ».

Après une nouvelle suspension, on passe à la désormais fameuse paire de téléphones « Bismuth », dont l’un a sonné dans la poche de Thierry Herzog lors d’une perquisition : « Les enquêteurs m’ont demandé comment je pouvais expliquer la mise sur écoute le 10 janvier, et l’achat des téléphones “Bismuth” le 11 janvier. Pour eux, j’avais été informé par le bâtonnier ». Lui explique qu’il a commencé à acheter des portables prépayés dès que Nicolas Sarkozy a quitté l’Élysée, en 2012. Et que, ce dernier ne sachant pas les recharger, il avait pris l’habitude de les remplacer régulièrement, dès que les puces arrivaient à expiration. Ce serait donc un simple hasard de calendrier. La présidente enchaîne ensuite sur un épisode du mois de février. L’ancien président est alors en vacances à Monaco d’où, apparemment, il envisage un temps d’intercéder en faveur de Gilbert Azibert, avant de renoncer. Thierry Herzog prend un billet d’avion pour lui rendre visite, mais l’avance finalement sur un coup de tête, et décolle dans l’urgence, au point de laisser son téléphone « Bismuth » à Paris. Pour les magistrats enquêteurs, c’est le signe qu’il a été une nouvelle fois averti que les « tocs » étaient aussi sur écoute. Il proteste : « Ce jour-là, j’ai quitté mon cabinet parce que j’avais rendez-vous avec un journaliste, avec lequel je devais déjeuner. Il m’a indiqué que les enregistrements clandestins de Patrick Buisson allaient être publiés, et qu’ils concernaient aussi son épouse Carla. J’ai donc décidé d’aller à Monaco [et c’est là] que nous avons décidé d’assigner […] le site qui les publiait, ainsi que Monsieur Buisson ».

À ce stade, une question (au moins !) reste en suspens, justement posée par la présidente : Dans la mesure où Nicolas Sarkozy n’a finalement pas intercédé en faveur de Gilbert Azibert, « pourquoi lui dites-vous que la démarche a été faite ? ». Thierry Herzog ne répond pas vraiment. À la place, et comme Me Hervé Temime l’avait déjà fait dans la presse, il se lance dans une longue citation… d’Edwy Plenel. Plus précisément, un extrait du livre, Les Mots volés, que le président-fondateur de Mediapart avait écrit dans les années 1990, après avoir été placé sur écoute par la « cellule de l’Élysée ». Et qui dit ceci : « Un dialogue au téléphone, c’est comme une conversation avec soi-même. […] On s’y livre, on s’y met à nu, on y pense tout haut, on parle trop vite, on exprime ce qu’on ne pense pas vraiment, on ment, on profère des bêtises, on dit n’importe quoi, on affirme comme une vérité ce dont on doute profondément, on émet des hypothèses, on tâtonne et on trébuche ».

Les débats se poursuivent lundi 7 décembre. L’après-midi débutera par les questions des magistrats du PNF à Thierry Herzog. Ce sera ensuite au tour de Nicolas Sarkozy d’être auditionné.

 

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