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Procès des époux Fillon : « Nous avons mal pour vous, madame »

François Fillon, sa femme, Penelope Fillon, et son ancien suppléant parlementaire, Marc Joulaud, comparaissent, à des degrés divers, pour détournement de fonds publics par personne chargée d’une mission de service public, complicité et recel de ce même délit, complicité et recel d’abus de bien sociaux et déclaration mensongère à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

par Marine Babonneaule 28 février 2020

Penelope Fillon est une collaboratrice très spéciale. Elle l’est d’abord pour son mari, François Fillon, qui la sollicite jour et nuit, week-end compris, ce qui ne pourrait être demandé à aucun autre assistant parlementaire. Sans elle, il n’y aurait jamais eu, par exemple, de « maillage » territorial du député. Mais elle est aussi, et ce sont ses propres termes, « une variable d’ajustement » dans les salaires qu’il lui verse, toujours « dans la fourchette haute » comme le relève le tribunal. Pour le parquet national financier, Mme Fillon est tout autant spéciale car il peine, lui, à constater la matérialité du travail accompli pendant tant d’années contre salaires.

Hier, au troisième jour du procès1, Penelope Fillon est invitée à la barre par la présidente de la 32e chambre correctionnelle. Mme Clarke – c’est le nom de jeune fille de cette Galloise de 65 ans – a un léger accent, elle parle doucement mais sans hésitation. De la salle d’audience, c’est sa chevelure blanche immaculée qui appelle le regard. Après des études littéraires et un diplôme inachevé de notaire, Penelope Clarke épouse François Fillon en 1980. Il devient député en 1981 dans la Sarthe, en remplacement de son mentor Joël Le Theule, qui vient de mourir. « C’est le décès de Joël Le Theule qui a tout changé, mon mari a décidé de le remplacer, j’ai décidé que j’allais rester dans la Sarthe pour l’épauler ». Voilà, Penelope Fillon commence sa carrière de collaboratrice, avec un objectif central : celui de faire le relais avec les habitants. « C’était ce rôle local qu’il m’avait demandé de faire », raconte-t-elle, dans toute la circonscription. À partir de 1981, François Fillon lui donne des missions ponctuelles et précises sur des sujets variés : « l’aménagement du bocage sabolien » (30 000 F), « organisation du secrétariat » (30 000 F), « collaboration générale » (22 613,50 F) ou encore « études générales » (15 500 F). « Mon mari avait besoin de connaître profondément la circonscription, il m’a demandé de remplir ces différentes missions ».

— Pouvez-vous décrire le travail type que vous faisiez, de manière générale, les tâches à accomplir, interroge la présidente Nathalie Gavarino.

— Je faisais différentes sortes de travail. On recevait énormément de courrier à la maison [entre 35 et 40 par semaine, précisera-t-elle plus tard, ndlr], je faisais ceci, des petites revues de presse sur la partie locale pour qu’il soit au courant des événements dans chaque village, dans chaque commune. Il utilisait les revues de presse, des résumés pour établir des fiches quand il était invité dans des manifestations dans les communes, pour qu’il soit au courant de ce qui se passait.

— Dès 1981, il vous donne des contrats d’étude. Comment les thèmes ont-ils été choisis ?

— C’est mon mari qui m’a donné le thème, je faisais des recherches sur place. Par exemple, sur le bocage, il voulait avoir une idée de comment développer la communauté de communes.

— Vous faisiez des recherches à la bibliothèque, par exemple ?

— Non, c’était très général et local.

— Combien de temps vous a pris chacune des études ?

— De mémoire, six mois. […] Une bonne partie du temps, j’avais de l’aide à la maison, je n’avais pas d’heures précises, fixes.

— Mais quel était le volume horaire de votre travail ?

— Je ne peux vous répondre, c’était dans les années quatre-vingt [la prévention couvre les périodes allant de 1998 à 2002, de 2005 à 2007, 2012 et 2013, ndlr].

— C’étaient des rapports écrits ?

— Oui, je les donnais à mon mari mais je ne sais pas ce qu’il en fait. […]

— Comment était fixée la rémunération ?

— C’était mon mari.

— Les rémunérations étaient très variées, constate la présidente. Elles allaient de 4 000 F à 30 000 F.

— Je pense que mon mari a décidé du montant en fonction du montant du crédit parlementaire.

— Le paiement devait se faire, en principe, contre facture. Vous en avez présenté ?

— Non.

— Lors de l’instruction, vous avez parlé de « petits rapports », c’est-à-dire ?

— Ce n’étaient pas des rapports lourds, plutôt des choses ponctuelles, c’était plutôt petit. […] Les rapports, je les ai donnés à mon mari, les bulletins de salaire, je les ai gardés dans une chemise.

À partir de 1986, il n’est plus question de missions d’études, de rapports, mais de contrats de travail. Penelope Fillon les enchaîne, à temps plein ou à mi-temps. Le salaire ? « C’est mon mari qui gérait son crédit », répète-t-elle à la barre. Son travail ? « Rencontrer les habitants, faire des revues de presse, des fiches pour les manifestations. » Elle travaillait à Sablé, à son domicile, elle était collaboratrice parlementaire locale et n’avait pas « besoin » d’un badge d’accès à l’Assemblée nationale puisqu’elle n’avait « pas besoin d’y aller ». « Ça ne vous intéressait pas de savoir combien vous alliez être payée ? », s’étonne le tribunal. « Si, bien sûr, mais je n’allais pas faire de réclamation ! », répond Penelope Clarke. « Oui, vous n’alliez pas l’assigner aux prud’hommes », sourit la magistrate. La salle rit. Et même quand elle perd 30 % de rémunération, elle ne proteste pas. Les salaires de Penelope Fillon étaient plutôt « dans la fourchette haute » des rémunérations des assistants parlementaires. « Je ne savais pas quelle était la fourchette, mon mari a toujours choisi les montants selon les règles de l’Assemblée nationale. Je n’ai jamais fait de comparaison. » Il y a ensuite huit années sans contrats, où elle continue de travailler pour son mari mais sans salaire. « Ça ne m’a pas posé de problème », dit-elle. Cela ne lui pose pas de problème non plus de ne pas poser de jours de congé ou de bénéficier de congé maternité (ils ont eu cinq enfants). L’avocat de François Fillon rappellera que ce n’est pas inhabituel pour les assistants parlementaires de ne pas prendre de jours de congé.

« Il n’y a qu’une seule Penelope Fillon »

Cela fait deux heures que Penelope Fillon est à la barre. « Son mari » prend des notes. Le procureur Aurélen Létocart se lève. Il « compatit » car la prévenue affronte « un exercice délicat ». La caresse. Puis : « la rémunération est fixée non par vous, mais par votre employeur. J’ai une autre vision, qui me trouble : à chaque maternité correspond un nouveau contrat, avec une augmentation en fonction des besoins croissants du foyer. Est-ce une vision tronquée ? » La prévenue écarte cette possibilité. « À propos des congés que vous n’avez jamais pris, continue le magistrat, il y avait à chaque rupture de contrat une indemnité compensatrice. C’est assez atypique, ça, non ? » En 2002, par exemple, elle touche 16 000 € d’indemnités. Mme Fillon ne s’est « pas occupée de regarder les détails, c’est une négligence de ma part. […] C’est mon mari qui s’occupait de ça ». Le parquet continue de s’étonner de tout. « Lors de vos missions ponctuelles, l’organisation du secrétariat, ça consistait en quoi ? », lance le procureur Bruno Nataf. « Il s’agissait de mettre en place une équipe avec secrétariat, il s’agissait de réfléchir avec ceux impliqués dans l’organisation pour faire en sorte que les choses se passent le mieux possible. » « 30 000 F pour organiser le secrétariat local, qui existait déjà, soit neuf mois de SMIC de l’époque sur une durée qu’on a du mal à se représenter, c’est beaucoup, non ? ». « Je ne me suis pas occupée du montant », répète-t-elle. « Nous avons mal pour vous, madame », conclut Bruno Nataf.

Penelope Fillon s’assoit. Son époux regarde droit devant. C’est à lui de parler. On l’entend mieux. Il revient sur ses débuts, sur le fait qu’il ne rêvait pas de devenir député mais que le couple avait néanmoins décidé « de plonger dans un mode de vie qui s’apparente à un sacerdoce ». La mission de son épouse consistait « à superviser mon agenda, ce qu’elle faisait de manière extrêmement régulière. Je lui demandais de superviser le courrier parlementaire, c’était une masse considérable de demandes d’intervention. La troisième chose que je lui demandais, c’était d’être présente sur le terrain auprès d’associations, de structures comme des clubs, qui forment le tissu d’une circonscription locale. Et, grâce à cette présence, cela me permettait d’avoir des informations précises quand j’y intervenais, parfois jusqu’à dix fois dans le week-end. Elle me donnait des détails, par exemple, sur les maires. Je ne suis pas extraordinairement patient, je ne passe pas beaucoup de temps à écouter. Ensuite, elle recevait les gens qui souhaitaient me rencontrer. Enfin, le dernier travail, oui, elle m’a conseillée. Il n’y a pas un seul discours de ma carrière qui n’ait été relu par Penelope ». L’ancien premier ministre ironise « sur la méconnaissance du parquet qui croit que le travail d’un député, c’est de déposer des amendements et faire de grands discours ». Oui, Penelope était indispensable, « sa force, c’était de connaître, par sa présence, sa proximité, remarquablement bien les gens ». Quid des rémunérations de sa femme ? « Oui, sa rémunération a varié en fonction des disponibilités de mon enveloppe budgétaire. Oui, c’était une variable d’ajustement. » Dans le public, les regards étonnés se croisent. Le parquet reviendra sur le sujet. « C’est une question qui méconnaît le principe de séparation des pouvoirs, le député est le seul maître des tâches et des rémunérations de ses collaborateurs », tranche François Fillon.

La journée n’est pas terminée. La présidente veut évoquer l’interview de Penelope Fillon donnée en 2007 au Sunday Telegraph, dans laquelle elle affirme notamment n’avoir « jamais été réellement » l’assistante de son mari « ou quelque chose dans le genre ». C’est une pièce importante pour l’accusation. Penelope Fillon revient à la barre. « J’ai toujours fait attention de ne pas être l’élue à la place de mon mari. La presse britannique avait envie de me présenter comme première dame de France et je ne voulais surtout pas qu’elle puisse le penser, que j’étais une conseillère spéciale ou quelque chose. J’ai délibérément réduit ce que j’avais fait. […] Quand je dis que je n’ai jamais été son assistante, j’ai voulu dire assistante au Parlement sur le travail législatif, etc. C’est comme ça que j’ai senti les choses. Je ne voulais pas que la journaliste puisse penser que j’avais un rôle important. » Le procureur Aurélien Létocart : « Qui faut-il croire ? La Penelope Fillon qui, sans pression, se livre aux journalistes ou la Penelope Fillon qui, devant les enquêteurs, devant le tribunal, force le trait, tente de surdynamiser le peu d’activité qu’elle a eu ? » « Il n’y a qu’une seule Penelope Fillon », répond la prévenue.

Le procès reprend lundi 2 mars.

1 Les deux QPC plaidées mercredi 27 février n’ont pas été transmises.

 

 

« Faire éclater la vérité »

Dans une déclaration liminaire, François Fillon a estimé qu’il avait « déjà été condamné, il y a trois ans, sans appel par un tribunal médiatique », sa vie avait été auscultée « dans les moindres recoins », avec pour conséquence de l’avoir « empêché » de concourir normalement à l’élection présidentielle de 2017. Cela a causé « des dégâts irréparables » pour son élection, pour sa place « dans le courant de pensée » auquel il appartenait – « quelle que soit la décision, rien n’y changera » – pour son honneur « et celui de mon épouse et de Marc Joulaud ». Il est temps, selon l’ancien premier ministre, « de faire éclater la vérité sur la nature du travail de collaborateur parlementaire, sur les raisons qui ont conduit les parlementaires à travailler avec leur famille et la réalité du travail de mon épouse ».

 

 

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