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Procès des nationalistes corses : « on comprend qu’on est pris entre le FLNC et l’État »

Huit hommes ont été jugés, du 11 au 22 juin dernier, par la cour d’assises spécialement composée pour des attentats contre des maisons en 2012. Six ont été condamnés dont trois incarcérés. Fernand Agostini et Pierre Paoli, principal accusé car présenté comme un ancien chef du FLNC en Corse du Sud, ont été acquittés. Seconde partie d’une série de quatre épisodes.

par Marine Babonneaule 10 juillet 2018

Le silence des accusés a presque fait oublier les victimes de cet étrange procès terroriste, long de dix journées d’audience, sans presse ou presque, avec un public clairsemé et infidèle, dans une salle correctionnelle au lieu d’une cour d’assises et dans un palais de justice parisien vidé. En mai et décembre 2012, les « nuits bleues » ont endommagé et parfois détruit des maisons que les « terroristes » savaient vides. C’est d’ailleurs l’un des arguments de la défense. Parmi la quarantaine de personnes touchées, une seule s’est constituée partie civile. Elle a suffi à remplir le vide et à donner de la « chair » au procès, comme le dira dans ses réquisitions l’avocate générale.

« J’ai besoin de comprendre pourquoi ma maison a été détruite. […] Il ne s’agissait pas d’une résidence secondaire puisque mes parents s’y sont installés. C’était devenu notre maison de famille, mon père participait à la vie du village », est venue raconter Mme Basselier. « On ne saura jamais si les personnes ont vérifié ou pas s’il y avait des personnes à l’intérieur. […] Je vis ça comme une atteinte morale à la mémoire de mon père. […] C’était une maison simple, modeste. Il n’y avait aucune spéculation immobilière. […] Je ne connais pas du tout les personnes qui sont ici, je veux juste exprimer ce que j’ai ressenti. Les affaires de mon père ont été pulvérisées à plusieurs mètres à la ronde, c’est très violent pour moi ». La maison n’a toujours pas été reconstruite. Mme Basselier retourne pourtant tous les ans en Corse. « Je ne veux pas que tout ça gâche l’attachement que j’ai pour la Corse ». « Cette démarche de vous constituer partie civile répond-elle à un souci particulier ? », interroge le président de la cour. « Cela m’aide à vivre ce qui s’est passé, […] tous mes amis corses ont dit que c’était honteux », ajoute-t-elle, résignée.

Trois autres victimes viendront témoigner à la barre. M. F… a acheté une maison à Olmeto Plage en 1994 « au prix du marché », « sans aucun passe-droit », par le biais d’une agence à Propriano. Il a aujourd’hui 72 ans. « On se demande pourquoi ça nous tombe dessus. On ne mérite pas. Le FLNC a une action à faire passer, on est pris en otage entre le FLNC et l’État. Je ne réclame pas vengeance, je suis triste parce que ce sont des gens d’Olmeto. Ils sont victimes aussi, ils n’ont pas été intelligents. […] Aujourd’hui, ils sont devant la justice, ça ne me fait ni chaud ni froid mais ils vont aller en prison. C’est des gens qui sont malheureux, qui n’ont pas compris un enjeu qui les dépassait. C’est pas un chef du FLNC qui va poser une bouteille de gaz. […] On parle beaucoup là-bas… toucher 1 000 € pour déposer une bouteille, faut pas être très malin. […] Ça sert à rien de faire sauter une maison. On fait payer les assurances et on reconstruit ». Il n’est pas partie civile parce qu’il préférait « avoir affaire aux chefs ». Il n’a pas peur. « Je serai pas là, sinon », répond-il logiquement.

M. L…, lui, a vu sa maison « visée deux fois. Entre les deux attaques, elle a été taguée. "Fora", en peinture rose. Je ne me suis pas constitué partie civile, clairement par peur ». Retraité également, il avoue avoir eu peur de se constituer partie civile. Il est pourtant là, à la barre, car il veut que les accusés « s’expliquent, sinon les choses restent en l’état ».

Faut-il se résigner à ces agressions quand on vit en Corse, interroge Régis de Jorna, le président de la cour. « On ne se résigne pas, répond une autre victime, mais on sait hélas que c’est historique, qu’on n’est pas visés personnellement. C’est extrêmement violent. Mais c’est un contexte tellement particulier. Moi, c’est la première fois où notre maison a été endommagée que j’ai été le plus choquée ». Après, peut-être, vient l’habitude. La cour cherche à savoir. « Qu’est-ce qui vous fait rester ? Le désir de rester est plus important ? Ne pas céder à une entreprise terroriste ? Ou alors est-ce tout simplement l’amour de la Corse ? » La victime répond simplement : « C’est un peu le prix à payer, je m’y sens chez moi, j’aime la Corse. Je ne me suis pas sentie visée. J’ai peut-être une vision moins romantique de la Corse après ça… »

« On s’en prend à eux mais pas aux Dutronc ou aux Sardou »

Le président va saisir l’intérêt de ces quelques instants « de chair ». « Quel est votre sentiment après avoir entendu ces personnes ? », demande-t-il à chacun des huit accusés. « On est touchés », répond Pierre Paoli. « Je n’ai pas fait de victime, […] j’écoute, ce n’est pas moi, j’ai écouté sans plus », lance un autre. Puis, « je veux pas que la cour prenne ça pour un manque de respect. Je respecte » et « je dis la même chose. On est des êtres humains. On compatit avec la douleur morale ». « Je suis navré pour eux », glisse un autre accusé. Et cette énigmatique déclaration : « des familles corses ont été touchées, des familles corses seront là pour le relever ».

Lors de sa plaidoirie, l’avocate Zoé Royaux, seule représentante de la partie civile, a relevé « la frustration » pour les propriétaires des maisons visées de ne pas comprendre, après neuf jours d’audience, les raisons des attentats. « On n’en sait pas plus. […] La famille Basselier va tomber amoureuse de cette île, elle va y retourner, régulièrement, va acheter un terrain et construire une petite maison sans prétention. C’est une famille modeste. Cette maison va devenir leur maison principale. […] Ce qui est incroyable, c’est de voir que les victimes ont mauvaise conscience. Elles ont toujours cet argument "on n’a jamais loué notre maison" alors que c’est leur droit le plus ultime ! […] Six ans après les faits, il y a un sentiment de gâchis terrible. Ça ne paraît rien comparé à d’autres attentats terroristes et c’est tant mieux. Mais pour les Basselier, tout a volé en éclats. […] Il y a dans cette affaire du racisme, de la peur et des doutes. […] Et il y a aussi un sentiment profond d’injustice, ces familles sont sacrifiées, prises en otage : on s’en prend à eux mais pas aux Dutronc ou aux Sardou… et leurs maisons qui massacrent le littoral. […] On s’en prend aux plus faibles, ce qui relativise d’ailleurs un peu l’engagement des accusés. Il ne faut pas envisager la famille Basselier comme un dommage collatéral mais comme une victime d’attentat. […] Nous sommes face à deux parties irréconciliables avec un État un peu sourd. […] Je note que les accusés ont répondu qu’ils avaient été touchés par les auditions des victimes. Si l’audience a pu apporter quelque chose, c’est déjà ça ».

Premier épisode : C’était, paraît-il, le dernier procès des nationalistes corses.

Demain : Le dernier procès des nationalistes corses : « un rendez-vous manqué » pour l’avocate générale.